Guéant, nouveau roi des mines africaines

L’ancien bras droit de Sarkozy vient d’être nommé conseiller stratégique d’un groupe minier présent au Gabon et autre Cameroun, et la PME familiale prospère en Afrique et dans les paradis fiscaux les plus inattendus…

les multiples facettes de Claude Guéant, par CharbOn avait le Guéant préfet, le Guéant chef des flics, l’incontournable bras droit de Sarkozy, l’avocat, l’ami de Takieddine puis son ennemi, le perquisitionné, le vendeur de tableaux, et voilà l’expert en ressources minières. C’est fou ce qu’une personnalité recèle de facettes inexplorées: ainsi, l’ancien secrétaire général de l’Élysée est féru de l’utilisation et du développement des infrastructures liées à l’exploitation du fer, et les Français ne le savaient pas!

Guéant en AfriquePour l’apprendre, il a fallu attendre un communiqué du 14 mai dernier nommant l’intéressé «conseiller stratégique», publié par l’International Mining and Infrastructure Corporation (Imic), une société anglaise d’investissement, une coquille chargée de flairer les gisements juteux et les bons coups, notamment sur le marché du fer. À cette date, la justice s’intéresse à Guéant, ses relations avec Tapie ou en Libye, aux sommes d’argent reçues de Malaisie ou de Jordanie, mais la boîte n’a pas l’air de lui en tenir rigueur. Très introduite au sommet de l’État de Guinée Conakry, elle affichait comme caution John Negroponte, l’ancien ambassadeur de Bush en Irak, mais elle peut désormais compter, grâce aux«conseils stratégiques» de Guéant, «sur la meilleure façon de mettre en œuvre ses plans de développement», note le communiqué. Ce à quoi l’ancien ministre répond, selon le même texte, qu’il se voit«ravi d’être partie prenante d’un projet dont les objectifs se concentrent sur le développement des pays africains». On se pince.

ROITELET DE LA FRANÇAFRIQUE

Désormais avocat, Claude Guéant semble avoir également été sacré roitelet de la Françafrique par les potentats au pouvoir en Afrique francophone. Il y a notamment été introduit par l’avocat Robert Bourgi. Pas un chef d’État en goguette à Paris sans que Guéant soit reçu en audience. Pas une capitale, de Brazzaville à Libreville en passant par Malabo, qui n’a pas vu passer l’ex-bras droit de Sarko depuis l’échec de ce dernier à la présidentielle de 2012, même si sa valeur se démonétise au fur et à mesure que son influence diminue.

Quand ce n’est pas Bourgi qui l’emmène par la main rendre visite à Bongo, c’est Guéant qui prend son gendre par le bras pour lui présenter quelque sommité africaine. Jean-Charles Charki, le gendre donc, est l’autre pilier du business familial. Ses bureaux et ceux de Guéant sont situés dans les mêmes locaux, au même étage, avenue George-V, au point que sa société, LPA Holding, créée avec la fille de Guéant en 2010, prête une adresse e-mail en @lpaholding.com à beau-papa — l’annuaire de l’ordre des avocats l’atteste.

Guéant et les briquesCharki, un jeune banquier aux dents longues, ancien associé de Jean-Marie Messier, est dorénavant à la tête d’un vrai petit groupe naviguant entre Paris, Londres, la Colombie et divers paradis fiscaux des pays chauds. Il est administrateur d’un fonds d’investissement prétendument spécialisé dans les énergies renouvelables, L14 Capital Partners, sis au Luxembourg, au côté d’un membre de la famille Séché, très active dans les ordures, ainsi que «directeur des opérations» d’une société pétrolière colombienne, PIC. Mais l’Afrique et les pays du Golfe restent son terrain de chasse privilégié, encore un tropisme familial pour le gendre de celui qui, du temps de l’Élysée, y passait ses week-ends, exerçant une diplomatie parallèle au nom d’on ne sait trop quels intérêts.

Charki fait par exemple affaire en Côte d’Ivoire: La Lettre du continent vient de révéler qu’il a été nommé conseil d’Abidjan pour des opérations bancaires. Guéant et lui ont multiplié les déplacements en Guinée Conakry, au Gabon, défendant les intérêts d’une société de biométrie belge, ou en Guinée équatoriale, un pays dont les représentants sont poursuivis en France dans l’enquête des «biens mal acquis». Guéant n’a pas répondu à la demande d’entretien de Charlie, mais il s’était exprimé dans Le Monde en mai dernier. «Vous dites que je me sers de mon carnet d’adresses. Ce n’est pas seulement ça. J’appuie des dossiers d’entreprises françaises à l’étranger, en Afrique comme aux Émirats, en Russie ou ailleurs.» Un joli mélange des genres.

LE GENDRE IDÉAL

Justement, son gendre a implanté ses boîtes de conseil aux Émirats: LPA et Iota, plus spécialisées dans le pétrole, ont ouvert des filiales à Ras Al-Khaimah, l’un des États de cette fédération du golfe Persique qui a la particularité agréable d’être un havre fiscal pour les adeptes du zéro impôt. Ce confetti mi-montagneux, mi-sablonneux situé au bout de nulle part est doté d’un statut bâtard: sans être pour autant inscrit sur la liste des pays non coopératifs en termes d’échanges bancaires et judiciaires, ses avantages sont alléchants. Comme le relève un expert en «optimisation fiscale internationale», les sociétés créées à Ras Al-Khaimah jouissent de la «confidentialité absolue des bénéficiaires économiques», d’une zone franche, de zéro impôt sur les sociétés ou sur les bénéfices. Il y a bien une taxe à verser à l’État, mais elle est fixée à 545 dollars. Raisonnable! Quant à la publication annuelle des comptes, c’est une pratique qui n’existe pas en ce pays ensoleillé…

Le gendre de Guéant y a donc créé ses filiales, mais pour des affaires qui demeurent énigmatiques. Il participe ainsi en septembre 2011 à un mystérieux «projet d’investissement», comme le détaille un document retrouvé par Charlie, conduit par la société anglaise Worldmill: en prêtant à cette dernière la somme de 2,5 millions d’euros, l’heureux homme s’est vu rémunérer en deux mois à 17%, un taux d’intérêt plutôt rare. Il a donc récupéré 2,925 millions aux Émirats, évidemment nets d’impôts. De quoi faire prospérer la PME familiale… On aurait bien voulu en savoir plus sur cette drôle d’opération, mais le monsieur n’a pas répondu à Charlie. On se fait désormais discret dans la famille?

Laurent Léger

Article publié dans Charlie Hebdo n°1095 du 12 juin 2013