La France rythmée par les violences policières et les crimes policiers impunis
11 mai 2022
La France rythmée par les violences policières et les crimes policiers impunis
Par Khider Mesloub.
La réélection d’Emmanuel Macron fut sacrée et sabrée, non au son des clameurs des foules, royalement indifférentes au succès électoral du candidat de la finance, mais des sifflements de balles réelles tirées, en plein centre de Paris, par un policier contre trois passagers d’une voiture. Bilan : deux morts et un blessé grave. Ainsi, l’inauguration du second mandat du locataire de l’Élysée, au premier mandat marqué par une politique répressive de tous les mouvements sociaux, notamment des Gilets jaunes, s’amorce sous les violentes rafales des balles meurtrières policières. Manière tonitruante (plutôt tuante, en cette période militariste) de rappeler au prolétariat le caractère foncièrement répressif du régime capitaliste macronien, l’infléchissement belliqueux imprimé à la nouvelle gouvernance, illustrée par la participation de l’État français impérialiste à l’escalade des tensions armées en Ukraine, première ébauche de la guerre mondiale en préparation, pleinement assumée par le va-t-en-guerre Macron. Évidemment, comme à l’accoutumée, les médias stipendiés ont fourni une version policière pour relater ce fait-divers meurtrier, promptement politisé par la police elle-même à la suite de la mise en examen du policier, sous le chef d’inculpation d’homicide volontaire. Pour s’exonérer de leur responsabilité, les syndicats de la police, notamment le syndicat d’extrême-droite Alliance, sont aussitôt montés crânement au créneau pour brandir leur seconde arme favorite : la légitime défense. Ils ont déclaré que le conducteur avait mis en danger leur collègue par son refus d’obtempérer. Or, si la voiture était en infraction, quand bien même en délit de fuite, il suffisait aux policiers de relever le numéro d’immatriculation de la voiture pour pouvoir aisément et légalement retrouver ensuite le conducteur (selon le rapport de police, les cinq agents des forces de l’ordre ont décidé de contrôler ce véhicule qui stationnait en sens inverse au niveau du Quai des Orfèvres. Ils l’observaient depuis un moment et soupçonnaient ses occupants de se livrer à un trafic de stupéfiants. Donc, ils avaient eu largement le temps de relever les numéros de la plaque minéralogique). À plus forte raison, quand bien même le policier pouvait user de son arme pour neutraliser le véhicule, logiquement il devait viser les pneus. Et non directement le conducteur. Encore moins également ses autres passagers. Manifestement, en l’espèce le policier, en déchargeant, sans sommation, son pistolet automatique sur les trois passagers, a délibérément voulu les tuer. Le policier a tiré une dizaine de cartouche de fusil d’assaut HK G36, une véritable arme de guerre. La volonté de tuer est manifeste, comme le juge chargé de l’instruction l’a retenue contre le policier. En effet, le policier a été mis en examen du chef d’homicide volontaire. Mais, comme il est d’usage dans les affaires criminelles policières, le mis en cause a été remis en liberté sous contrôle judiciaire, de surcroît sans interdiction d’exercer ses fonctions. En France, depuis plusieurs décennies, tout se passe comme si l’abolition de la peine de mort au plan judiciaire a été remplacée par le Permis de tuer accordé aux policiers. C’est ce qui s’appelle la justice meurtrière expéditive. Répétitive. Sans délibération. Ni condamnation. La justice du pistolet. Le verdict des balles guillotineuses. En particulier, quand il s’agit de jeunes issus de l’immigration. Au reste, apparemment, les deux jeune hommes, abattus le 25 avril dernier à Paris par le policier, étaient d’origine africaine. La France est ainsi, ces dernières décennies, rythmée par les violences policières et les crimes policiers. Dans cette période de crise multidimensionnelle et de délégitimation gouvernementale, marquée par l’exacerbation de la lutte des classes, l’État français protège et couvre de manière générale les policiers, son dernier rempart. La politique du gouvernement, en matière de répressions, vise, quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte, l’absolution des violences policières systémiques, illustrée notamment par l’impunité dont bénéficient les policiers, auteurs d’exactions ou d’homicide. C’est mû par cet esprit d’impunité que le syndicat de police d’extrême-droite Alliance a appelé, lundi 2 mai, à un rassemblement en soutien au policier mis en examen. Les manifestants policiers ont plaidé « la présomption de légitime défense ». Or, comme le dénoncent plusieurs avocats et associations de victimes de violences policières, cette revendication de présomption de légitime défense constitue ni plus ni moins qu’un « Permis de tuer ». Il est important de rappeler que ce permis de tuer, autrement appelé « présomption de légitime défense » par la police, fut porté lors de la campagne présidentielle par Marine Le Pen et Éric Zemmour. Au reste, le même jour, le lundi 2 mai, plusieurs collectifs comme Urgence Notre Police Assassine, le comité Vérité et Justice pour Souheil, le comité Justice pour Lahoucine Ait Omghar, le comité Justice pour Abdoulaye Camara, le comité Justice pour Olivio Gomes, le collectif les Mutilé.es pour l’exemple ou encore l’Observatoire National contre les violences policières avaient appelé à une contre-manifestation pour dénoncer les violences policières et réclamer l’abrogation de la loi L435-1 permettant l’élargissement de la légitime défense pour les policiers. Emboîtant le pas aux collectifs contre les violences policières, le Syndicat de la magistrature a dénoncé à son tour « la défiance envers la justice » des policiers, qui manifestent contre la mise en examen de l’un d’eux. « Ce qui pose question c’est la défiance envers la justice qui devient quasi systématique de la part des syndicats de police », a déploré sur