Si au travers de l’Ukraine, l’objectif des États-Unis est de dominer le monde, il ne peut y avoir de paix durable, librement consentie par toutes les nations.
Jean-Luc Baslé
Quelques mois après l’effondrement de l’Union soviétique, en février 1992, les États-Unis déclare leur intention de ne plus tolérer de concurrent susceptible de s’opposer à leur vision du monde dans un document au titre abscons : Defense Planning Guidance. Le mot ne figure pas dans la déclaration, mais c’est d’hégémonie dont il s’agit. Les États-Unis entendent être les seuls maîtres du monde. C’est leur destinée. Dans ce schéma, la Russie n’a pas sa place en tant que puissance souveraine. Aussi, ne faut-il pas s’étonner qu’en dépit des assurances qui auraient été données à Mikhaïl Gorbatchev que l’OTAN n’avancerait pas d’un pouce à l’est, en échange de son accord sur la réunification de l’Allemagne, l’OTAN ait agrégé les anciennes nations de l’Empire soviétique, hormis le Belarus, la Géorgie et l’Ukraine.
Cette dernière nation est la pierre d’achoppement. Les États-Unis veulent l’intégrer à l’OTAN pour consolider leur emprise sur l’Europe alors que la Russie s’y oppose pour les mêmes raisons de sécurité qui font que les États-Unis n’aurait jamais accepté jadis que le Mexique ou le Canada fasse partie du Pacte de Varsovie. On se souvient de la réaction américaine à l’installation de missiles soviétique à Cuba. Il s’ensuit que la Russie ne peut accepter que l’Ukraine intègre l’OTAN. Vladimir Poutine en a informé les Occidentaux lors de son discours de février 2007 à Munich.
Les États-Unis n’y prêtèrent aucune attention, à preuve la Déclaration de Bucarest d’avril 2008 qui invite formellement l’Ukraine et la Géorgie à rejoindre l’OTAN. Si cela devait être un jour, les dirigeants russes pourraient déclarer, paraphrasant Winston Churchill, que « de Tallin en Mer Baltique à Batoumi en Géorgie un rideau de fer est descendu à travers le continent ». Si l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN de jure, elle l’est de facto depuis la Révolution Maïdan de février 2014 qui mit fin à la présidence de Viktor Ianoukovytch, élu démocratiquement le 7 février 20101.
Cette révolution est un coup d’état ourdi par les États-Unis. Victoria Nuland, assistante du Secrétaire d’état pour l’Europe, reconnut avoir dépensé 5 milliards de dollars pour obtenir ce résultat lors d’un discours au National Press Club le 25 avril 2014.
Nous savons aujourd’hui grâce aux révélations d’Angela Merkel et de François Hollande que les Accords de Minsk, sensés rétablir le calme dans le pays après la révolution, accords paraphés par l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France, n’étaient qu’un rideau de fumée visant à donner à l’Ukraine le temps de se préparer à la guerre. Et de fait, de 2014 à 2022, l’OTAN entraîna les forces ukrainiennes. Nous savons aussi, suite à l’invasion de la Russie, que Victoria Nuland s’est inquiétée lors d’une audition au sénat du sort des laboratoires biologiques que les États-Unis avaient installés en Ukraine, craignant que les Russes n’aient accès à des secrets de fabrication américains.
Prenant modèle sur l’Empire britannique dont ils se sont libérés, les États-Unis se perçoivent comme un empire dès leur origine. Dans une lettre au marquis de Lafayette, George Washington décrit la nation dont il est le président comme un « mini empire ». Benjamin Franklin partage ce point de vue. La doctrine de Monroe confirme cette vision que la nation a d’elle-même. Cette destinée « manifeste » est un faux-nez derrière lequel se cachent des intérêts politiques, économiques et financiers. La guerre américano-mexicaine de 1848 est impérialiste, tout comme l’est l’expédition du commodore Perry sur le Japon, ou la conquête d’Hawaï ou encore la « libération » des Philippines qui se transforme en colonisation. L’aspiration à dominer le monde prend forme à la fin de la Seconde guerre mondiale et se cristallise avec l’effondrement de l’Union soviétique. D’impérialiste la politique américaine est devenue hégémonique. C’est un mirage, comme l’a démontré John Mearsheimer2.
Il ne peut y avoir de paix durable en Ukraine ou ailleurs dans le monde sans un renoncement des États-Unis à leur vision hégémonique – vision que George W. Bush a si bien exprimé lorsqu’il a déclaré urbi et orbi : « ou vous êtes avec nous, ou vous êtes avec les terroristes » … les « terroristes » étant destinés à disparaître. Le président de la nation la plus puissante au monde raisonne comme un enfant.
Jean-Luc Baslé
Jean-Luc Baslé est ancien directeur de Citigroup (New York). Il est l’auteur de « L’euro survivra-t-il ? » (2016) et de « The International Monetary Système : Challenges and Perspectives » (1983).
Notes
1. Le résultat fut jugé « transparent et honnête » par les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
2. Bound to fail. 2019.