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29 mars 2024

La Libye s’enlise dans la violence des milices


RUE 89
Tribune 17/02/2013

La Libye s’enlise dans la violence des milices

Hélène Bravin |
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Tribune

La Libye s’enlise. Deux ans après la révolution, le pays est aujourd’hui coupé en cinq zones (Misrata, Barqa, Djebel Nefusa et Zouwara, Zentan, la Zone du Sud avec les Toubous).

Les milices constituées par des éléments tribaux disposent chacune de leur propre armée dans les quatre premières zones. A cela il faut ajouter de nombreux conflits tribaux. Ainsi que des populations en déshérence.

Que veulent ces milices ? Si dès la fin de la révolte, les « Thowars » ont revendiqué la paternité de la révolution, aujourd’hui, elles entendent assurer leur mainmise sur les villes, les quartiers et les édifices publics conquis par la force des armes.

Les milices entre police et politique

Cette mainmise, notamment sur les bâtiments ministériels ou lieux stratégiques (les aéroports, les bases militaires, les casernes militaires ou les commissariats de polices…) a amené ces milices à avoir une emprise directe sur les politiques libyens.

En outre, certaines milices ont tenté l’aventure politique. C’est le cas des milices de Abdulhakim Bel Haj qui a constitué son propre parti, « El Watan », lors des élections de juillet 2012. Il n’a obtenu aucun siège.

Via les purges orchestrées notamment par la Haute commission pour l’intégrité et le patriotisme (HCIP) – bientôt remplacée par un comité d’« isolation » –, principalement constituée d’islamistes, les milices, notamment islamistes, ont par ailleurs réussi à pénétrer les administrations et les entreprises nationales.

Cette mainmise risque à long terme, si rien n’est fait pour freiner les velléités du Qatar et de l’Arabie Saoudite qui financent les mouvements islamistes, d’entraîner une forme d’exclusion nouvelle en Libye : l’attribution des postes sur une base tribalo-religieuse.

Imposer la charia, diriger les trafics

Ces milices veulent aussi rendre justice. Lourdement armées, elles ont crié vengeance pour les exactions commises durant la révolte, faisant ainsi fuir entre 1 à 1,5 million de pro-Kadhafistes et leurs familles en dehors des frontières du pays.

Des vengeances aveugles ont entraîné des milliers d’arrestations de personnes soupçonnées d’avoir appartenu à l’ancien régime. Ou tout simplement parce qu’elles possèdent quelque richesse. Il ne faut pas se faire d’illusion, ces milices ou gangs sont avides d’argent et de 4×4.

Leur intégration dans l’armée régulière fait d’ailleurs l’objet d’incessants chantages. Elles veulent avant tout percevoir leur solde tout en gardant leur structure hiérarchique.

Certaines milices d’obédience salafiste veulent instaurer exclusivement la charia et n’hésitent pas à s’en prendre aux tombes des marabouts ou à la communauté chrétienne, du jamais vu en Libye !

Enfin, ces milices veulent diriger les trafics. En cela, il est à prévoir qu’elles entreront directement en conflit avec les cellules des salafistes djihadistes. Avant l’intervention française au Mali, des instructeurs sont venus de ce pays frontalier pour former ces cellules aux techniques de kidnapping, de camouflage des armes… Depuis l’intervention française, certains djihadistes sont passés en Libye.

Des gangs nés avant la révolution

Ces éléments de la nouvelle Libye tirent leur origine de bien avant la révolte. Ce qui explique la grande difficulté à les déraciner. Ils ne sont en aucune façon des éléments post-« révolutionnaires », nés spontanément lors de la révolte.

Les gangs sont ainsi apparus au début des années 90 – période de l’embargo – au cours de laquelle la Libye est en pleine déliquescence et où Kadhafi décide de la quasi-disparition des comités révolutionnaires (1995), sortes de milices de l’ordre et gardiennes de l’idéologie kadhafienne. Ces gangs se sont engouffrés dans ce vide. Kadhafi réussira à les atomiser sans les faire pour autant disparaître.

Même chose pour les islamistes. Au début des années 90, les mouvements islamistes explosent, prenant ainsi le relais des comités révolutionnaires en désuétude.

