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20 avril 2024

“L’extradition de l’ancien Premier ministre libyen est une faute politique”


“L’extradition de l’ancien Premier ministre libyen est une faute politique”

Pour Taoufik Ouanes, militant des droits de l’homme, avocat et ancien fonctionnaire des Nations unies, le Haut Commissariat pour les réfugiés est aussi responsable que le gouvernement tunisien de cette extradition condamnable à tous points de vue.

http://www.courrierinternational.com/article/2012/06/25/l-extradition-de-l-ancien-premier-ministre-libyen-est-une-faute-politique
25.06.2012Propos| |recueillis par Ridha KéfiKapitalis

 

L'ex-premier ministre libyen Mahmoudi Baghdadi à son
arrivée au tribunal à Tunis - novembre 2011

© AFP

L’ex-premier ministre libyen Mahmoudi Baghdadi à son arrivée au tribunal à Tunis – novembre 2011


Kapitalis : Comment jugez-vous l’extradition de l’ex-Premier ministre Baghdadi Mahmoudi par les autorités tunisiennes ?

Taoufik Ouanes : Cette extradition n’est pas seulement une violation du droit tunisien, en ce qu’elle empiète sur les compétences du président de la République [cette extradition s’est faite en dépit de l’opposition du président, Moncef Marzouki], elle est aussi une violation du droit international des réfugiés, puisqu’il y avait un délai d’appel ouvert jusqu’au 30 juin. Avant cette date, aucune extradition n’était permise.

Le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies ayant clairement indiqué que les raisons pour l’extradition retenues par la justice tunisienne sont infondées, il y a donc une contradiction entre la décision tunisienne d’extradition et la position officielle du HCR. En exécutant cette extradition, le gouvernement tunisien ne semble pas s’être coordonné avec le HCR, d’autant que la demande de statut de réfugié est suspensive de toute extradition. Le HCR est également responsable, car il n’aurait pas signifié ces règles au gouvernement tunisien, commettant ainsi une négligence coupable, et il doit s’en expliquer publiquement.

Pourquoi le HCR n’aurait-il pas joué convenablement son rôle dans cette affaire ?

Ma crainte, c’est qu’il y ait eu une connivence entre le HCR et le gouvernement tunisien pour des raisons différentes, car cette décision arrange bien les deux parties. D’un côté, le gouvernement tunisien favorise ses attentes en termes de soutien financier libyen et d’exportation de la main-d’œuvre tunisienne vers la Libye. De l’autre, le HCR n’aura pas à protéger quelqu’un qui est dépositaire de secrets extrêmement dérangeants pour certaines puissances, notamment la France de Nicolas Sarkozy, la Grande-Bretagne de Tony Blair et les Etats-Unis de George Bush. En plus de tout cela, le HCR envisage d’ouvrir un bureau en Libye et semble en avoir accepté le prix.

L’extradition n’a donc pas respecté les règles du droit, mais a été dictée par des considérations trivialement politiques ?

Exactement. Et, de toute façon, cette décision va à l’encontre de la situation réelle de la sécurité en Libye et de la capacité actuelle de ce pays à assurer un procès équitable à Baghdadi Mahmoudi. Tous ces éléments, de fait et de droit, ont été à maintes reprises soulignés par les organisations des droits de l’homme telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch.

La situation actuelle présente un défi à la communauté internationale dans le domaine humanitaire et des droits de l’homme, car même la Cour pénale internationale (CPI) a vu son équipe se faire arrêter [le 7 juin] en Libye lorsqu’elle a voulu exiger que Seïf El-Islam Kadhafi soit jugé par elle.

La décision d’extrader Baghdadi Mahmoudi prise par le gouvernement tunisien est donc une grave erreur ?

En plus d’une violation des droits de l’homme, cette action du gouvernement tunisien risque de mettre en danger la sécurité des frontières tunisiennes avec la Libye, étant donné que Baghdadi Mahmoudi est natif d’un village situé à 17 km de la frontière tunisienne et est considéré comme l’un des notables des tribus Nouaiel et Mhamid, qui vivent des deux côtés de la frontière, entre la Libye et la Tunisie.

La décision du gouvernement d’Ennahda représente non seulement une violation de toutes les règles du droit, elle traduit également une cécité politique aussi grave que dangereuse.

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