le droit des peuples en question
4 juillet 2011
Le droit des peuples en question
Le 9 mars 1928 on pouvait lire dans la Dépêche algérienne ce commentaire : «Ce fait est-il répréhensible au point qu’il nécessite le déploiement de tout l’appareil judiciaire?» L’article commente l’acquittement du colon Ginestous qui avait achevé à coups de crosse, après l’avoir blessé d’un coup de fusil, un «indigène» coupable d’avoir emprunté un chemin desservant sa propriété.
Le journal s’indignait que le colon soit jugé et que l’on dérange policier, juge et greffier pour la simple élimination d’un Algérien. Dans ce «fait divers», le colonialisme s’exprime dans toute sa pertinence. Doublement, dans l’acquittement et dans l’indignation du journal. A l’origine fut ce droit, que se sont donné par les armes les colonisateurs, de soumettre des êtres humains à leur seule volonté. Le code de l’indigénat. Ensuite, il en a fallu des souffrances et des morts, par centaines de milliers, pour que ce système recule et soit défait. Seulement, il ne s’est jamais avoué vaincu. Malgré les professions de foi contre le nazisme et la floraison de lois et autres textes sur les droits de l’homme, les faits et les comportements des nations dites démocratiques ne laissent pas de constater que les trois quarts de l’humanité ne sont pas concernés. Ce qui fait réagir Aimé Césaire : «Ce que le très chrétien bourgeois du XXe siècle ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, c’est le crime contre l’homme blanc». C’est ce qui est en train de se confirmer.
En principe, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est consacré.
Ce droit est appuyé par la résolution 1514 (XV) de l’ONU, du 14 décembre 1960, qui stipule que «toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes des Nations unies». Puis vint la résolution 2625 du 24 octobre 1970, qui précise que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne peut être interprété «comme autorisant ou encourageant une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout État souverain et indépendant». Mais, en fait, c’est cet article 22 du Pacte de la défunte Société des Nations qui devient d’actualité. Selon ses rédacteurs, il y a «des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien-être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation».
En Irak, en Afghanistan et en Libye, nous sommes en plein dedans. Il faut juste remplacer le mot «civilisation» par celui de «démocratisation» et le passage prend toute son actualité. Il manque seulement une codification précise de cet état de fait qui donnera «légalement» «la tutelle de ces peuples aux nations développées … qui consentent à l’accepter». En attendant, les résolutions dérogatoires qui recentrent le droit selon les mots de Césaire, les victimes «collatérales» sur le théâtre de la démocratisation et le dernier discours de Hillary Clinton aux chefs d’Etat africains en préparent le terrain.
Par Ahmed Halfaoui