L’Emir du Qatar : l’homme de l’année 2011
4 janvier 2012
L’homme de l’année 2011
L’homme de l’année 2011 : L’Emir du Qatar, Hamad Ben Khalifa al Thani, le nouvel Air and Field Marshall du Monde arabe
René Naba | 03.01.12 | Paris
Ce papier est publié simultanément sur le site www.renenaba.com et par la revue Golias
Omniprésent sur terre et sur air, l’Emir de Qatar (1) est incontestablement l’homme de l’année 2011, plus fort que Mohamad Bouazizi, dont l’immolation a déclenché le soulèvement salvateur du printemps arabe, réussissant le tour de force de retourner en sa faveur le cours de la révolution arabe, de même que le slogan qui y a présidé.
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلابد أن يستجيب القدر
En ceci
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلابد أن يستجيب ال(قطر)
«On the air» d’Al Jazira, l’autocrate intronisera l’égyptien Youssef Al Qaradawi en prédicateur électronique de la mouvance islamiste panarabe et maintiendra en couveuse, en réserve de la République, le tunisien Rached Ghannouchi, les deux flotteurs des Frères musulmans en exil, qu’il fera réhabiliter par les chancelleries occidentales, en les plaçant en orbite dans la foulée du renversement du président Hosni Moubarak (Egypte) et de Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie).
A coups de pétrodollars et d’esbroufe, amplifiée par la force cathodique d’Al Jazira, à l’époque à l’apogée de sa crédibilité, il cautionnera une intervention occidentale en Libye, réintroduisant le loup dans la bergerie, en la personne d’Abdel Hakim Belhadj, l’ancien chef des brigades islamiques de Libye et nouveau gouverneur militaire de Tripoli.
En tandem avec le roman-enquêteur français Bernard Henri Lévy, qui lui dispute la palme pour 2011 (2), les duettistes se vivront alternativement, successivement et cumulativement comme le nouveau Rommel du désert de la Cyrénaïque, le général Leclerc de l’oasis de Coufra et le Général Montgomery de la Tripolitaine, vivant quotidiennement les épopées conjuguées de la première armée d’Afrique et du corps expéditionnaire allié en Afrique du Nord.
Depuis la mise à mort publique du Colonel Kadhafi, en octobre 2011, l’Emir du Qatar
dont l’armée compte cinq mille soldats et autant de mercenaires, commande une coalition de treize pays comprenant trois puissances atomiques alignant plusieurs centaines d’ogives nucléaires, nouveau tour de force qui le propulse au titre très envié de commandant en chef d’une mythique Africa Korps atlantiste….
Avec les encouragements et les acclamations d’une cohorte de commentateurs politiques, dont le plus en vue n’est autre que l’universitaire franco-tunisien, l’Islamologue toulousain Mathieu Guidère, nouveau venu sur la scène médiatique, de son vrai nom Moaz Kouider, par ailleurs, précepteur du propre fils du souverain à l’Ecole Saint Cyr, l’académie française chargée de former les officiers de commandement.
En 1990, le Monde arabe avait offert au Monde un Field Marshall en la personne de Khaled Ben Sultan, l’interface saoudien du général Arnold Schwarzkopf, le maitre d’œuvre de la tempête du désert contre l’Irak. Bel exploit d’un pays qui bat tous les records en matière de dépenses d’armement sans jamais livrer de guerre directe.
Le propre fils du ministre saoudien se distinguera, non sur le champ de bataille, mais sur le terrain de l’intendance, prélevant une respectable commission de l’ordre de trois milliards de dollars sur les transactions visant le ravitaillement des 500.000 soldats du corps expéditionnaire occidental venus protéger le pétrole saoudien des convoitises irakiennes.
Bel exploit du plus haut gradé arabe d’une coalition internationale qui demeurera dans les annales de la taxation d’office, dont les prélèvements effrénés lui ont permis de s’emparer du journal trans arabe «Al-Hayat», le porte voix de la servitude volontaire arabe à l‘ordre israélo-américain.
Trente ans après, c’est autour d’une autre pétromonarchie d’offrir au monde un nouveau Field Marshall. Bel exploit d’une principauté, le Qatar, dont le quart du territoire abrite la plus importante base américaine hors Otan, celle du commandement central, le maillon intermédiaire qui assure la jonction entre l’Otan (Atlantique Nord) et l’OTASE (Asie du Sud Ouest).
Parricide, le 2eme Field Marshall pétro monarchique s’emparera du pouvoir à Doha, à la faveur d’un coup de force des paras commandos jordaniens, en 1995, accourus au Qatar pour restaurer les intérêts pétroliers lésés des compagnies britanniques. Brutus n’est pas le monopole de Rome, il en pousse à l’ombre des derricks.
Prédateur à l’instar de son prédécesseur, sa réconciliation avec le principal opposant à la dynastie, Nasser al Misnad, exilé au Koweït depuis 1950, sera scellée, périnéalement, par les épousailles de l’Emir avec la propre fille de son ancien ennemi, Mozza, la ci-devant princess (Banana).
