Libye – Mais qui donc a tué Kadhafi ? par Rachid Ettouri
26 octobre 2011
MARDI 25 OCTOBRE 2011
LIBYE MAIS QUI DONC A TUÉ KADHAFI ?
L’annonce a d’abord été faite par l’un des plus hauts responsables de l’armée d’opposition, le bien nommé Mleggat (le 20 octobre sur le net). Immédiatement après et depuis, plusieurs candidats se bousculent au portillon d’un héroïsme sans gloire.
Les supplétifs improvisés, recrutés au départ par «B.H.L.» avec l’argent du Mossad, tentent de faire croire qu’ils ont eux-mêmes capturé le «guide», qui plus est, dans une bouche d’égout. La mise en scène, médiocrement imaginative indique l’identité de ses instigateurs, toujours les mêmes, qui ont manipulé après coup le scénario de la mort de Saddam, de Ben Laden et autres horribles personnages. Était-il vraiment besoin d’en rajouter ?
Ce chef-d’œuvre de la propagande répétitive n’a pas seulement pour but de tenter d’abaisser le «guide» aux yeux du monde et surtout de sa population préalablement terrorisée, affamée, assoiffée et désorientée par les bombardements incessants, mais d’asseoir le pouvoir d’une entité composite et branlante, dont l’assemblage est plus que douteux et dont la force ne repose que sur son allégeance aux envahisseurs étrangers.
Le ministre français de la Défense tire à lui la couverture, c’est grâce à son mirage que le rebelle à l’Occident et au sionisme a été descendu. Ceux qui ont mis leur pays en faillite frauduleuse, au profit de banquiers et autres milliardaires, voudraient redorer leur blason, à la veille d’élections perdues d’avance. A ceux qui leur ont reproché d’endetter davantage leur pays en menant une guerre démocratisante parfaitement inutile, la démocratie ne s’exportant pas, ils ont déjà répondu qu’ils vont renflouer le trésor public grâce au pétrole libyen qui servira aussi à financer les gros contrats de reconstruction de ce pays totalement détruit. Ces grands travaux permettraient la relance d’une économie en récession jusqu’à présent irréversible et de faire face à un endettement mortel, insurmontable autrement que par la razzia perpétrée sur un pays à portée de main. Pour d’autres grandes puissances, aveuglément soumises aux forces de pression à double allégeance proclamée, le but réel était, comme chacun sait, de tenter de rééquilibrer le rapport de force en faveur de l’entité sioniste, effrayée d’être vouée à sa perte depuis les vrais printemps égyptien et tunisien.
Les civilisateurs invétérés ont aujourd’hui une occasion rêvée d’exposer leur héroïsme ! Un modus vivendi a été trouvé : le mirage français a frappé le dernier carré de résistance Kadhafiste. Contraint de fuir, le convoi a été bloqué par un bombardement opéré par un drone de l’OTAN, c’est alors que les soldats du CNT ont découvert et retiré Kadhafi vivant mais blessé, il aurait tenté de fuir et aurait reçu une balle à la tête. Il serait mort pendant son transport vers l’hôpital. Ces versions successives d’une intervention de forces où chacun son tour passe le relais à l’autre, les uns ne faisant qu’aider et les autres achever, reste quand même boiteuse. C’est une meïda à trois pieds, à laquelle il manque un pied pour devenir une table occidentale. Le rôle de la perfide Albion ne saurait tarder à être rajouté pour qu’elle puisse mériter sa part du chocolat noir.
Qui aura le dernier mot dans cette scandaleuse revendication d’un assassinat orchestré, sous couverture d’une fausse protection de civils, d’une fausse autorisation octroyée par une communauté internationale autoproclamée et délibérément dévoyée de prétendus objectifs humanitaires ?
L’assassinat programmé d’un dictateur rebelle pour le remplacer par un chaos propice à la prédation ou par un autre chef, aveuglément soumis au diktat de puissances étrangères, prédatrices par nature, est déjà inquiétant en soi, et l’est d’autant plus que dans le meilleur des cas, la structure sociopolitique libyenne sera, à moyen ou long terme, à peine modifiée et nul ne peut préjuger dans quel sens. Malheureusement, la boucherie est inachevée et l’escalade cherche à s’étendre à la Syrie et à d’autres pays, quand cela s’avère possible. Une vraie reconquête coloniale de très grande envergure. Des dizaines de milliers de Libyens ont déjà été sacrifiés sur l’autel de la démocratie exportée et ceux qui attendent le carnage sont bien plus nombreux.
Que peuvent faire les patriotes des pays qui sont dans le collimateur de ce terrorisme d’État accompagné d’une colossale propagande mensongère ? Un début de réponse est donné par la réflexion qui consiste à se demander à qui profite le crime ? Les peuples victimes du terrorisme d’État le savent aussi bien que les criminels coalisés, mieux placés que quiconque pour le savoir.
Les classes populaires des pays industrialisés sont les premières victimes des systèmes d’exploitation qui ne leur permettent plus de vivre dignement. C’est pourquoi les déshérités des pays développés sont non seulement indignés, mais révoltés, en attendant d’organiser de véritables révolutions, qui prennent forme et plus d’ampleur chaque jour. En attendant, elles prennent hélas pour argent comptant les mensonges avancés pour leur faire accepter des expéditions coûteuses, parce qu’elles restent imbues de la supériorité de leur civilisation.
La jonction entre les forces populaires des pays occidentaux, qui se révoltent contre le pouvoir de l’argent sale, et les pays placés sous miradors en vue de destruction massive est sans doute souhaitable. Mais pour l’heure elle ne semble pas se dessiner à l’horizon permettant au mythe du discours occidental civilisateur de se perpétuer. Les opérations par frappes «chirurgicales» sélectives se multiplient, «sans dommages collatéraux», leur assure-t-on, grâce à des drones qui savent choisir entre civils et militaires, entre amis et ennemis du monde libre, entre révolutionnaires, futurs démocrates, et partisans de potentats irrécupérables. Or, c’est avant tout de l’intérieur que le monstre devra être renversé par les siens qu’il dévore et compte cannibaliser entièrement. Sinon, point de salut.
Les forces de progrès des pays émergents devront faire preuve d’une lucidité accrue face aux menées de la propagande du grand capital financier mondial et de ses alliés locaux.La bourgeoisie compradore est capable de mobiliser le sous-prolétariat intégriste fascisant pour en faire, comme en Libye, une véritable armée sous la coupe des anciens colonisateurs, toujours affamés des richesses naturelles des pays en développement.
Les partis patriotiques des pays libérés doivent faire preuve d’une vigilance à toute épreuve, améliorer leur niveau de conscience politique et leur niveau d’organisation. Ils doivent améliorer leur mobilisation pacifique autour de principes démocratiques, seuls à même d’assurer leur développement et de les immuniser contre les invasions civilisatrices. Des invasions toujours suivies de guerres civiles à durée indéterminée et aux effets, à ce jour en tout cas, systématiquement dévastateurs.
Par Rachid Ettouri
http://www.lesdebats.com/editions/251011/monde.htm