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18 décembre 2024

Pourquoi l’Occident ignore toujours les terroristes au sein de ses alliés ?


Publié par Gilles Munier sur 6 Août 2021, 07:49am

Catégories : #Terrorisme, #Israël, #Mossad

Le Premier ministre israélien Menahem Begin est accueilli à son arrivée aux États-Unis pour une visite en 1980 (Archives nationales)

Par Paul Pillar (revue de presse : Les Crises – 31/7/21)*

Deux Israéliens susceptibles de devenir Premiers ministres étaient des leaders de mouvements politiques violents qui ont tué des innocents.

Le terme « terroriste » est souvent utilisé comme une épithète à usage général destinée à condamner un État ou un groupe honni à être à tout jamais isolé et puni. Utilisée de cette manière, l’étiquette de « terroriste » devient un substitut à une analyse rigoureuse de la politique à l’égard de l’État ou du groupe en question. En général, l’objet de cette qualification a effectivement eu recours au terrorisme, mais il en est de même pour beaucoup d’autres qui ne sont pas catalogués de la même manière et qui peuvent même être considérés comme des amis et des alliés. Si la doctrine est « terroriste un jour, terroriste toujours », alors il existe de nombreuses histoires louches qui méritent d’être scrutées.

Alors que Benjamin Netanyahou – qui a brandi l’étiquette de « terroriste » au moins aussi librement que n’importe qui d’autre – est finalement évincé du poste de Premier ministre en Israël, prenons par exemple en compte l’histoire de certains de ses prédécesseurs. Menahem Begin, qui a occupé ce poste à la fin des années 1970 et au début des années 1980 – plus longtemps que quiconque à l’exception de Netanyahou, David Ben-Gourion et Yitzhak Rabin – a eu une carrière antérieure de terroriste pur et dur. En tant que chef du groupe Irgoun pendant la Seconde Guerre mondiale, Begin a mené une campagne d’attentats, visant principalement des cibles du gouvernement et de la police britanniques, dans le but de chasser les Britanniques de Palestine – alors que la Grande-Bretagne était occupée à mener une guerre contre les Nazis.

La campagne terroriste de Begin s’est poursuivie après la guerre. L’opération la plus spectaculaire de son groupe est le bombardement de l’hôtel King David à Jérusalem en 1946, qui a tué 91 personnes et en a blessé 46. La liste des victimes va bien au-delà des administrateurs britanniques qui étaient les cibles présumées et on y compte des personnes de nombreuses nationalités, non seulement dans l’hôtel mais aussi dans les bâtiments voisins et dans la rue. À l’approche du départ des Britanniques, le groupe de Begin a multiplié les manoeuvres terroristes contre les Arabes palestiniens, dans le but évident de les obliger à fuir leurs maisons et leurs villages. Une opération particulièrement connue est le massacre du village de Deir Yassin, au cours duquel plus de cent Arabes, dont des femmes et des enfants, ont été tués.

Begin est sorti du monde de la clandestinité après la création d’Israël en créant le parti de droite Herut en 1948. Cela n’a pas effacé son passé terroriste – certainement pas dans l’esprit des Britanniques, qui lui ont interdit de se rendre à Londres dans les années 1950.

Les Britanniques n‘ont pas été les seuls à prendre en compte ce que Begin représentait. Un voyage de ce dernier aux États-Unis à la fin de 1948 a donné lieu à une lettre ouverte de dignitaires juifs, dont Albert Einstein et Hannah Arendt, protestant contre cette visite et décrivant le Herut comme « un parti politique étroitement apparenté, dans son organisation, ses méthodes, sa philosophie politique et son attrait social, aux partis nazi et fasciste. »

Le Herut est ensuite devenu le noyau du parti Likoud – le parti de Netanyahou et le parti dominant dans la plupart des coalitions gouvernementales en Israël au cours des quatre dernières décennies.

Le successeur de Begin au poste de Premier ministre, Yitzhak Shamir, a connu une histoire similaire. Il était co-dirigeant d’un autre groupe terroriste juif dans les années 1940 : Lehi, également connu sous le nom de Gang Stern d’après son fondateur, qui était considéré comme encore plus extrême que l’Irgoun. Outre sa participation au massacre de Deir Yassin, le groupe de Shamir s’est spécialisé dans les assassinats, dont celui au Caire en 1944, du ministre d’État britannique chargé du Moyen-Orient.