Béquille financière de la France, caution arabe du plus pro israélien des dirigeants français, son plus bel exploit demeure toutefois d’avoir retourné en sa faveur le slogan révolutionnaire lancé à l’aube du printemps arabe dont la pleine saveur se retrouve dans sa formulation en arabe:
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلابد أن يستجيب القدر
إذا الشعب يوما أراد الحياة
فلا ، كلا، أبدا أن يستجيب القطر
Si le peuple veut la vie
Il importe au destin d’y faire droit
Si le peuple veut la vie
Il importe au Qatar d’y faire droit
Non, jamais, au grand jamais que le Qatar y fasse droit.
Un otage de l’Amérique
Le plus zélé disciple des Etats-Unis dans la mise à l’index des Républiques arabes, la Libye puis la Syrie, se tient bien car bien tenu. Le 12 novembre 2002, alors que les Etats-Unis mobilisaient l’opinion internationale pour l’invasion de l’Irak et cherchaient une base de repli à leur QG saoudien, un média saoudien laisse opportunément filtrer ce jour là, sur son site Internet «Arabic news.com», une information apparemment puisée aux meilleurs sources américaines et saoudiennes annonçant «une tentative de coup d’état» contre l’Emir de Qatar, Cheikh Hamad Ben Issa al-Khalifa, «déjouée par les Etats-Unis».
L’information laconique ne mentionnait ni les auteurs de la tentative, ni la date à laquelle elle a été déjouée. Fomentée par qui? Déjouée comment? Tentative fomentée et en même temps déjouée par le même opérateur? Coup d’état par simulation virtuelle?
Quiconque connaît le fonctionnement de la presse saoudienne, particulièrement la censure en temps de guerre, pareille information bienvenue pour la diplomatie américaine et saoudienne n’aurait jamais pu filtrer sans l’assentiment des autorités de tutelle tant saoudiennes qu’américaines. Le message sera entendu par le Qatar qui dans un geste de bonne volonté signera le lendemain un accord de coopération avec le Paraguay, une prestation de service qui serait en fait une opération de couverture pour les services américains en Amérique latine.
La pression est de nouveau mise lors de la phase finale de l’offensive américaine en Irak: le 8 avril 2003, jour de la chute de Bagdad, l’hebdomadaire américain «Newsweek» annonce à grands renforts de publicité une information sans véritable lien avec la conduite de la guerre: le lancement d’une enquête pour corruption contre le le premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, Hamad Ben Jassem Ben Jaber qui aurait été impliqué dans le courtage d’une affaire d’assurances et le blanchissement subséquent de cent cinquante millions de dollars sur un compte dans les Iles Jersey (Royaume Uni).
Curieuse information qui apparaît rétrospectivement comme un contre feux alors que le bureau d’Al-Jazira dans la capitale irakienne était de nouveau la cible de dommages collatéraux de la part de l’artillerie américaine et que des informations persistantes faisaient état de l’implication de la firme Halliburton dont Dick Cheney en était le patron avant sa nomination au poste de vice président américain, tant dans des versements de pots de vin au Nigeria et que dans la surfacturation de prestations pétrolières en Irak.
L’affaire tournera court mais le message sera entendu. Le dirigeant qatariote sera blanchi, et dans la foulée l’Emir de Qatar annonce l’éviction pour des liens présumés avec le régime de Saddam Hussein du Directeur Général d’«Al-Jazira», celui là même qui avait été félicitée par l’ambassadrice américaine lors du repas du Ramadan, alors que son correspondant à Kaboul et Bagdad, Tayssir Allouni, était traduit en justice en Espagne pour ses présumés liens avec «Al-Qaîda».
La mégalocéphalyte et le syndrome de la courbe de gausse
Le nouveau «Air and Field Marshall» devrait toutefois méditer les enseignements des fables de Jean de La Fontaine particulièrement «la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf». Gageons que ceux qui le lâcheront, ce jour là, seront ses plus intimes amis, à l’instar du Chah d’Iran par les Etats-Unis et de l’irakien Saddam Hussein par la France, l’Iran et l’Irak, les deux grands voisins du Qatar, atteints de mégalocéphalyte et projetés inexorablement dans la Courbe de Gausse, cette fameuse courbe qui démarre du point zéro vers un sommet situé au niveau d’un axe central vertical et qui redescend parallèlement vers le point zéro.
Références :
1- Cf à ce propos «le Qatar, la béquille financière de la France, la caution arabe du plus pro israélien des dirigeants français» in « Erhal, dégage, la France face aux rebelles arabes (René Naba Editions Golias automne 2011.
2-Bernard Henry Lévy, qui a disputé à l’Emir de Qatar, le titre nobiliaire de l’Homme de l’année 2011, fera l’objet d’un hommage à part, en mars 2012, à l’occasion du premier anniversaire de l’intervention occidentale en Libye dans un papier de reneba.com intitulé
«BHL: Homme de son temps ou homme de l’Otan».