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22 novembre 2024

Ça suffit ! Pour un accueil inconditionnel des exilé.es


Ça suffit ! Pour un accueil inconditionnel des exilé.es

Allons-nous continuer à compter les morts innocents et à force de lâcheté, d’hypocrisie et de totale inhumanité, à nous faire contaminer par un imaginaire rance de repli sur soi qui finira par tout.es nous entraîner dans l’abîme ? Non, il faut commencer par rétablir les faits avant que de tout changer en matière de politique migratoire et de droit des étrangers.

Benjamin Joyeux
Journaliste indépendant et juriste en droit de l’environnement, écologiste libertaire, altermondialiste à tendance gandhienne.
Abonné·e de Mediapart

Allons-nous encore longtemps assister impuissant.es à ces « drames », qui sont en fait des crimes, de milliers de morts innocents aux frontières de l’Union européenne ? Allons-nous encore longtemps sous-traiter la gestion des flux migratoires à des Etats qui bafouent ouvertement les valeurs universelles dont nous nous réclamons par ailleurs ? Allons-nous continuer, à force de lâcheté, d’hypocrisie et de totale inhumanité, à nous faire contaminer par un imaginaire rance de repli sur soi (dont le Zemmourisme n’est que le dernier piteux avatar) qui finira par tout.es nous entraîner dans l’abyme ? Non, il faut commencer par rétablir les faits avant que de tout changer en matière de politique migratoire et de droit des étrangers :

« Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers : pas cette société des sans-papiers, des expulsions, des soupçons à l’égard des immigrés (…) toutes choses que nous aurions refusé de cautionner, si nous avions été les véritables héritiers du Conseil National de la Résistance. » Stéphane Hessel

Exilé.es à la frontière entre la Hongrie et la Serbie, août 2015 © Gémes Sándor

Il y a quelques jours, nous nous indignions contre le méchant dictateur biélorusse Loukachenko, se servant ignoblement de femmes, hommes et enfants exilés comme « armes » de chantage vis-à-vis de l’Union Européenne, venant briser leur existence sur le mur-forteresse de la frontière polonaise. Depuis ce mercredi et les 27 personnes mortes noyées dans la Manche, nous nous indignons contre ces affreux « passeurs criminels » qui seraient les uniques responsables de cette abjecte situation. Au prochain « drame » qui ne saurait malheureusement tarder, nous viendrons une fois de plus déverser des litres de larmes de crocodile sur le dos de ces exilé.es, victimes expiatoires de nos propres impérities. Mais quand allons-nous cesser cette affreuse comédie ?

Des chiffres à l’opposé du discours dominant

Depuis 1993, au moins 50 000 personnes sont mortes en tentant de traverser les frontières extérieures de l’UE et depuis 1999, on dénombre plus de 300 victimes rien qu’à Calais et ses alentours. Toutes ces années, nous nous sommes collectivement accoutumés à ce décompte morbide, tandis que des centaines de bénévoles, d’ONG et d’association, de La Cimade à SOS Méditerranée, de Tous Migrants à Utopia56, du Secours Populaire à l’Anafé, refusaient de s’y habituer, contre vents et marées, et surtout contre les politiques des autorités, de plus en plus restrictives. Tous ces mouvements et bénévoles seront vus par nos enfants d’ici quelques années comme les « justes » de notre époque. Mais en attendant des jours meilleurs, il est tout de même urgent de rétablir les faits, n’en déplaise à Macron, Darmanin, Zemmour, Le Pen, Bertrand, Ciotti, Barnier et tous les autres défenseurs zélés de l’injustifiable (la liste est malheureusement trop longue et son imaginaire contamine jusqu’à la « gauche » remontadiste).

Premier fait : on ne peut pas « accueillir toute la misère du monde ? » Tout le monde fait mine d’oublier que Michel Rocard ajoutait « mais on doit en prendre notre part ». Et c’est loin d’être le cas. Les Etats qui font leur part aujourd’hui sont très majoritairement les pays en voie de développement (86%), pourtant bien moins favorisés que nous et en capacité d’accueillir dignement ces populations[1]. En 2020, sur 447 319 916 habitant.es, l’Union européenne comptait 2 657 199 réfugié.es et 471 630 demandeurs d’asile (soit respectivement 0,6 % et 0,1% de la population). Comparaison n’est pas raison mais tout de même : par exemple le Liban, dont la situation actuelle n’est pas au beau fixe, accueille pourtant plus de 1,5 million de réfugié.es pour une population d’environ 6,7 millions d’habitant.es, soit plus de … 22% de la population ! Donc non, nous sommes très loin d’être submergés par des exilé.es en provenance du monde entier. Dans notre pays, 84 864 personnes ont acquis la nationalité française en 2020, soit 0,12% de la population[2]. On est très, très loin de « l’invasion » ou du « grand remplacement » qui occupent pourtant la majorité des temps d’antenne de CNews ou des débats actuels des Républicains[3].