En septembre 1948, le groupe a assassiné le diplomate suédois et médiateur des Nations Unies pour la Palestine, Folke Bernadotte, malgré le travail diplomatique de Bernadotte pendant la Seconde Guerre mondiale qui avait permis la libération de nombreux prisonniers incarcérés par les Nazis. Le motif apparent de l’assassinat était la crainte que Bernadotte, qui était chargé d’élaborer une formule plus durable pour la paix entre Juifs et Arabes en Palestine, ne fasse des propositions qui ne donneraient pas à la partie juive tout ce qu’elle voulait concernant Jérusalem.

L’héritage de Begin et de Shamir s’est perpétué avec les opérations terroristes israéliennes qui, comme l’attentat à la bombe contre l’hôtel King David, ont fait des victimes innocentes. Par exemple, en 1979 (alors que Begin était Premier ministre), un attentat visant un dirigeant de l’organisation palestinienne Septembre noir a utilisé une voiture piégée dans une rue animée de Beyrouth tuant non seulement la cible visée et ses gardes du corps, mais aussi quatre passants, dont un étudiant britannique et une religieuse allemande, et en blessant 18 autres. (Six ans plus tôt, des agents israéliens avaient tué en Norvège un innocent serveur marocain qu’ils avaient pris pour leur cible palestinienne). Dans les chapitres suivants de l’histoire des assassinats israéliens on compte le meurtre de scientifiques iraniens, le plus récent ayant eu lieu en novembre dernier.

Un autre État du Moyen-Orient qui échappe généralement à l’étiquette « terroriste » malgré un important palmarès d’opérations terroristes est l’Arabie saoudite, le cas le plus flagrant étant le massacre d’un journaliste dissident et résident américain en 2018 dans un consulat en Turquie. L’opération a presque certainement été commanditée depuis le sommet du régime saoudien.

C’est une stratégie, et non le fait d’ un État ou d’un groupe

Le terrorisme est une stratégie. Il ne s’agit pas d’un ensemble pérenne de méchants, de mauvais États ou de mauvais groupes. Le recours à cette tactique est méprisable, mais son utilisation ne conduit pas à une politique d’ostracisme et d’isolement, ou à toute autre politique spécifique, à l’égard d’un régime qui y a eu recours. Quoi que l’on pense de Begin et de Shamir, ils sont devenus des Premiers ministres d’Israël dûment légitimés. Il était nécessaire et approprié pour les États-Unis et d’autres pays de faire des affaires avec eux. Aujourd’hui, il est nécessaire et approprié de faire des affaires avec Israël et avec l’Arabie saoudite, qui sont tous deux des États importants du Moyen-Orient. Leurs pratiques terroristes ne devraient pas empêcher de telles affaires, bien que ces pratiques puissent et doivent être abordées avec ces gouvernements comme étant des problèmes.

Les récents recours israéliens et saoudiens à des tactiques terroristes vont à l’encontre de l’une des principales tendances du terrorisme international au cours des quatre dernières décennies, à savoir le déclin du financement et de la pratique du terrorisme par les États. Ce déclin s’explique notamment par le coût que représente être un paria à l’ère de la mondialisation et par l’incapacité de jouer une superpuissance contre l’autre depuis l’effondrement de l’URSS. Mais ce qui compte pour un État donné, ce sont les incitations et les dissuasions, les opportunités et l’absence d’opportunités, les sanctions et les concessions auxquelles il est confronté et qui influencent ses décisions.

Le fait que certains États qui ont pratiqué le terrorisme dans le passé ont, face à l’évolution des incitations et des circonstances, réduit ou mis fin à leur utilisation de cette tactique (la Libye de Mouammar Kadhafi en est un exemple tout à fait éloquent) réfute l’idée que le terrorisme d’État est une question « d’États terroristes » qui seraient intrinsèquement voués à cette pratique. Cette notion sous-tend l’approche « terroriste un jour, terroriste toujours » souvent adoptée à l’égard de ces États. Et cette approche conduit à un ostracisme infructueux plutôt qu’à une gestion des incitations et des circonstances qui rendrait moins probable qu’un État s’engage dans le terrorisme à l’avenir.

Le mythe de la programmation innée persiste

Malheureusement, la notion de programmation génétique prévaut trop souvent. L’Iran est probablement l’État auquel cette notion est le plus souvent appliquée. L’étiquette apparemment permanente de « premier État à financer le terrorisme » coule automatiquement de source et se substitue à toute considération sérieuse de ce que l’Iran a utilisé comme techniques terroristes, quand et pourquoi, et encore plus à toute considération sérieuse des politiques des autres pays qui tendraient à réduire cette utilisation à l’avenir.

