La théologie de la Libération
20 juin 2022
Forum – réactions et commentaires sur cet article
Commentaire de Ahmed Manai, 23 mai 2007
L’excellent article de Mohamed Tahar Bensaada m’incite à faire ces quelques remarques de pure forme. Le titre de l’article, la théologie de la libération, ne me semble pas convenir à une introduction de la pensée de Malek Bennabi, pour au moins deux raisons. La première a trait à l’antériorité de sa pensée par rapport à la théologie de la libération et la seconde aux références intellectuelles de l’auteur. Comme chacun sait, la théologie de la libération est un mouvement de pensée et d’action politique, né en Amérique latine au début des années 1970, au sein de certains milieux catholiques, préoccupés par les problèmes de justice sociale dans des pays indépendants, formellement du moins, mais minés par toutes sortes d’injustices et secoués par de nombreuses luttes armées. Ce mouvement était par ailleurs très influencé par le communisme, même s’il entendait renouer avec une certaine solidarité chrétienne pour essayer justement de limiter l’influence de l’idéologie marxiste sur les sociétés latino-américaines. La pensée de Malek Bennabi (sur la décolonisation, la libération, le développement et la réinsertion du monde musulman dans le mouvement de l’histoire et la civilisation humaine), est bien antérieure à la théologie de la libération. Elle s’est élaborée à partir des années 1940, comme nous le rappellent ses nombreux ouvrages de l’époque : « Les Conditions de la renaissance (1947) », mais surtout à partir des années 1950, avec « vocation de l’islam (1954), L’Afro Asiatisme (1956), Discours sur la nouvelle édification (1958), La Lutte idéologique en pays colonisé (1958), Idée du Commonwealth islamique (1959), Réflexions (1959) et autres… Cette pensée ne doit rien aux mouvements politiques islamiques de l’époque, notamment « la confrérie des frères musulmans », même si certains intellectuels de cette mouvance n’hésitent pas à la récupérer. Déjà dans « Vocation de l’islam », l’auteur avait émis de sérieuses réserves, sur certaines activités de cette confrérie et sa propension à instrumentaliser l’islam à des fins politiques. Il avait développé sa réflexion à ce sujet, dans un papier qu’il m’avait adressé quelques mois avant son décès en 1973, pour une nouvelle édition de « Vocation de l’islam », dont il m’avait confié le soin et que je n’ai pu réaliser. Cette pensée ne doit rien non plus au Marxisme, comme c’est le cas de « la théologie de la libération ». C’est la pensée d’un homme de foi et de pratique, un non-conformiste, indépendant de toutes les institutions officielles, religieuses et politiques, un homme « colonisé ou ex-colonisé », dans une société « algérienne et plus largement musulmane » qui l’était plus encore. Un homme habité déjà par le mondialisme ! Merci encore une fois à Mohamed Tahar Bensaada, d’avoir rappelé les nombreux disciples de Malek Bennabi(dont je suis) à leur devoir de fidélité au Maître. J’ai eu en effet le privilège de fréquenter assidûment, avec quelques autres, les réunions qu’il organisait chez lui tous les samedis après-midi, d’octobre 1964 à mai 1965. Il est temps pour nous tous, de rendre à Malek Bennabi, un peu de ce que nous lui devons, d’autant qu’il a eu raison sur au moins deux points :
1) la colonisabilité de nos sociétés musulmanes, toujours réelle, est un appel permanent au colonialisme…et la bête immonde est bien là.
2) L’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques, altère la pureté de la foi, exacerbe les tensions sociales et religieuses et provoque parfois des catastrophes. J’y reviendrai un jour !