Monde unipolaire et libéralisme obscène
15 octobre 2012
« Le Soir d’Algérie »
Contribution : QATAR
Monde unipolaire et libéralisme obscène (13e partie)
Par Ali El Hadj Tahar
Hamad sème les armes et récolte des régimes à sa botte. Le marché du terrorisme a de beaux jours devant lui. L’ingérence, c’est une vision sur le long terme. Les plans que Doha veut réaliser ont certainement été dessinés par ses ordonnateurs de la Maison-Blanche… Ces plans s’appellent nouvel ordre mondial (NOM), selon George Herbert Walker Bush, et Grand Moyen-Orient (GMO), selon son fils.
Elaboré et mis en branle il y a plus de deux décennies, le GMO est dans sa phase finale sans que les Arabes se rendent compte. Deux mondes s’opposent : celui auquel appartient le Qatar, et l’autre qui, médusé, ne sait même pas de quelle direction vient le danger, ou même s’il y a danger… Les trois bases militaires étatsuniennes au Qatar, le rôle joué au profit des Etats-Unis en qualité de pion ou d’intermédiaire, ainsi que celui joué en matière d’approvisionnement en hydrocarbures et de leur prix, ajoutés au poids induit par les investissements du QIA dans les pays occidentaux ont produit une sanctuarisation qui, couplée à un sentiment de puissance et d’impunité a donné à Doha et à son ministre des Affaires étrangères et Premier ministre, cheikh Hamad bin Jassem bin Jabor Al-Thani, ce ton agressif dont il ne se départit jamais. Ce ton thatchérien semble d’ailleurs mimé sur celui des derniers diplomates américains, français et anglais, parmi lesquels Hilary Clinton, Condoleezza Rice, Alain Juppé, Laurent Fabius et William Hague, et qui trahit un sentiment de supériorité au sein du bloc occidental depuis que le contrepoids soviétique et chinois a disparu. Il traduit aussi l’appartenance à un libéralisme impitoyable où une poignée de privilégiés vivent de la sueur d’une majorité de travailleurs expatriés et sans droits. Et si le monde de demain serait aussi impitoyable que ce prototype de l’Etat machiavélique, ce Qatar que l’on veut cloner sur les pays arabes d’abord ? Le libéralisme des 1% de la population mondiale qui tiennent 90% des richesses du globe est en train de dominer, laminant des pays par des guerres et d’autres par des faillites économiques programmées (Grèce, Irlande, Islande). Le Qatar et l’Arabie Saoudite jouent le rôle d’agents, et leurs médias sont destinés à remodeler les valeurs religieuses en terre d’Islam à la mode wahhabite pour (également) influencer les référents politiques, économiques, sociaux et psychologiques au profit de l’égoïsme, du consumérisme, du mondialisme. Ce luxe obscène, ce matérialisme excessif, ce culte de l’argent, cette idolâtrie des marques, l’exploitation effrénée des ressources naturelles sont-ils conformes aux principes islamiques ? Non, ils sont conformes aux critères d’un libéralisme prédateur et gaspilleur, eux-mêmes conformes aux normes wahhabites, celles d’une secte se disant de l’Islam mais qui n’a aucun lien avec les principes moraux et éthiques de l’Islam ou des religions et idéologies nobles. L’islamisme est un pendant du libéralisme sauvage. Son but est également de créer des citoyens obéissants qui, dans le meilleur des cas, se contentent de manger et de regarder les gratte-ciel, des citoyens formatés et reprogrammés à la soumission par l’islamisme de Hamad et des Al-Saoud. Comme ces peuples consommateurs et médusés d’une péninsule arabique actuelle qui a perdu tous ses repères, pour ne garder qu’un Islam satellitaire mensonger. Et celui qui ne suit pas, on lui envoie Al-Zawahiri, l’ordonnateur de la nouvelle mission qui pourrait s’appeler «Ben Laden acte II» ou «Ben Laden Résurrection III». Ben Laden, c’est le clone de Bandar Shah, le chef des services de renseignement saoudien, lui-même clone de clones d’un pays qui veut à tout prix que le XXIe soit également américain.