France-info Sophie Legrand, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature. « Ça pose vraiment une question de crise de confiance », a-t-elle ajouté. « Ce qui nous pose problème, ce n’est pas qu’ils critiquent une décision de justice, puisqu’on est favorables à la critique », a précisé Sophie Legrand. Elle s’inquiète de « la revendication sous tendue », celle de la « présomption de légitime défense qui s’imposerait pour tous les policiers, qui supposerait qu’on ne fasse pas d’enquête quand un policier tue quelqu’un dans l’exercice de ses fonctions ». Sans conteste, ces dernières années, au nom de la « légitime défense d’État », initialement dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme », puis de la gestion sécuritaire de la pandémie de Covid-19, on assiste à une extension significative des pouvoirs de la police. Cette extension des pouvoirs de la police, symbolisée par le droit d’usage des armes, a été actée par l’adoption de la loi du 28 février 2017 autorisant les policiers à tirer, après sommation, sur des personnes en fuite. C’est une sorte de blanc-seing octroyé aux policiers. Une forme déguisée de légitime défense. D’absolution des crimes policiers. De fait, historiquement, notamment en France et aux États-Unis imprégnés par un racisme ethnique et social, la légitime défense, véritable meurtre dit défensif, fut toujours une cause d’irresponsabilité pénale accordée à certains individus au détriment d’autres, en vertu de leurs caractéristiques sociales ou statut professionnel supérieur ou étatique. Notamment aux policiers. Aux nantis, les hommes blancs des classes privilégiées, quand les victimes appartiennent aux classes défavorisées, particulièrement les populations issues de l’immigration, continuellement marginalisées, réprimées ou ostracisées, par ailleurs, de nos jours, accusées d’islamistes, voire de terroristes, quand elles sont de confession musulmane, pour légitimer leur répression (leur meurtre). Une cause d’irresponsabilité accordée également aux policiers en intervention, auteurs d’exactions comme d’homicide. Quoi qu’il soit, en France, dans les affaires de violences policières comme des crimes policiers, on assiste systématiquement à une inversion accusatoire. Les policiers, auteurs de meurtres, sont présentés comme les victimes, et la ou les personnes tuées comme présumées coupables en raison de leurs dérisoires antécédents judiciaires de délinquance médiatiquement exhibés pour les stigmatiser, les anathématiser, les condamner. Au yeux des médias comme de la justice, les victimes de violences policières et d’homicide sont jugées automatiquement comme violentes et délinquantes car « défavorablement connues des services de police », selon la formule médiatique consacrée. Donc, la présomption de culpabilité s’abat comme une chevrotine sur ces victimes doublement assassinées : la première fois par la police, la seconde par l’institution médiatique et judiciaire de la classe dominante. Cette inversion accusatoire est favorisée par la propagande médiatique et étatique qui propage le discours raciste faisant l’amalgame entre immigration et délinquance, massivement répandu par l’ensemble de la classe politique française, et le discours de mépris de classe faisant l’amalgame entre classe populaire et déviance, « Classes laborieuses et classes dangereuses », théorisé par l’historien Louis Chevalier dans son livre éponyme publié en 1958. En effet, historiquement, avant la stigmatisation des immigrés de confession musulmane, accusés de nos jours d’être vecteurs de délinquance et de criminalité, longtemps, tout au long du XIXème siècle, ce fut la classe ouvrière « française » nouvellement formée et concentrée dans les villes, notamment à Paris, qui était fustigée pour ses soi-disant inclinations criminelles, sa brutalité et sa violence congénitale (les théories biologiques pour analyser et expliquer la criminalité étaient très en vogue à cette époque. La criminalité s’expliquait, selon les pénalistes et politiciens de l’époque, par des déterminismes biologiques, évidemment inhérents exclusivement aux populations populaires). La criminalité comme la violence étaient associées aux classes laborieuses (de nos jours, elles sont associées à la population immigrée de confession musulmane), définies biologiquement comme dangereuses, porteuses de vices. Donc, moralement et socialement inassimilables au modèle républicain bourgeois dominant. Ces populations populaires étaient considérées par les élites, animées d’un mépris de classe politiquement assumé, comme « perdues pour la société civilisée française », car moralement corrompues. C’est ce mépris de classe (racisme de classe) qui explique les multiples répressions dont furent fréquemment victimes les classes populaires françaises tout au long du XIXème siècle. L’exemple le plus connu est le massacre sanglant des Communards de Paris par le gouvernement versaillais. De nos jours, ce sont désormais les populations immigrées de confession musulmane, issues majoritairement des anciennes colonies françaises, qui sont considérées comme des catégories culturellement dangereuses, sociologiquement violentes, religieusement inadaptables, donc vouées à être contrôlées, surveillées, réprimées, voire impunément tuées, notamment par la police. Les exactions policières et les crimes policiers sont ainsi ancrés dans la culture de la gouvernance de l’État français. Le peuple algérien porte encore les stigmates des répressions et tueries subies durant 132 ans, perpétrées singulièrement par la police française, en particulier durant la guerre de Libération, entre 1954 et 1962. En effet, huit ans durant le peuple algérien fut victime de ratonnades, de bastonnades, de chasse aux faciès, d’arrestations arbitraires, de torture, d’emprisonnement, d’exécutions sommaires, de pogroms, commis en toute impunité par la police française, notamment à Paris le 17 octobre 1961.
Khider MESLOUB |