BusnesNews
18/07/2022 | 19:11
Après onze ans d’exil volontaire en France, le philosophe et ancien ambassadeur de Tunisie auprès de l’Unesco, Mezri Haddad, est revenu au pays mi-juin dernier pour 48h. Nos confrères de Jeune Afrique ont alors évoqué ses « deux visites nocturnes à Carthage », ce que Mezri Haddad a évidemment démenti.
Depuis une dizaine de jours, il est de nouveau à Tunis mais cette fois-ci pour présenter ses trois derniers livres récemment édités à Paris. Le premier, « Mon combat contre l’islamisme et ses idiots utiles », sorti chez L’Harmattan en février dernier est la somme de ses chroniques publiées de 1989 à 2000 dans les quotidiens français Libération, Le Monde et Le Figaro. Le second, « La Face cachée de la révolution tunisienne. Islamisme et Occident : une alliance à haut risque », est une réédition augmentée de son essai sorti en France et en Tunisie cinq mois avant les premières élections démocratiques d’octobre 2011 dans lequel il avait d’ailleurs annoncé « le triomphe des Frères musulmans locaux » et violemment dénoncé « l’imposture du printemps arabe ». La nouvelle édition qui sortira également en arabe contient un chapitre de 100 pages intitulé « La Tunisie, onze ans après le coup d’Etat islamo-atlantiste ». Le troisième livre, « Du choc de civilisation à la guerre de substitution », qui vient de sortir à Paris chez J.C. Godefroy, traite du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Mezri Haddad y retrace la genèse de cette guerre « par procuration » et prend clairement position pour Vladimir Poutine.
Une cérémonie de dédicace s’est déroulée le jeudi 14 juillet, à l’hôtel Mövenpick de Gammarth en présence de plusieurs personnalités politiques et intellectuelles de premier plan. La veille, Mezri Haddad a précisé sur sa page Facebook qu’il était « Désolé que la date de cette rencontre tombe le 14 juillet. Ce n’était pas pour faire concurrence à l’ambassade de France…mais parce que l’hôtel n’avait pas une autre date à proposer aux organisateurs » !
L’événement a réuni plusieurs personnalités politiques, notamment Iyadh Ouederni, Hathem Ben Salem, Ridha Grira, Habib Ammar, Kamel Hadj Sassi, Afif Chelbi, Slim Tlatli, Mohamed Ayachi Ajroudi, Mohamed Lamine el Abed, Oussama Romdhani…Egalement présents dans la salle la journaliste et militante Hend Yahia, Taieb Zahar, Ridha Mellouli, Hédi Ben Nasr, Lotfi Laâmari, Habib Jegham…
Chacun des livres de Mezri Haddad a été présenté par une personnalité universitaire. Le premier intervenant a été Abdellaziz Kacem, qui a présenté « Du choc de civilisation à la guerre de substitution ». Selon lui, ce livre est « d’une grande lucidité géopolitique » qui n’est pas « dans le politiquement correct ». Au sujet du printemps arabe, Abdellaziz Kacem a déclaré que « l’histoire a fini par donner raison à Mezri Haddad ». Le second intervenant, Moncef Gouja, a commenté « La face cachée de la révolution tunisienne » en s’attardant d’abord sur un ancien essai de Mezri Haddad, « Carthage ne sera pas détruite » (2002) où « l’auteur a quasiment prédit ce qui est arrivé en janvier 2011 ». Pour Moncef Gouja, Mezri Haddad « est le seul intellectuel qui, dans La face cachée de la révolution tunisienne a été d’une clairvoyance rare et d’un courage qui lui a valu à l’époque un lynchage médiatique d’une rare violence… ».
Le troisième livre, « Mon combat contre l’islamisme et ses idiots utiles » devait être initialement présenté par le professeur Mohamed Mahjoub, qui s’est excusé car il a été testé positif au Covid. C’est donc l’universitaire Emna Jablaoui qui l’a brillamment remplacé. Elle a indiqué « qu’à l’instar d’Ibn Abi Dhiaf, le livre de Mezri Haddad se décline en chroniques étalées sur près d’un quart de siècle d’analyses rétrospectives et prospectives », qui « relatent aussi l’évolution intellectuelle et politique de l’auteur, opposant de la première heure, rallié à Ben Ali par anti-islamisme viscéral ».
S’est engagé par la suite un débat qui a été modéré par Amal Belhadj Ali. L’intervention d’Habib Ammar a été particulièrement remarquée. Celui qui a joué un rôle majeur dans le coup d’Etat médical du 7 novembre 1987 a rappelé que « le grand président Bourguiba n’était plus en mesure de poursuivre son œuvre compte tenu de sa maladie et de son âge. Nous avons agi en patriotes en inscrivant notre politique dans la continuité bourguibienne ». Mezri Haddad a ajouté que « si la Tunisie moderne est le produit du génie politique de Bourguiba, le père de la nation, son successeur a aussi ses titres de noblesse et de faiblesse ! Les dix premières années de son règne, Ben Ali a été à la hauteur des défis de l’époque et ses réalisations économiques et sociales sont incontestables ». Il a ensuite rendu hommage aux « ministres et grands commis de l’Etat, les présents dans la salle comme les absents, qui ont mené des réformes capitales et qui ont été dès 2011 ostracisé, stigmatisé et humilié par de pseudo-révolutionnaires incompétents et corrompus qui ont ruiné la Tunisie en moins de dix ans ».
De Bourguiba, il a été beaucoup question samedi 16 juillet à Monastir, où Mezri Haddad s’est rendu pour se recueillir d’abord sur la tombe de son père, de ses oncles et de ses ancêtres originaires de cette ville, avant de s’incliner devant le sarcophage de Bourguiba, pour se recueillir ensuite devant le tombeau de Hédi Nouira, Hédi Mabrouk et Mohamed Mzali. Invité par Radio Monastir, il a déclaré qu’il n’était pas là « pour la photo, comme certains politiciens post-révolutionnaires, mais en tant que monastirien fier de ses origines et bourguibiste incurable ».
A l’invitation de l’association de sauvegarde de la Médina de Monastir, Mezri Haddad a ensuite donné une conférence au siège de cette association devant plusieurs personnalités de la ville de Monastir, d’anciennes figures historiques du parti destourien, d’intellectuels, d’universitaires et d’étudiants. Le professeur d’histoire à l’université de Sousse, Adel Ben Youssef, a retracé « le parcours exceptionnel du philosophe autant que du politique, Mezri Haddad », avant de lire le message que l’opposant historique Ahmed Manaï tenait à lui rendre. Le même hommage lui a été rendu par Slaheddine Ferchiou, Hédi Bouzguenda, deux grandes figures destouriennes du Sahel, ainsi que par le maire de Monastir, Mondher Marzouk. Interrogé par un intervenant sur la nouvelle constitution soumise à référendum par le président Kaïs Saïed et sur son intention de vote, Mezri Haddad a répondu : « sans la moindre hésitation, je voterai pour ». Mais pour ajouter tout de suite : « non pas que la nouvelle constitution soit parfaite -la perfection n’étant pas de ce monde- mais pour passer tout de suite à l’essentiel, au vital et à l’existentiel, à savoir la restauration de l’Etat et surtout apporter des réponses urgentes au peuple qui a faim, aux chefs d’entreprises qui sont dans l’attentisme et à la jeunesse au chômage, qui a été trahie et abandonnée par Ennahdha autant que par Nidaa Tounes ».