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22 novembre 2024

Libye : Timisoara bis : le faux charnier d’Abu Salim par Marinelle Corregia


Timisoara bis : le faux charnier d’Abu Salim (Libye)
Marinella Correggia

Un trou avec quelques os d’animaux se transforme en fosse commune avec plus de 1200 corps (ou peut-être 1700). Le CNT doit finalement admettre que « les os sont trop grands pour être des os humains. C’est sans doute autre chose ». Mais la plupart des médias ne remarquent rien…

Le faux charnier de Timisoara, Roumanie, 1989.

Les fosses communes virtuelles des côtes de Tripoli avaient déjà très bien fonctionné en février dernier : avec une vidéo et quelques photos, le site internet américain One day on Earth avait fait passer comme telles la remise à neuf d’un cimetière en août dernier. Tout le monde y a cru, et même si la tromperie fut dévoilée quelques jours plus tard, qui l’a remarqué ? Persistent encore dans les esprits « les fosses creusées à la hâte par les miliciens de Kadhafi » pour cacher une partie des « dix mille morts et cinquante mille blessés parmi les manifestants ». Le chiffre est tiré d’un twitter de la chaine saoudienne Al Arabiya du 22 février, dont la source est un soi-disant membre libyen de la Cour Pénale Internationale, laquelle le désavouait le jour suivant. Toujours en vain.

Ainsi que l’a enseigné la propagande nazie, dire d’énormes mensonges et les répéter comme un disque rayé paie ; les démentis ne sont plus entendus.

Aujourd’hui, tous les membres belligérants de l’OTAN ne se sont pas encore entendus sur le renouvellement de l’opération Unified Protector, déjà reconduite par l’OTAN pour les trois derniers mois de cette année. Il était donc sans doute utile de lancer une nouveauté dans la série « diaboliser l’ennemi pour justifier la présence humanitaire internationale et légitimer ultérieurement le nouveau régime libyen ».

Et voilà que dimanche 25, Salem Fergani, membre du CNT d’Abdel Jalil (loin d’être auto-désigné en février « unique représentant du peuple libyen », puis progressivement reconnu par différents pays), tire de son chapeau de prestidigitateur (fourni à tous les membres du CNT, il semblerait), une autre horreur : une fosse commune de prisonniers assassinés.

La première à rapporter la nouvelle avec joie est probablement Al Jazeera, qui, sans émettre aucun doute sur ces faits, titre dans sa version anglaise : « Mass grave of Libyan prisoners found ». L’article sur le site annonce/dénonce : « Découverte d’une fosse commune avec les restes de 1700 prisonniers tués.

La nouvelle est tombée dimanche, alors que des centaines de combattants du CNT entraient à Syrte, ville que les avions de l’OTAN avaient bombardé deux fois dans la journée. » Evidemment, Al Jazeera n’a d’inquiétude ni pour la ville assiégée, Syrte, torpillée par des missiles Grad (quand les loyalistes les lancent, l’OTAN les bombarde à plein régime. Ce sont en effet des armes aveugles, et donc « une menace pour les civils »), ni pour les autres villes bombardées, pleines de civils. Et concernant la fosse, on peut lire ceci : « Khalid Sharif, porte-parole du conseil militaire du CNT, nous dit : “ Nous avons trouvé le lieu où tous ces martyres sont enterrés” », ajoutant que c’est “la preuve des actes criminels du régime de Kadhafi. » » Une preuve nécessaire.

Et Salim Al Ferjani, membre du comité nommé par le CNT pour l’identification des restes, précise : « Ils se sont acharnés sur les corps avec de l’acide, pour éliminer les traces ». Ce n’est pas plus mal d’évoquer une cruauté supplémentaire.

