Les mesures exceptionnelles instaurées par le président Kaïs Saïed le 25 juillet dernier ont provoqué de nombreuses réactions en Europe et notamment en France.
Deux réactions ont retenu notre attention. 1 Une tribune publiée par Le Monde le 10 octobre « Sur la régression des droits en Tunisie et le devoir de la communauté́ internationale a cet égard », et 2 une résolution du Parlement européen votée et adoptée par 534 voix pour, 45 contre et 106 abstentions.
Voici la réplique de Ahmed Manai président de l’Institut tunisien des relations internationales a la résolution Européenne.
Il nous importe de rappeler à Mesdames et Messieurs les membres du Parlement Européen qui avaient approuvé par leurs votes le projet des recommandations émises concernant la situation en Tunisie, lors de la session du jeudi 21 octobre 2021, quelques vérités historiques.
Le 23 juin 1993, le président Zine Al Abidine Ben Ali avait effectué une visite officielle au Parlement Européen à Strasbourg, et ce fut le premier pas dans le processus qui avait été conclu par la ratification des accords de partenariat entre la Tunisie et l’Union Européenne en 1995.
Le même jour, Ahmed Manaï président de la Coordination pour la Défense des Libertés en Tunisie, (Paris) venait de rencontrer son ami Michel Papayannakis, membre du Parlement Européen et représentant du Parti Communiste Grec, qui lui avait révélé la vérité cachée de ce même projet européen.
Feu Michel Papayannakis
Cette esquisse du projet incarnait le souhait de <<l’empire naissant >>, qui commençait à s’étendre avec aisance et sans résistance à l’est de l’Europe, de faire de même dans le sud du bassin méditerranéen où il n’y avait que la Tunisie favorable à cela.
Et si la ratification de ce partenariat entre les deux parties devait être scellée, l’Europe promettait de protéger le régime tunisien et l’accompagnerait jusqu’à la finalisation du processus de cet engagement, c’est-à-dire après une quinzaine d’années, durant lesquelles l’Europe promettait de taire toutes les atteintes aux droits de l’homme et toutes les dérives et entraves aux libertés que cette collaboration déclencherait, et ce par le biais de l’article numéro 2 de cet accord.
Mesdames et Messieurs les membres du Parlement Européen,
Les années 90 du siècle dernier furent très éprouvantes pour les tunisiens, car à la découverte du projet du coup d’état fomenté par la branche tunisienne des Frères Musulmans, Nahdha, présidée par Rached Ghannouchi, le président du parlement du peuple actuellement gelé, et qui visait à renverser le régime ( la deuxième tentative après celle du 8 Novembre 1987) , le régime de Ben Ali avait riposté par une vague de répression sans précédent qui avait duré des années pendant lesquelles les entraves à toutes les libertés individuelles furent accompagnées d’atteintes à la dignité humaine et d’agressions contre l’intégrité physique et morale des personnes, durant lesquelles des milliers d’individus furent emprisonnés, sauvagement torturés et des dizaines décédèrent des suites des supplices infligés.
Le Parlement avait été fidèle à sa promesse faite au régime de le protéger en se taisant sur ces dérives et entraves meurtrières pendant cette période.
Il ne dérogeât à cette complicité qu’à de très rares occasions, furtives, qui concernaient quelques personnalités politiques et médiatisées en 1996.
Il demeurât sur cette position même lorsque fut divulguée, par des fonctionnaires intègres en 1997, deux documents anonymes et titrés < Les sept familles qui pillent La Tunisie >, et c’était la première fois où l’on mettait à nu l’une des plus importantes figures de la corruption financière qui gangrenait le pays.
Il est à souligner que les représentants de l’Union européenne étaient présents durant toutes les élections législatives et présidentielles qu’avait connues La Tunisie de 1988 jusqu’à 2009, et que tous les rapports émanant de ces observations concédaient un satisfecit général dans le contenu et la forme, et même en 2002 lorsque la constitution tunisienne fut remaniée et 39 de ses 80 articles aménagés à dessein de procurer au Président des pouvoirs quasi absolus et une totale immunité à vie, nous n’avions ni lu ni entendu aucune voix s’élever , encore moins la moindre réserve à l’encontre de tels procédés, alors que la réalité était affreusement autre et totalement différente.
