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28 mars 2024

Le cas troublant de Seif Al-Islam Kadhafi par Franklin Lamb


http://guerre.libreinfo.org

Le cas troublant de Saif Kadhafi

Franklin Lamb

Zintan, Libye

Malgré que le Conseil national de transition libyen (CNT) prétende que Saif al Islam Kadhafi, appréhendé et sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale justifiant son transport à La Haye, est caché dans un endroit sûr près Zintan, une ville située à environ 135 kilomètres au sud-ouest de Tripoli, ce n’est pas le cas.

Ni les assurances données par Steven Anderson, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui, le 23/11/11 a annoncé que les blessures de Saif al-Islam avaient été «prises en charge», ni ses abondantes assurances que Saif est en bonne santé ne sont crédibles. En fait, après les affirmations du CICR, le docteur Andrei Murakhovsky, un ukrainien d’origine qui vit à Zintan, a rapporté que «la plaie de Saif est couverte de tissus gangrenés et nécrosés.» Il a ajouté «Cette blessure n’est pas en bon état et nécessite une amputation. Son index a été arraché au niveau de la phalange moyenne (os du doigt) et les os sont tous brisés. Il en est de même avec le pouce de cette main. » (Dr Murakhovsky, cité par l’agence Reuters).

Le matin du 24/11/11 le premier ministre du CNT libyen, Abdurrahim El-Keib, disait que «Saif al-Islam reçoit le meilleur traitement possible mais que, pour l’instant, il n’est pas entre les mains du gouvernement central provisoire et nous ne savons pas où il se trouve. »

La plupart des gens du village de Zintan connaissent «l’endroit sécurisé et caché» ou est Saif al Islam, comme cet observateur qui a visité un groupe hétéroclite, de type « western de série B », qui est actuellement en charge du gardiennage et de la «protection» de Saif.

Bien que muni d’une procuration de l’un des membres de la famille de Saif pour lui rendre visite, le groupe a rejeté ma demande de le rencontrer, sous prétexte qu’ils devaient consulter leur commandant qui ne devrait pas revenir avant quelques jours car il est maintenant le nouveau ministre de la Défense du CNT libyen.

A propos de la santé de Saif, l’inquiétude est croissante car ses gardes affirment qu’ils ne peuvent l’emmener à l’unique hôpital de Zintan parce que quelqu’un le tuerait probablement afin de recueillir la substantielle prime que, selon la rumeur, le Qatar / l’OTAN aurait proposé pour celui qui l’assassinerait, vraisemblablement pour aider la « nouvelle Libye » et ses alliés à éviter un procès salissant.

Cependant, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, prétend aujourd’hui, dans un revirement que la Libye, et non pas La Haye, est après tout le meilleur endroit pour Saïf al Islam et pour la tenue de son procès.

Depuis sa création par les Nations Unies en 2002, la CPI a eu un seul un procureur, Luis Moreno-Ocampo. Son successeur à la CPI sera désigné le mois prochain à New York. De nombreux avocats spécialisés en droit pénal international, des personnels de la CPI et les juges de la CPI, ainsi que des commentateurs juridiques familiers de son travail ont exprimé leur soulagement. Le week-end prochain l’organisation de défense juridique Avocats Sans Frontières (ASF) se réunira à New York afin de tenter de s’entendre sur un successeur à proposer aux 18 juges de la CPI qui décideront.

La visite en Libye du Procureur Ocampo cette semaine a causé des froncements de sourcils parmi les groupes susmentionnés lorsqu’il a soudainement annoncé que la CPI n’invoquerait pas ses prérogatives assurées par le Conseil de sécurité et ne reconduira pas le cas #CPI 01/11. Ce dossier a été ouvert à la CPI le 3 Mars 2011. Il a été attribué à la CPI par le Conseil de sécurité après le soulèvement du mois précédent, à Benghazi, en Libye.

D’aucun pensent, à La Haye, en Libye et parmi les avocats d’ASF que, sachant qu’il ne serait pas réélu pour un autre mandat en tant que Procureur de la CPI, entre autres raisons car il n’a pas gagné un seul procès au cours de son mandat de 9 ans, qu’il a à plusieurs reprises provoqué la colère des juges de la CPI pour avoir présenté des affaires pour lesquelles il n’y avait pas suffisamment de preuves pour statuer, et pour son penchant pour l’auto-promotion ainsi que pour des affirmations inexactes sur les procès et les prévenus qui confinent à l’inconduite judiciaire, Ocampo a décidé de changer de stratégie.

