Quatre mois plus tard :L’échec de l’OTAN contre la Libye désormais confirmé
21 juillet 2011
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20 juillet 2011
la gauche devrait se réjouir d’assister à la déroute d’une expédition coloniale
La débâcle de l’OTAN en Libye (Counterpunch)
Alexander COCKBURN
Après trois mois et demi de bombardements et de livraisons d’armes à différentes factions rebelles, l’échec de l’OTAN dans ses efforts pour promouvoir un « changement de régime » en Libye est désormais évident.
A l’évidence, les commandants de l’OTAN espèrent encore en la bombe chanceuse qui tuerait Kadhafi, mais à ce jour le pouvoir est encore entre les mains du dirigeant Libyen, tandis que les puissances de l’OTAN s’entredéchirent.
Les rapports sur les délibérations à Istanbul du Groupe de Contact de l’OTAN ont un côté surréaliste, où la Secrétaire d’Etat (US) Clinton et le Ministre des Affaires Étrangères britannique Hague ont solennellement réaffirmé leur engagement pour un changement de régime et une consolidation des relations avec le Conseil de Transition à Benghazi, alors que l’humiliation de toute l’expédition de l’OTAN entrera dans les livres d’histoire comme un avertissement sur les dangers des illusions politiques au service de « l’interventionnisme humanitaire », comme un exemple du travail épouvantable effectué par les services de renseignement, des illusions sur les bombardements et la suprématie des airs, et sur une des pires campagnes de presse jamais vue.
Prenez par exemple le premier ministre britannique David Cameron. Il peut remercier Rupert Murdoch, et même le misérable Andy Coulson pour l’ironie de cette histoire. Son incroyable erreur de calcul et son obstination à embaucher l’ancien rédacteur de News of the World, Coulson, a tellement occupé l’espace médiatique ces derniers jours qu’elle occulte une autre incroyable erreur de calcul sur la scène internationale et lui évite railleries et critiques.
Lorsque Cameron a rejoint le président français Sarkozy au début de mois de mars dans sa charge contre Kadhafi, apparemment aucune mise en garde n’est venu troubler l’ambiance guillerette qui régnait à Downing Street (bureaux du premier ministre britannique – NdT). C’était comme si les bourdes et les erreurs de Blair en Irak, sans cesse exhumées au cours des années qui ont suivi, n’avaient jamais existé.
Cameron, comme Sarkozy, Clinton et Obama, étaient en possession de rapports des services de renseignement sur la situation en Libye. Est-ce qu’un de ces rapports leur a expliqué que Kadhafi pouvait se révéler plus dur à cuire que les dirigeants tunisien ou égyptien, qu’il pouvait même bénéficier d’un certain soutien populaire à Tripoli et dans ouest du pays, qui a toujours été en conflit avec Benghazi et les régions de l’est ? Si c’est le cas, est-ce que quelqu’un l’a lu ?
La presse occidentale, de même qu’Al Jazeera, n’a pas été d’une grande aide dans cette affaire. Les accusations initiales contre Kadhafi et le « génocide » commis contre son propre peuple ou le recours aux viols massifs s’appuyaient sur des rumeurs invérifiables et des bulletins de propagande diffusés depuis Banghazi et ont été discrédités par des organisations respectables telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch. Toute prétention que la Cour International de Justice pouvait avoir en matière d’impartialité a été minée par son instrumentalisation au service de l’OTAN, par des inculpations hâtives lancées contre Kadhafi et ses plus proches collaborateurs à chaque fois que les intérêts de l’OTAN étaient en jeu.
Les journalistes à Benghazi sont devenus les Pom-Pom girls de ce qui depuis le début n’était à l’évidence qu’un ramassis de factions disparates et désorganisées. Les journalistes à Tripoli ont été réticents à écrire une seule ligne qui pouvait paraître aux yeux de leurs rédacteurs en chef trop « complaisante » à l’égard Kadhafi, un personnage diabolisé en Occident depuis pratiquement le début de ses 40 ans de pouvoir. Les progressistes américains (et français, pardi ! – NdT) exultaient parce qu’ils tenaient là enfin une « guerre juste » et pouvaient applaudir les bombardiers de l’OTAN avec la conscience tranquille et s’accrocher à leurs fantasmes sur la pureté révolutionnaire des rebelles.