Mesdames et Messieurs les membres du Parlement Européen,
Beaucoup dans le contenu de votre rapport sur la situation en Tunisie est vrai et sans amalgame aucun, mais votre lecture demeure incomplète car vous avez lu la page par le bas et avez commencé par la date à partir de laquelle Le Président Kaïs Saïd avait pris la décision d’activer l’article 80 de la constitution de geler les travaux du parlement, comme si durant les années précédentes, La Tunisie était le paradis de la démocratie où les électeurs se ruaient par millions vers les urnes, les élections libres et transparentes sans aucune surenchère, ni en Dinars ni en Euros, sans trucage et où les députés et gouvernements successifs travaillaient nuit et jour pour le bien-être du citoyen lambda.
Si vous aviez lu la page dès le début, vous auriez découvert que La Tunisie a connu après le 14 janvier 2011 les trois plus graves phénomènes, et par ailleurs les plus étrangers à la société tunisienne et à la longue histoire de la Tunisie qui sont :
Le terrorisme, les assassinats politiques et l’exportation des terroristes au-delà de ses frontières. Quelques-uns d’entre eux ont sévi en Europe, notamment en France, mais ils furent par milliers à semer la mort et la destruction en Lybie, en Syrie et jusqu’au lointain Yémen.
Et je ne pense pas que vous les ignorez, mais que vous feignez occulter, tout simplement par commodité vis-à-vis de votre protégé, de vos fidèles et alliés.
Savez-vous que La Tunisie, pacifique par son histoire et à travers les temps, est devenue l’un des terreaux des opérations terroristes et l’un des plus grands exportateurs de terroristes par rapport à la faible densité de sa population ?
Et nous n’avons pas entendu vos protestations contre cela, ni même votre indignation quant à l’assassinat de trois personnalités politiques tunisiennes, encore moins votre réprobation quant à <la vente > de M.Albaghdadi Mahmoudi qui avait sollicité notre hospitalité, par les gouvernants tunisiens, dont certains étaient un temps des réfugiés politiques sur vos terres…
Ce qui s’est passé en Tunisie en ce jour du 25 juillet 2021 n’est point un coup d’état car il y a une quasi-unanimité pour les experts en droit constitutionnel tunisiens et nombreux sont-ils… !
Pour comprendre ce qui s’est passé et a amené aux initiatives du 25 juillet, il est nécessaire de revenir aux débuts.
Quand l’ancien régime s’est effondré, et dans le contexte des turbulences et d’anarchie généralisées, des luttes politiques, idéologiques et des surenchères démocratiques qu’avait connues le pays, s’est constitué dans l’ombre le pouvoir absolu d’un homme…Qui est devenu au fil des mois et des années, le véritable gouvernant du pays. C’est Rached Ghannouchi, l’éternel président de son propre mouvement : Il est ainsi le véritable décideur avec tous les présidents, tous les gouvernements et tous les parlements. Ce rôle caché ne lui a pas suffi pour assouvir sa soif du pouvoir, car nonobstant sa mainmise sur tous les rouages de l’état par son parti, il avait fait du fauteuil présidentiel sa cible première, quitte à le ravir même provisoirement et pour rentrer dans l’histoire de cette nation.
Ainsi, il a été porté à la tête du Parlement tunisien suite aux législatives de 2019, et a commencé à s’octroyer des pouvoirs et des prérogatives élargis pour asseoir son pouvoir partisan et celui du parlement de manière à cerner et contrecarrer Le Président de La République et l’isoler. L’isoler et l’affaiblir, en créant on ne peut plus usurpateur la terminologie de < diplomatie populaire >, officieuse, parallèle à celle de l’état et à desseins partisans à sa faveur et celle de son mouvement.
Ainsi fut retentissante la réaction au retour.
Vous auriez mieux fait de conseiller à ce vieillard sénile, nous avons le même âge, de se retirer de la vie politique, car vous en étiez capables là où beaucoup de députés et même certains proches et amis de Ghannouchi avaient échoué.
Il faut ainsi rappeler que la trésorerie tunisienne était saine jusqu’aux environs de 2010 et que ce qui s’est passé en Tunisie après cela, est clairement la concrétisation de ce qu’avait dit John Adams, le second Président Américain :
<< Il y a deux manières de détruire une nation : Ou bien la Guerre ( le cas de La Libye, L’Irak, Le Yémen et La Syrie ) , ou bien La Dette.. ! >> Et c’est le cas de La Tunisie.
Ahmed Manaï Président de l’institut tunisien des relations internationales. Auteur de Supplice tunisien, le jardin secret du General Ben Ali. Editions de La Découverte 1995
Paris : Le 26 Octobre 2021.
Traduit de l’arabe par Afif Ben Hamida