Un exemple flagrant de fausses déclarations de son fait est le dossier actuel de la CPI impliquant Saif al-Islam Kadhafi dans lequel Ocampo a fait, au cours des dernières semaines, plusieurs annonces inexactes qui ont fait les gros titres : il a prétendu négocier «indirectement» avec Saif al-Islam afin qu’il se rende à la CPI. Saif a catégoriquement démenti ces allégations démagogiques que Ocampo a vraisemblablement faites pour tenter de poursuivre son dossier personnellement. L’équipe juridique de Saif aurait immédiatement déposé une motion pour remplacer Ocampo pour un juste motif, tel que prévu par les règles de la CCI.

Compte tenu de ces problèmes, Ocampo, d’après une personne qui l’a accompagné lors de sa visite de cette semaine en Libye, a décidé d’accepter une offre lucrative du CTN pour conseiller le pays regorgeant de pétrole sur la mise en place d’un système juridique pour juger Saif al-Islam et d’autres.
Les assurances données par M. Moreno-Ocampo, les responsables de l’OTAN et l’ambassadrice américaine auprès de l’ONU, Susan Rice, que la Libye est actuellement tout à fait capable de traiter les procès des loyalistes de l’ancien régime sont absurdes. Riz a démontré son ignorance et a surpris ici, le week-end dernier, quand elle a affirmé ne pas savoir que la Libye pratiquait la peine de mort et qu’elle l’appliquerait dans les deux cas relevant de la CPI si on lui en donne l’opportunité. Apparemment, la préférence du public libyen serait la peine de mort par pendaison dans les deux cas de la CPI. Ce fut le cas avec le Rwanda, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles le Tribunal pénal international pour le Rwanda ne permettait pas au gouvernement Rwandais de mener des procès, même si son gouvernement avait assuré l’ONU qu’il ne serait pas réellement procédé à l’exécution d’un condamné à la peine de mort.

La Libye n’a pas présenté pareilles assurances à la CPI contre l’utilisation de la peine de mort et n’a pas soumis de contestation juridique de la compétence de la CPI pour le procès de Saif Al Islam ou de Saif al Abdullah Sanussi, comme l’exigent les Statuts de Rome (définissant les règles de fonctionnement de la Cour pénale internationale, NdT) .

Malgré son changement d’emploi, Ocampo est toujours intéressé par la poursuite du procès de Saïf al Islam qu’il considère comme sa meilleure chance de, finalement, gagner au moins une affaire connexe à la CPI. Mais pas à La Haye où il y a la possibilité que Saif ne soit pas condamné, étant donné les règles de procédure de la Cour et les ressources en personnel juridique de la CPI qui assisteraient effectivement un accusé à présenter sa défense devant le tribunal. L’on dit que Ocampo parie sur l’obtention d’une victoire dans le procès très en vue de Saif en travaillant avec le gouvernement du CNT créé par l’OTAN en Libye en menant l’accusation dans les coulisses comme « consultant » et en aidant le CNT libyen à garder l’ONU et la CPI à distance tout en permettant au CTN de juger Saif et Abdullah Sanussi, si et quand il sera prouvé que ce dernier a été capturé. Il est dit que Ocampo savoure le travail qui le fait devenir le «Père du système juridique de la Libye nouvelle ». Ocampo explique maintenant que son rôle n’a jamais été « d’expliquer aux responsables libyens comment tenir un procès équitable et que la norme de la CPI c’est qu’il doit y avoir un processus judiciaire qui n’est pas organisé pour protéger les suspects et je respecte cela, il est important pour les cas d’être jugé en Libye » Il a ensuite ajouté:« Il y a tellement de traditions différentes; il est difficile de dire ce qu’est un procès équitable. »

Ces étonnantes nouvelles et la soudaine imprécision d’Ocampo sur ce qu’est un procès équitable avaient à peine commencé à se répandre sur Internet que cet observateur a reçu un courriel d’un avocat spécialisé en droit pénal international dont le siège est à deux pâtés de maisons du Palais de justice de Moultrie Carl, à Washington DC. L’avocat américain était consterné : «Payer Ocampo en tant que consultant du nouveau gouvernement libyen pour les procédures des procès pénaux est une pensée/idée ridicule. Il ne sait pas ce qu’est le droit à un procès équitable et n’a pas obtenu une condamnation en près de 9 ans à la CPI.»