Puis le CNT a pensé bon d’envoyer les journalistes sur place. Et voilà ce que découvre CNN, certainement pas pro-Kadhafi : non pas les os de milliers de personnes, mais quelques os d’animaux sans aucune trace d’excavation. La première version de l’article de la CNN, visible jusque lundi matin, rapportait la déclaration du CNT, mais ajoutait ensuite : « Il n’est pas clairement établi que le site soit une fosse commune, parce qu’il n’y a aucune présence d’excavation. Ils ont montré des os aux médias, mais des médecins présents sur place avec l’équipe de la CNN ont soutenu qu’ils ne sont pas humains. »

Puis cette phrase (dans l’article suivant), supprime la référence aux médecins mais conserve l’émission des doutes, et devient : « le CNT soupçonne l’existence d’une fosse commune, bien qu’il n’y ait aucune présence d’excavation et qu’on n’ait pas trouvé de restes humains. Une équipe de la CNN a été envoyée sur place, un champ boueux, avec d’autres medias, et a uniquement trouvé des os appartenant apparemment à des animaux ».

Mais ça ne s’arrête pas là : CNN précise que, selon les “révolutionnaires” d’Abdel Jalil, le site a été identifié le 20 août. Dans ce cas, pourquoi la nouvelle fait-elle du bruit maintenant ?

Mais le meilleur est encore à venir. Après quelques heures, CNN ajourne le même lien et on peut lire ceci :« Le CNT a expliqué aux reporters que les quelques os trouvés sont trop grands pour être humains. » Pour le CNT, Jamal Ben Noor admet péniblement que « le site pourrait être autre chose, nous sommes en train d’enquêter ».

Nous attendons le prochain rebondissement.

Et pourtant, quelques heures après ce pénible démenti, le journal italien La Repubblica maintenait toujours sur son site internet ce que disait la veille Al Jazeera, considérée comme source sacrée : « Une fosse commune contenant 1200 cadavres a été trouvée dans les environs de la prison d’Abu Salim.

La télévision (définie par le site de “panarabe”) Al Jazeera, confirmant la nouvelle mais sans fournir cependant de détails supplémentaires » (nous soulignons). Puis Repubblica.it ajoute d’elle-même que, parmi les cadavres, il y aurait non seulement les prisonniers de 1996, mais aussi des insurgés d’aujourd’hui.

Le journal papier La Repubblica daté du 26 septembre, consacre toute la page 17, signée Renato Caprile à Tripoli, à la triste découverte : « 1700 cadavres » (comme si chaque corps était là, en évidence sous l’œil du reporter), « une des plus terrifiantes fosses commune jamais découverte ».

Le journaliste est envoyé sur place afin de voir par lui-même le « cimetière sans pierre tombale » que les « activistes du CNT » (activistes, une belle définition, pas comme mercenaire ou milicien) ont mis à jour « hier ». « La preuve d’un massacre » : encore une autre allégation nécessaire à cette guerre. Et Caprile écrit : « des lambeaux de tissus imbibés de sang et décolorés par le temps » (un soldat du CNT a justement trouvé « serré sur la poitrine comme une relique », le vêtement avec le nom de son vieil ami Abdul Salem. Le nom y est encore, ainsi que le trou du projectile qui l’a tué il y a 15ans ; il l’a trouvé « comme par miracle » : eh oui)) : « la preuve d’un massacre ». Parmi les « crânes, fémurs, tibias, côtes entassés pêle-mêle ici et là ».

Du reste, il y a quelques semaines, Repubblica.it parlait de la dénonciation des amazones de Kadhafi (« Lui, tous ses fils et ses dirigeants nous violaient » : un autre classique de la guerre en Libye), sans contrôler la source de leur provenance, une source fortement discréditée par l’ONU elle-même. Et cette psychologue de Benghazi, Sergewa, à partir de laquelle a démarré toute la campagne diffamatoire à l’encontre des « mercenaires de Kadhafi violeurs de masse », campagne qui s’est révélée fausse.

La Repubblica ne s’est pas souvenue que la psychologue avait déjà menti à l’envoyé de l’ONU et d’Amnesty. Et cette dernière n’est certainement pas pro-Kadhafi. Par exemple, Amnesty, qui a longtemps dénoncé haut et fort le siège de Misrata par les loyalistes – voir le rapport Misrata Under Siege – se tait depuis des semaines sur le siège des villes loyalistes, que l’OTAN bombarde, et que le CNT attaque ouvertement avec des missiles Grad. Les Grad, ces missiles que l’OTAN a elle-même qualifié d’« armes aveugles ». Menace sur les civils…

Article envoyé par l’auteur.

Traduit de l’italien par Cécile Lienhard pour Investig’Action.

Source : michelcollon.info

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