L’histoire nous démontre qu’aucun largage de milliers de tonnes de bombes et de missiles, et quel que soit leur soi-disant « précision chirurgicale », ne provoque un élan d’enthousiasme de la part des civils qui les reçoivent, même lorsque chaque projectile est tamponné et certifié « humanitaire » et largué « avec les meilleures intentions du monde ». Tripoli a récemment connu de vastes manifestations pro-gouvernementales. La population Libyenne est de 6 millions, dont 4 à Tripoli. Kadhafi se promène dans la ville dans une Jeep ouverte. Un grand nombre d’AK-47 ont été distribués aux comités de défense civiles. Les forces de sécurité de Kadhafi ont-ils obligé tous ces gens à aller manifester ? C’est peu probable.
Cette semaine, la presse occidentale s’est empressé de relayer l’histoire d’une poignée de prisonniers qui ont dénoncé Kadhafi. Eh bien, si vous étiez un prisonnier avec des pistolets rebelles posés sur la tempe, proclameriez-vous votre fidélité à l’objet de leur colère ou murmuriez-vous que vous avez été enrôlé de force dans son armée ? Ne s’agit-il pas là du B-A-BA du journalisme ? Sont-ils des « mercenaires noirs » ou des Libyens du sud qui sont à la fois noirs et membres des milices de Kadhafi ?
D’autres indications sur les erreurs de jugement de l’OTAN ont été ses rebuffades envers les accusations de dirigeants africains, russes et même de pays membres de l’OTAN comme l’Allemagne, selon lesquelles les mandats des deux résolutions du Conseil de Sécurité de l’OTAN votées en février et mars – la protection des populations civiles – étaient ouvertement violés et remplacés par une campagne visant à tuer Kadhafi et à installer un « gouvernement provisoire » bancal à Benghazi, composé depuis le début par une bande de personnages douteux.
Au début du mois de mars, Sarkozy, qui trainaient dans les sondages, a cru aux conseils de « nouveau philosophe » Bernard-Henri Lévy, après l’excursion entreprise par ce dernier à Benghazi le 6 mars, selon qui il suffisait de se baisser pour ramasser la Libye et son pétrole. Le 11 mars, Sarkozy a décidé précipitamment de reconnaître le gang de Benghazi comme le gouvernement légitime de la Libye et a attendu en toute confiance la chute de Kadhafi.
Dans un compte-rendu hilarant sur la débâcle de l’OTAN, Vincent Jauvert du Nouvel Observateur a récemment révélé que les services de renseignement français avait assuré à Sarkozy et au ministre des affaires étrangères Juppé qu’ « à la première frappe (aérienne), des milliers de soldats de Kadhafi feraient défection ». Ils avaient prédit aussi que les rebelles avanceraient rapidement sur Sirte, la ville natale de Kadhafi et l’obligeraient à fuir le pays. Chose que les puissances de l’OTAN ont triomphalement clamée en annonçant même que Kadhafi avait fui vers le Venezuela. Il ne fait pas hésiter à recourir au Gros Mensonge pour sa propre propagande sauf lorsqu’il sera inévitablement démenti 24 heures plus tard.