Malgré la répression menée par Kadhafi et qui à cette époque – faut-il le rappeler – touche essentiellement les islamistes, ils prennent pied. De nombreuses cellules se forment notamment sous l’égide de Mohamed Hamed Abou e-Nasser, le « guide » des Frères musulmans en Libye.

Des mouvements islamistes armés ont également surgi dans la société de Kadhafi. Issus de la guerre en Afghanistan –1979, début des années 80 –, ces vétérans soudainement sans mission sont revenus en Libye pour former des groupuscules.

Tout comme les Frères musulmans, leur nombre explose aussi durant les années 90 au cours desquelles ils mènent une guerre de maquis contre Kadhafi. Celui-ci est alors le premier à lancer en 1995 un mandat d’arrêt international contre Ben Laden !

En 2003, une réconciliation

Le combat de ces islamistes va se prolonger jusqu’au milieu des années 2000. Dans ce combat, les Frères musulmans leur prêtent main forte.

En 2003, Seif El Islam, le deuxième fils de Kadhafi, actuellement aux mains de la milice de Zentan, au nom d’une réconciliation – pratiquée par d’autres pays –, fait libérer des islamistes. Il souhaitait en faire des alliés.

De son côté, son père Kadhafi, d’accord sur leur libération, le fera pour d’autres raisons. Entre autre, afin de les utiliser contre les occidentaux, lesquels, à son sens, traînaient les pieds pour assurer une véritable intégration de la Libye sur la scène internationale.

Tout en les surveillant de près et en menaçant de les réprimer au moindre faux pas, son chantage était de signifier : soit c’est mon régime, soit c’est eux.

En dépit de cette réconciliation, certains d’entre eux portent allégeance en 2006 à Al Qaeda. C’est le cas de certains chefs, tels que :

  • Abdulhakim Belhaj ;
  • Abou Yahya el-Libie (numéro deux d’Al Qaeda, de son vrai nom, Mohamed Hassan Qaïd, tué au Pakistan par un drone américain en juin 2011) ;
  • Sufian al-Quma, le chauffeur personnel d’Oussama Ben Laden ;
  • et Abdul Hakim el-Hasadi qui a combattu en Afghanistan avant de rejoindre l’insurrection libyenne.

Durant la révolte de février 2011, les islamistes djihadistes étrangers ont indéniablement encadré les manifestants. Des éléments d’Al Qaeda et particulièrement d’Al Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) sont venus prêter main forte à leurs frères libyens.

L’intégration des milices dans l’armée

Pour contrer les milices, le gouvernement utilise apparemment plusieurs stratégies. La première est l’intégration des milices dans l’armée nationale. Pour l’instant, celle-ci a eu un impact très limité. Une seule milice a intégré l’armée et encore en gardant ses propres structures, autrement dit son chef !

Le gouvernement a employé une autre stratégie, plus dangereuse. A la fin de la révolte, il n’a cessé de « déléguer » aux milices le règlement de conflits tribaux. L’exemple type étant celui de Sabha (Sud), l’ancien fief des Maghraha, la tribu de Abdesselam Jalloud, l’ex-numéro deux du régime.

Les Toubous se sont battus contre la puissante tribu des Oulad Slimane. Enfin, au mois de novembre dernier, le gouvernement s’est allié aux milices de Misrata contre Beni Walid, considéré comme un fief de la résistance kadhafiste !

En cela, le gouvernement n’a pas joué son rôle pacificateur – le problème principal entre Misrata et Beni Walid étant celui des prisonniers détenus de part et d’autre. L’opération a certes été dévastatrice mais, du coup, l’« unité » de Misrata en est ressortie renforcée.

S’il se réglait par la victoire d’une milice sur l’autre, le pouvoir central sera alors confronté au bon vouloir du vainqueur. Et il sera fragilisé.

Plus le temps passe et plus il sera difficile de désarmer les milices. Le chômage existait sous Kadhafi et il existe encore. Dès lors, comment convaincre un jeune sans diplôme de rejoindre une administration, une usine ou de monter sa propre entreprise alors qu’il peut vivre des trafics d’armes ou autres ?

MERCI RIVERAINS ! Enki
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