L’avenir improbable du Grand échiquier…
La dérive autorisée d’un Etat belliqueux traduit le monde actuel où les Etats-Unis, sentant leur hégémonie s’envoler, veulent mettre les bouchées doubles, quitte à s’afficher publiquement avec les monarchies les plus roturières et le terrorisme wahhabite, quitte à ce que leur discours sur la «guerre au terrorisme» et celui sur la «promotion de la démocratie» ne fassent plus de dupes.
Ne leur en déplaise, le monde unipolaire est condamné car la position inébranlable de la Fédération de Russie et de la Chine sur le refus d’ingérence en Syrie traduit une volonté de rétablir l’équilibre d’un monde bipolaire. Le «premier pouvoir global» souhaité par Zbigniew Brzeziƒski, dans «le Grand échiquier » ne durera pas longtemps en dépit de la volonté des Etats-Unis et de Doha de le maintenir à coups de dollars et de coups d’Etat déguisés en révolutions. Car il n’est pas normal que, sur la base de principes élaborés après la Guerre mondiale, la minorité de la population planétaire commande l’écrasante majorité sous prétexte de détenir l’arme atomique.
L’électron libre qatari n’est donc pas aussi libre que cela : chacun de ses actes est contrôlé et commandé par les Etats-Unis, qui ne sont pas encore gendarmes du monde pour rien. Ils ne laisseraient jamais quelqu’un tripatouiller la carte géopolitique sans leur consentement ! Ce qu’ils ne consentent même pas à l’Angleterre ou la France, ils ne peuvent l’autoriser au Qatar qui, au passage, est autorisé à se remplir les poches, à signer des contrats, à piller comme font les impérialistes dont il a choisi la voie. Au mépris de l’arabité et de l’islamité dont il se targue. Cela s’est passé en Mauritanie, durant la visite officielle de l’émir du Qatar et de sa délégation, début janvier 2012 : venu en terre amie, Hamad s’est cru en terre conquise : «Lors de sa deuxième et dernière rencontre avec le président mauritanien Mohamed Oueld Abd Al Aziz, Sa Majesté qatarie s’est mise à conseiller à son interlocuteur d’opérer des changements politiques dans le sens de l’ouverture et de la démocratisation, afin notamment de s’ouvrir à l’opposition locale, islamiste comme par hasard.
A un moment de la conversation, l’émir Hamad a carrément recommandé au président mauritanien de prendre langue avec son opposant n°1, cheikh Mohamed Belhassen Oueld Dadou, chef des islamistes locaux.» A partir de là, le ton est monté et le président Abd Al Aziz a accusé l’émir de s’immiscer dans ses affaires intérieures, s’est déclaré solidaire du président Bachar Al-Assad et a qualifié les «révolutions arabes» de «complots». Du coup, l’émir exportateur de «révolutions» et sa suite «sont repartis seuls à l’aéroport de Nouakchott, sans être accompagnés par leur hôte mauritanien. Le président Abd Al Aziz aurait même interdit à ses ministres de le remplacer dans cette circonstance !» Puis une information tomba dans le quotidien mauritanien Al-Siraj, disant qu’Oueld Abd Al Aziz avait été prévenu par des sources sécuritaires arabes que Doha visait à le renverser. Aujourd’hui, c’est la Syrie qui est dans le viseur. Les cibles qataries sont les raïs et les Etats-nations les plus modernes, laïques de préférence. En dépit des facéties de Kadhafi, et des clichés qu’on lui attribue, le guide libyen a édifié un pays en partant du seul sable laissé par le colonialisme prédateur ottoman et le colonialisme italien : durant toute la campagne de prédation contre le pays en 2011, les caméras ennemies n’ont pas trouvé un seul bidonville à montrer pour justifier l’agression contre le «dictateur» dont le peuple dormait le ventre plein.
Pourquoi les Qataris qui ont beaucoup moins de droits que les Libyens n’ont-ils pas eu de «printemps arabe» ? Ce sont les réalisations et les projets d’investissement de la Jamahiriya (notamment la zone franche qui allait concurrencer celle du Golfe) qui ont également dû déranger ses ennemis. La Syrie, quant à elle, c’est un état qui s’assure une autosuffisance dans les domaines stratégiques alors que ses films sont vus dans tout le monde arabe et ses médicaments exportés vers une trentaine de pays, dont l’Algérie. Il n’y a pas eu de Mohamed Bouazizi en Syrie, non qu’il n’y ait pas de pauvreté ou d’insuffisances mais les indices économiques étaient positifs ; et s’agissant de droits et libertés, il faut être vraiment malhonnête pour lui préférer l’Arabie Saoudite et le Qatar, ces donneurs de leçons !