« Nous avons sous-estimé Kadhafi, » un déclaré un officier à Jauvert. « Il se prépare à l’invasion depuis 41 ans. Nous n’imaginions pas qu’il s’adapterait aussi vite. Pour le transport des troupes et des batteries de missiles, par exemple, personne ne pensait que Kadhafi irait acheter des centaines de camions Toyota au Niger et au Mali. Ce fut un éclair de génie : les camions sont identiques à ceux des rebelles. L’OTAN est paralysé. Ca retarde les frappes. Avant de bombarder les véhicules, les pilotes doivent s’assurer qu’il s’agit de forces de Kadhafi. Nous avons demandé aux rebelles de placer un signe particulier sur les toits de leurs camions, a dit un soldat, mais nous ne pouvons jamais être certains. Ils sont tellement désorganisés… » (traduction à partir de la version anglaise – NdT)
Lorsque la chute n’a pas eu lieu à la date prévue, le gouvernement français a admis du bout des lèvres au début de mois qu’il livrait des armes et des munitions aux groupes rebelles libyens. Nous pouvons présumer sans grand risque de se tromper que la Grande-Bretagne mène ses propres opérations clandestines, et que la capture d’une unité de SAS/MI6 (forces spéciales/services de renseignement – NdT) par des fermiers Libyens n’est du meilleur augure.
A présent, la coalition de l’OTAN est en train de se déliter, même si la presse US n’en parle pas. Le ministre de la défense français Gérard Longuet a accordé une interview à la fin de la semaine dernière à une télévision française et il a dit que l’action militaire de la France avait échoué, et que l’heure de la diplomatie avait sonné. « Nous devons maintenant nous assoir autour d’une table. Nous arrêterons les bombardements dés que les Libyens commenceront à se parler entre eux et que les soldats des deux côtés retourneront dans leurs casernes. » (traduction à partir de la version anglais – NdT). Longuet a suggéré que Kadhafi pourrait rester en Libye, « dans une autre pièce du palais, avec un autre titre. »
Si les remarques surprenantes de Longuet étaient destinées à l’opinion publique française à la veille d’un vote à l’Assemblée Nationale, elles ont clairement été un choc pour Cameron et la Secrétaire d’Etat Clinton. Tout en renforçant l’impression d’une guerre civile au sein de l’OTAN, Cameron et Clinton ont précipitamment publié des déclarations qui réaffirmaient l’objectif d’un changement de régime, et que le départ de Kadhafi n’était pas négociable, comme exigé par le gang de Benghazi.
Mais Berlusconi, dont le pays est devenu la destination de dizaines de milliers de réfugiés qui fuient les combats et l’effondrement économique de la Libye, déclare à présent qu’il avait toujours été contre cette aventure de l’OTAN. Il pourrait refuser de renouveler quelques accords d’hébergement en Italie pour les puissances de l’OTAN engagées dans l’opération. L’Allemagne n’a jamais été enthousiaste. A l’origine, la France et la Grande-Bretagne nourrissaient l’espoir d’une collaboration militaire étroite mais l’espoir s’est rapidement évanoui pour toutes les raisons habituelles – inertie, méfiance et simple incompétence.
La méfiance de Sarkozy envers l’Allemagne et la Turquie était apparemment si intense, selon le Nouvel Observateur, qu’il a demandé que les officiers turcs et allemands présents dans la structure de commande de l’OTAN soient mis sur la touche parce qu’ils auraient pu saboter la guerre étant donné les réticences de Berlin et d’Ankara pour toute l’opération. La règle veut que lorsque le commandant suprême de l’OTAN, un général américain, et le numéro deux, un Britannique, sont absents, c’est le numéro 3, un Allemand, qui prend le commandement. Sarkozy a fait suspendre cette règle.
Sous des pressions et des priorités politiques internes, Obama a joué à un double-jeu. Au départ, la précipitation vers le Conseil de Sécurité de l’ONU a été principalement une initiative de la Secrétaire d’Etat Clinton. A mi-février, sur le plan politique, Obama était dans une situation délicate. Il se racontait de plus en plus qu’il ne ferait pas un second mandat. Clinton s’est précipitée pour occuper ce qu’elle percevait comme un vide tentant, peut-être même en caressant l’espoir d’accélérer le déclin d’Obama et de se placer comme candidate potentielle pour 2012. Obama, qui en était encore soucieux de se débarrasser de sa réputation de « mauviette », a rapidement approuvé la mission de l’OTAN et contré les accusations d’inconstitutionnalité de cette décision. Clinton a aussitôt annoncé qu’elle n’était pas particulièrement intéressée par une carrière politique nationale après 2012.