Les juges de la CPI n’étaient pas non plus très heureux de ce que l’on peut percevoir comme une trahison. La CPI a rappelé à brûle-pourpoint à Ocampo, au nouveau gouvernement libyen et aux médias que ce sont les juges de la CPI, et non le Procureur de la CPI, qui décident si une affaire se tient à La Haye ou dans le pays des crimes supposés ont été commis, et eux seuls décideront si la Libye a la capacité de mener un procès équitable. La CPI signale que malgré les titres de la presse internationale générés par Ocampo, la question de la tenue du procès en Libye n’est pas tranchée dans le cas # 01/11 de la CPI .

Le procureur Ocampo sait bien qu’une fois que la CPI décide d’ouvrir une enquête sur une affaire, les juridictions nationales ne peuvent plus enquêter sur cette affaire et sont soulagées de leur obligation de le faire. En outre, depuis que la CPI a émis un mandat d’arrêt contre les accusés libyens, tous les États – y compris la Libye – sont tenus de coopérer pleinement avec elle. Après les réprimandes publiques de La Haye, Ocampo a légèrement reculé et a dit à CNN le 23/11/11 que : «La seule condition est que le nouveau gouvernement libyen doit présenter sa position aux juges de la Cour pénale internationale et les juges décideront si les poursuites peuvent être menées en Libye. La Libye présentera des preuves aux juges de la CPI montrant que le pays peut mener le procès, et les juges décideront si les conditions sont remplies ».

La CPI, si elle aborde la question comme prévu, devrait statuer dans le cas de Saif al-Islam précisément comme le Tribunal pénal international pour le Rwanda dans la décision rendue contre la demande de ce pays d’avoir la compétence de juger, bien que comme la Libye aujourd’hui, le Rwanda affirmait avoir un « système judiciaire moderne et fonctionnel ». La raison en est qu’un premier bilan du système judiciaire pénal libyen et des discussions avec des avocats pénalistes libyens ainsi qu’avec des avocats spécialisés en droit pénal international ayant des années de pratique et la connaissance des tribunaux internationaux, montrent qu’il est très clair que les personnes accusées de crimes graves en Libye ne bénéficient actuellement pas des droits les plus élémentaires requis par les normes internationales. Aujourd’hui, les accusés libyens ne bénéficient pas de représentation juridique adéquate, il n’y a pas de soutien financier pour les accusés indigents, ni pour les voyages des équipes de défense et le soutien de leurs enquêtes, ni pour la sécurité de ces équipes. Les gouvernements centraux et locaux de la Libye mettent des contraintes limitant les équipes de défense dans l’exercice de leurs fonctions.

Une enquête, certes rapide, ici en Libye parmi les avocats, révèle également l’inexistence ou l’insuffisance d’hébergement et de moyens de transport pour les témoins ainsi que le manque de dispositifs pour la protection des témoins avant, pendant et après leur témoignage devant la cour. En outre, le CNT s’inscrit dans une tendance à menacer des témoins potentiels s’apprêtant à témoigner contre l’OTAN dans une autre affaire. De même, les CNT échoue à offrir des transports sûrs et sécurisés pour les témoins libyens vivant à l’étranger, y compris en Algérie, en Tunisie, au Mali, au Niger et en Égypte. Des entrevues avec des avocats et des fonctionnaires libyens ainsi que des visites dans les centres de détention en Libye révèlent que les conditions de détention ne sont pas en conformité avec les normes internationales, que la torture des prisonniers est généralisée en Libye et que des menaces sont proférées contre les familles des prisonniers.

On pourrait souhaiter bonne chance à Luis Mareno-Ocampo dans sa nouvelle carrière de «Père du Nouveau Système Juridique libyen», mais l’affaire # 11.1 de la CPI est trop critique pour toutes les personnes concernées pour attendre de savoir si son projet aboutira et répondra aux normes internationales.

Franklin Lamb fait des recherches en Libye et est joignable c/o fplamb@gmail.com

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