Un monde bipolaire pour la sécurité de l’humanité
Le remodelage du Moyen-Orient et d’une partie de l’Afrique et de l’Asie s’inscrit dans des velléités de domination ancienne mais revues après la chute du communisme. La Maison-Blanche les avait décidées et annoncées il y a vingt ans de cela, le New-York Times du 8 mars 1992 ayant publié un document émanant du Pentagone qui dit textuellement : «Le département de la Défense affirme que la mission politique et militaire des Etats-Unis, dans la période de l’après-guerre froide, sera de s’assurer qu’il ne soit permis à aucune superpuissance rivale d’émerger en Europe occidentale, en Asie, ou sur le territoire de la CEI (Communauté des Etats indépendants).
La mission des Etats-Unis sera de convaincre les rivaux éventuels qu’ils n’ont pas besoin d’aspirer à un rôle plus important ni d’adopter une position plus agressive, les dissuader de défier notre suprématie ou de chercher à renverser l’ordre politique et économique établi.» Vingt ans seulement après la chute du communisme, la Russie ressort du froid et la Chine s’affirme comme un vrai géant mondial. Les Etats-Unis sont en déclin, face à un Poutine revigoré, des pays du Brics (Brésil, Russie, Inde et Chine et Afrique du Sud) qui ne se laissent pas marcher sur les pieds et une Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui veut s’imposer. Dans ce contexte de compétition et de crise économique, Obama cherche à restaurer la pax americana mais dans le cadre d’un effort collectif (l’Europe et les Etats alliés) contre d’autres efforts collectifs, ceux d’une Russie et d’une Chine refusant l’hégémonie unipolaire. Le Qatar agit dans le cadre de ce plan visant aussi le démembrement de la nation arabe, le remodelage des frontières, selon des critères religieux, confessionnels, ethniques et linguistiques. Déjà l’Irak et la Libye peinent à être gouvernés, le Soudan est divisé, le Mali idem, l’avenir de la Palestine est incertain, sans parler de la Somalie. Cependant, la restructuration du monde pour s’emparer des richesses des petits a aussi des ennemis prêts à défier l’hégémonie des puissants. Le Qatar est une force financière articulée sur une denrée périssable, le gaz, sur des investissements à l’étranger et une sécurité assurée par les Etats-Unis. Pareille fragilité n’est pas supposée inciter au bellicisme, ce que les Emirats ont compris et que le Koweït a bien médité depuis son invasion par l’Irak. Autrefois, de grands pays dont l’Inde de Nehru, l’Egypte de Nasser et la Yougoslavie de Tito ont préféré former le mouvement du non-alignement qui proclame la neutralité, au lieu d’être les obligés d’un bloc ou de l’autre ou de jouer de leur rivalité. Ils savaient pourtant qu’entre les grands, la situation était celle d’une «paix impossible, guerre improbable», pour reprendre l’expression consacrée de l’époque, mais la sagesse d’une diplomatie assure la sécurité des peuples ou même de toute une région en sacrifiant parfois l’intérêt matériel. C’est Obama, le prix Nobel de la paix, qui fera les guerres les plus cyniques de l’histoire américaine, sur la lancée d’un GMO redynamisée par un Qatar qui s’y investi de tout son poids financier, diplomatique, militaire et médiatique. Pour ce faire, celui qui investit dans la Champions League et la Ligue 1 prend la Ligue arabe pour un moulin d’où il chasse qui il veut et donne la parole à un Erdogan qui y fait des discours excommunicateurs sans en être membre ! La diplomatie takfiriste, excommunicatrice, prévaut maintenant dans une organisation arabe aux ordres de l’OTAN.
A. E. T.
(A suivre)
1. http://archives-lepost.huffingtonpost.fr/article/2012/01/09/2676461_quatar-le-qatar-mis-a-la-porte-par-la-mauritanie.html
2. http://www.reopen911.info/News/2012/06/28/11-septembre-robert-bowman-ex-directeur-du-programme-us-de-guerre-des-etoiles-accuse-dick-cheney-pour-les-attentats-du-119-video/,