L’utilisation de ces techniques par l’Iran a considérablement évoluée au cours des quatre décennies de la République islamique, notamment avec la réduction des assassinats extraterritoriaux d’opposants politiques – qui étaient similaires à bien des égards aux assassinats extraterritoriaux perpétrés par Israël – après que cette pratique a fait obstacle à l’amélioration des relations entre l’Iran et les États européens. Les opérations terroristes internationales les plus marquantes que l’Iran a tentées par la suite étaient des réponses directes à des attaques israéliennes clandestines similaires contre l’Iran.

L’Iran, tout comme Israël et l’Arabie saoudite, est un État important au Moyen-Orient. Quelle que soit l’opinion que l’on a de ses dirigeants ou de sa couleur politique, il est nécessaire d’y faire des affaires, sur le plan de la sécurité, de l’économie et d’autres questions. Se contenter de coller l’étiquette « d’État terroriste » et l’utiliser comme excuse pour ne pas faire des affaires avec l’Iran et le sanctionner à vitam aeternam n’est pas une manière efficace de traiter les questions impliquant l’Iran, y compris la question du terrorisme elle-même.

Le Hamas, organisation palestinienne, est l’exemple parfait d’un acteur non étatique auquel l’hypothèse de programmation définitive est souvent appliquée, et où l’étiquette « groupe terroriste » est considérée comme la seule chose que nous devons savoir sur l’organisation pour formuler une politique à son encontre. Et le Hamas démontre, comme beaucoup d’autres États et groupes, combien cette hypothèse est fausse. Oui, le Hamas a eu recours au terrorisme, mais il a utilisé d’autres moyens pour poursuivre ses objectifs politiques lorsque les circonstances le permettaient, notamment en participant à des élections libres et équitables et en négociant avec Israël pour libérer des prisonniers et pour établir et maintenir des armistices.

Qu’on le veuille ou non, il est un acteur important de la politique palestinienne et ce qui se rapproche le plus d’une autorité gouvernementale locale dans la bande de Gaza sous blocus. Le cas du Hamas illustre un autre défaut du recours primaire à l’étiquette « terroriste », à savoir l’incapacité à prendre pleinement en compte la signification morale et juridique d’autres formes de violence politique qui nuisent à des personnes innocentes. J’ai utilisé le terme « terrorisme » tout au long de cet article pour me conformer à la définition officielle et légale des États-Unis telle qu’utilisée par le Département d’État, qui fait référence à « la violence préméditée, politiquement motivée, perpétrée contre des cibles non combattantes par des groupes infra-nationaux ou des agents clandestins ».

Le Hamas est une organisation infra–nationale, pas un État, et ses tirs de roquettes sur les villes israéliennes peuvent être définis comme du terrorisme. Étant donné que les pertes civiles beaucoup plus importantes parmi les Palestiniens ont été infligées par l’utilisation manifeste de la force militaire par un État – Israël – les attaques qui ont causé ces pertes ne répondent pas à cette définition du terrorisme.

Si le Hamas disposait de F-16 ou d’autres avions de combat modernes, il les utiliserait sans aucun doute plutôt que des roquettes mal guidées pour riposter à Israël. Il viserait probablement des cibles qu’il décrit comme des combattants, tout en considérant peut-être, comme Israël, les victimes civiles qui en résulteraient comme de malheureux dommages collatéraux. Et si le Hamas était le gouvernement d’un État reconnu, il pourrait faire toutes ces choses et éviter qu’un tel usage de la force soit défini comme du terrorisme.

Le Hamas n’est pas un État et il n’a pas de F-16. Mais ces faits ne devraient pas déterminer où l’opprobre moral doit être placé lorsque la force entraîne la mort et la blessure de civils innocents. Ils ne déterminent pas non plus la culpabilité juridique en matière de crimes de guerre, qui peuvent se produire lorsque des civils sont blessés même si une cible militaire se trouve à proximité.

Les asymétries pertinentes ne se trouvent pas dans les lignes tracées par les définitions du terrorisme, aussi utiles soient-elles à bien d’autres fins, mais plutôt dans les disproportions des souffrances infligées et dans les circonstances qui ont conduit à l’effusion de sang en premier lieu.

*Source : Les Crises

Version originale: Responsible Statecraft – 15-06-2021
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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