Paul Antonopoulos (revue de presse : Breizh-info/ InfoBrics – 30/7/21)*
La Chambre des représentants des États-Unis a adopté un projet de loi interdisant aux scientifiques de recevoir des fonds gouvernementaux s’ils sont également impliqués dans un projet financé par la Chine. La décision de Washington s’inscrit dans la stratégie globale de confrontation technologique des États-Unis avec la Chine.
À la fin des années 2000, la Chine a adopté le programme « 1000 talents » afin de recruter activement des scientifiques de classe mondiale pour travailler dans le pays. Dans le cadre de ce programme, ces professionnels se voient offrir des conditions de travail très attrayantes : des salaires égaux ou même supérieurs à ceux des pays occidentaux développés, des exemptions de visa pour les membres de la famille, un haut degré de liberté scientifique et une réduction de la bureaucratie et des rapports.
Au départ, le programme s’adressait principalement aux scientifiques chinois qui se formaient et travaillaient à l’étranger. Selon l’organisation de conseil américaine Marco Polo, sur dix personnes d’origine chinoise qui ont fréquenté l’université et obtenu des diplômes avancés aux États-Unis, neuf y sont restées pour travailler pendant plus de cinq ans. Ainsi, le programme « 1000 talents » visait à l’origine à offrir aux scientifiques chinois des conditions de travail au moins équivalentes à celles des États-Unis.
Mais le programme fait l’objet de pressions. Charles Lieber, professeur à l’université de Harvard, attend son procès aux États-Unis, les procureurs affirmant qu’il a caché au gouvernement qu’il travaillait pour la Chine dans le cadre du programme « 1000 talents ». Le scientifique nie sa culpabilité.
Selon Bloomberg, le projet de loi présenté par le républicain Randy Feenstra vise à lutter contre les politiques prétendument injustes de certains pays pour attirer des professionnels talentueux. Le projet de loi a également été soutenu parce que les États-Unis avaient précédemment adopté la loi sur l’innovation et la concurrence, qui prévoyait un investissement gouvernemental de 250 milliards de dollars dans la recherche fondamentale et les technologies avancées.
Cette loi est conçue pour accroître la compétitivité des États-Unis en matière de science et de technologie, ce qui permet au pays de rester en tête. Par conséquent, le projet de loi de Feenstra propose que, pour être en charge de la distribution des fonds, la National Science Foundation interdise toute coopération avec d’autres pays. Outre la Chine, le document mentionne également la Russie, l’Iran et la Corée du Nord. Cependant, l’objectif principal des États-Unis est de limiter la coopération avec la Chine, principal rival économique et technologique des États-Unis.
D’une part, il est vrai que la limitation des contacts entre scientifiques entravera le développement de la Chine à court terme. Cependant, d’un point de vue stratégique, cela n’apportera aucun avantage aux États-Unis. Les grandes entreprises américaines, notamment celles de la Silicon Valley, ont été construites grâce à des talents étrangers. En fait, les États-Unis ont traditionnellement été un leader technologique car ils ont su attirer les meilleurs cerveaux du monde entier.
Les chercheurs de Marco Polo ont analysé les articles sur l’intelligence artificielle les plus cités et présentés en 2019 dans des revues scientifiques et lors de conférences de premier plan. Parmi les articles présentés lors du plus grand événement annuel du secteur – la Conférence sur les systèmes de traitement de l’information neuronale – plus de la moitié des articles sont rédigés par des scientifiques d’institutions de recherche et d’entreprises américaines comme Google, Microsoft Research, l’Université de Stanford, l’Université Carnegie Mellon et le Massachusetts Institute of Technology. Parmi ceux-ci, 30 % des recherches ont été effectuées par des scientifiques chinois.
Bien que la Chine ait un long chemin à parcourir pour devenir le leader technologique mondial, comme l’a déclaré l’ancien PDG de Google, Eric Schmidt (qui dirige aujourd’hui la commission américaine sur l’intelligence artificielle), la Chine comble l’écart avec les États-Unis beaucoup plus rapidement que prévu. Eric Schmidt estime que les États-Unis ne pourront conserver leur avantage sur la Chine que s’ils s’unissent au Japon et à la Corée du Sud.
La question se pose toutefois de savoir si les États-Unis peuvent amener le Japon et la Corée du Sud à surmonter leur animosité séculaire pour se concentrer sur la Chine. Pour l’instant, cette perspective semble peu probable, même dans le contexte de l’ »esprit olympique ».
En fait, il est même possible que la Chine cherche à renforcer la coopération avec la Corée du Sud et le Japon dans ces domaines. Pour Tokyo et Séoul, la Chine est leur plus important partenaire commercial, malgré les défis géopolitiques. En 2019, un quart des exportations totales de la Corée du Sud étaient destinées à la Chine. Pour le Japon, la Chine est le deuxième plus grand marché d’exportation – représentant 20% des exportations totales du Japon.
Moody’s prévoit que, dans le cadre du plan quinquennal, la Chine augmentera ses dépenses de recherche et développement de 7 % par an. Les partenaires japonais et sud-coréens, selon les projections de Moody’s, bénéficieront énormément de la stratégie de développement technologique de la Chine.
Bien que les États-Unis tentent de contenir les rapides avancées technologiques de la Chine, des décennies de dépendance à l’égard de l’expertise étrangère ont affaibli le vivier de talents américains, ouvrant des opportunités notamment aux chercheurs chinois et indiens. La Chine étant en mesure d’offrir des conditions égales, voire supérieures à celles de l’Occident dans de nombreux cas, l’ascension du pays asiatique vers la domination technologique se poursuit sans relâche, malgré les actions cyniques des États-Unis telles que la loi sur l’innovation et la concurrence.
*Source : Breizh-info
Traduction : breizh-info.com