En termes de matériel, les Etats-Unis ont joué un rôle crucial. Selon un général français cité par le Nouvel Observateur, « 33 des 41 avions ravitailleurs utilisés dans l’opération sont américains, la plupart des Awacs aussi, tous les drones également, comme 100% des missiles antiradars et des kits de guidage laser des bombes. Et ce n’est pas tout. L’essentiel des moyens de commandement et de contrôle de l’Otan comme la gigantesque bande passante qui permet de transmettre toutes les données sont américains ». Le directeur du renseignement militaire, le général Didier Bolelli, a révélé que plus de 80% des cibles affectées aux pilotes français en Libye étaient désignées par les services américains ! « Ils nous donnent juste ce qu’il faut pour que nous ne nous cassions pas la figure », assure un diplomate.
Ceux dont les souvenirs remontent à la débâcle de Suez en 1956 pourraient se remémorer comment Eisenhower a simplement donné l’ordre aux forces Britanniques, Françaises et Israéliennes d’abandonner leur objectif de renverser Nasser. Nous pourrions bien être en train d’assister à une nouvelle démonstration de la domination US qui s’est instaurée au lendemain de la seconde guerre mondiale, avec l’administration Obama qui remet les choses en place en démontrant qu’une suprématie européenne dans la région méditerranéenne est vouée à l’échec.
Avant de prendre sa retraite, le Secrétaire à la Défense (US) Gates a pris soin de remuer le couteau dans la plaie lors d’un discours à Bruxelles : « la plus grande alliance militaire de l’histoire, est… engagée dans une opération contre un régime mal armée d’un pays sous peuplé – et pourtant de nombreux alliés sont à court de munitions et ont besoin des Etats-Unis, une fois de plus, pour combler le manque. » Il a déclaré d’un ton sinistre que « les futurs dirigeants politiques US… pourraient considérer que le retour sur investissement de l’Amérique dans l’OTAN ne vaut pas la dépense. »
Même si Obama est sans équivoque favorable à un changement de régime en Libye, après le constat d’échec de la campagne de bombardements l’ambiance politique ici n’est pas propice à une escalade – très coûteuse et plutôt rejetée par l’opinion publique.
Il n’y a rien qui indique que le dirigeant du Labour (le « PS britannique » – NdT), Ed Miliband, prêt à bondir pour saisir les rênes de la campagne anti-Murdoch, ait l’agilité politique suffisante pour griller Cameron pour la farce libyenne. Par nature, il est probablement plus enclin aux « interventions humanitaires » que Cameron et la seule chose qu’il pourrait reprocher à ce dernier est de n’avoir pas avoir fait suffisamment d’efforts.
En résumé, la gauche devrait se réjouir d’assister à la déroute d’une simple expédition coloniale, avec de graves conséquences à long-terme en ce qui concerne la crédibilité de l’OTAN et ses faux semblants à l’égard du droit international. Un autre motif de réjouissances est le discrédit encore plus grand qui vient de frapper le tribunal fantoche connu sous le nom de Cour de Justice Internationale.
Et maintenant ? L’air est chargée de spéculations sur un éventuel accord, spéculations ponctuées par des bêlements pieux des Américains et des Britanniques sur l’imminence de la chute de Kadhafi, que ce dernier serait à court de carburant, que les rebelles resserreraient leur étau sur Tripoli, que les Russes auraient négocié une sortie honorable. Il semble plus juste de constater qu’au bout de quatre mois et demi, l’OTAN et les interventionnistes sont en train de subir une humiliation. Ajoutez à ça l’humiliation de Rupert Murdoch et nous avons là largement de quoi lever nos verres très haut.
Alexander Cockburn
http://counterpunch.org/cockburn07152011.html