Des mythes à déconstruire

Autre fait justifiant toutes ces politiques migratoires, le fameux « appel d’air ». Cette idée, présentée comme du « bon sens », soutient que toute politique publique plus accueillante qui serait mise en place vis-à-vis des exilé.es inciterait ces derniers à se rendre en masse dans le pays concerné. Fake news ! Tous les gens sérieux travaillant sur les migrations, comme Catherine Wihtol de Wenden, François Gemenne, le CNRS[4]… très loin des politicards de salon, démontrent que le principal facteur du départ est la situation dans le pays d’origine. L’état du droit des étrangers dans le pays d’accueil ou traversé joue à la marge sur le parcours de l’exilé.e. Alors à quoi bon toutes ses politiques publiques sécuritaires si ce n’est pour brosser l’électorat dans le sens du poil brun ?

Pire, les politiques migratoires restrictives telles que menées en France vont jusqu’à freiner les intentions de retour des personnes immigrées, voyant leur libre circulation totalement entravée[5]. Le comble pour les thuriféraires de ces politiques. On va jusqu’à se tirer une balle dans le pied en courant après l’extrême droite, lorsque l’on souhaite comme Xavier Bertrand « réduire de moitié l’immigration des étudiants qui viennent en France[6] ». Alors que ces échanges d’étudiant.es sont fondamentaux pour le rayonnement et « l’attractivité » de notre propre pays, pour parler comme un néolibéral.

Il y a tant à écrire sur toutes ces mesures et ces débats qui polluent depuis des décennies notre champ politico-médiatique, basés sur des fantasmes et de l’idéologie plutôt que sur des raisonnements sérieux, tuant au passage des êtres humains innocents. Focalisons-nous plutôt sur les solutions immédiates à mettre en œuvre, telles que le proposent les écologistes, dans la droite ligne des chercheurs, associations et ONG qui travaillent concrètement et sérieusement sur le sujet loin des caméras depuis des années.

Tentes de migrants à Calais, juin 2015 © Benjamin Joyeux

Mise à l’abri, accueil inconditionnel et voie légale d’arrivée

Comme vient de l’écrire très justement l’anthropologue Michel Agier[7], « les frontières rendent fous : aussi bien les migrants qui sont empêchés de circuler, que les dirigeants politiques qui y voient le symbole de leur obsession nationale. » Il s’agit de sortir immédiatement de cette folie en commençant là, maintenant, tout de suite, à mettre à l’abri les quelques milliers d’hommes, femmes et enfants exilé.es qui errent actuellement, de Briançon à Calais en passant par les rues du nord de Paris, transis de faim, de froid et harcelé.es par les forces de l’ordre, en dépit de nos obligations légales nationales et internationales. Les préfectures en lien avec les collectivités locales doivent cesser de criminaliser les exilé.es pour les mettre à l’abri avant les grands froids de l’hiver. A cet égard, il serait nécessaire que nos dirigeants actuels et aspirants se souviennent que la France est signataire de la Convention de Genève.

« L’appel d’air » étant une fake news, le principe de gestion des politiques migratoires doit devenir l’accueil inconditionnel, sans préjuger du rejet de l’opinion. Si les politiques publiques ne devaient être décidées que fonction de « l’opinion », toujours préfabriquée, nous n’aurions pas autorisé le droit de vote des femmes, légalisé l’avortement ou encore aboli la peine de mort. Il faut respecter les droits des étranger.es et mener avec courage et détermination une politique de l’accueil et une large régularisation des sans-papiers.

Pour aboutir au zéro mort aux frontières de l’Union Européenne, ce qui est le minimum au regard du socle de nos valeurs communes, il faut tout de suite mettre en place des voies sûres et légales d’arrivée pour les exilé.es dans chaque Etat membre de l’UE. Des voies garantissant leur sécurité physique et psychique tout au long de leur parcours migratoire et leur offrant un accueil digne. Rien que d’un point de vue économique, cela coûterait bien moins cher que la gabegie actuelle des politiques migratoires ultra-sécuritaires[8]. Il faut pour cela changer les missions et l’approche de Frontex, mettre fin aux accords scandaleux avec la Turquie ou la Libye pour garantir la transparence et la gestion démocratique des accords avec les pays tiers en matière de contrôle des frontières (ce qui passe évidemment également par la fin de la vente d’armes à des Etats infréquentables sans aucun contrôle à minima parlementaire en France) ; et en finir enfin avec le règlement de Dublin, désastreux tant sur le plan humain que financier.

Pour une France terre d’accueil

En France, il faut complètement revoir l’approche sécuritaire en droit des étrangers en commençant par dessaisir le Ministère de l’Intérieur qui a actuellement tout pouvoir en la matière. L’OFPRA devrait bien plus logiquement relever du Ministère des Affaires étrangères, comme c’était le cas jusqu’en 2007. Les demandeurs d’asile doivent pouvoir travailler et les sans-papiers être régularisés. Sur la question particulièrement délicate des mineurs non accompagné.es, la France est signataire de la Convention internationale des droits de l’enfant. Elle doit donc protéger les jeunes étrangers au même titre que les nationaux, sans aucune discrimination, et en finir avec cette pratique honteuse des tests osseux.

Il y a encore tout un tas de réformes à opérer sur le sujet, comme bien entendu le droit de vote des étrangers, qui ne coûteraient pas plus cher à l’Etat français mais lui redorerait son blason et son triptyque républicains très largement abîmés ces dernières années sur le dos des exilé.es. Les écologistes les proposent dans leur programme pour 2022 à lire notamment ici (à partir de la page 57). Dans les candidat.es actuel.les à la présidentielle, je n’ai pour l’instant entendu que Yannick Jadot avoir un discours très clair, humaniste et ambitieux sur le sujet, loin des polémiques de la Macronie hypocrite et de la droit psychotique. A bon entendeur…

On ne peut pas continuer à nous rendre collectivement responsables de la mort d’êtres humains innocents qui, martelons-le, ont tout quitté par ultime nécessité. Ne jamais oublier que lorsque l’on réduit progressivement les droits des plus fragiles, c’est au final l’ensemble de nos droits qui s’affaiblissent. Alors menons la bataille culturelle en commençant par ne plus se faire imposer les termes du débat par les fantasmes réactionnaires qui sont en train de fasciser la droite et le centre et continuent de tétaniser la gauche. Et surtout tuent à nos frontières. Ça suffit !

Un très grand pardon à tous les exilé.es victimes expiatoires de notre médiocrité collective et une immense gratitude pour toutes les personnes, associations et ONG qui, en les secourant malgré tout, sauvent nos valeurs et notre honneur.

Pour aller plus loin :

https://www.anvita.fr/

https://www.infomigrants.net/fr/

https://www.unhcr.org/fr/

https://www.lacimade.org/faq/les-migrations-internationales-faits-et-chiffres/?gclid=CjwKCAiAqIKNBhAIEiwAu_ZLDoX91zqRuiW8GjNFOR-VDRkgTZgOVrTNKqQ5qGUDECoWCbW_IGdfExoC2dMQAvD_BwE

[1] Voir notamment les chiffres du HCR (Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) : https://www.unhcr.org/fr/apercu-statistique.html

[2] https://www.vie-publique.fr/en-bref/278205-immigration-les-chiffres-pour-lannee-2020#:~:text=L’asile%20et%20les%20naturalisations&text=L’Ofpra%20et%20la%20CNDA,38%2C1%25%20en%202019.

[3] Lire https://www.franceinter.fr/politique/securite-ecole-wokisme-minute-par-minute-de-quoi-ont-parle-les-candidats-lr-lors-du-troisieme-debat

[4] Lire https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/07/01/deconstruire-le-mythe-de-l-appel-dair/

[5] Voir https://www.migrationsenquestions.fr/question_reponse/2658-les-migrants-africains-retournent-ils-dans-leur-pays-dorigine/

[6] Voir https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/xavier-bertrand-je-souhaite-reduire-de-moitie-l-immigration-des-etudiants-qui-viennent-en-france_VN-202111140264.html

[7] Lire https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/ces-frontieres-qui-rendent-fou-et-qui-tuent-20211125_MX2LPWLCEFHLDDOTML3RYICQGU/?xtor=CS8-60

[8] Lire notamment https://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/11-milliards-d-euros-le-cout-des-expulsions-de-migrants-en-europe-depuis-2000-485223.html

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