« L’exploitation de ressources minières a connu, ces quinze dernières années, un développement considérable, et acquis une importance stratégique »
Dans son éditorial, Frédéric Thomas précise : « Qu’entend-on par « industries minières » ? Il s’agit de l’ensemble des activités intensives visant à prospecter, exploiter et extraire – d’où le terme également utilisé d’« industries extractives » – les matières minérales de la croûte terrestre, sous forme de minerais – métallurgiques et industriels (fer, cuivre, plomb, zinc, cobalt, lithium, calcaire, potasse…) -, de métaux natifs (or et argent), de charbon, d’uranium… Si la production de pétrole et de gaz n’est pas considérée comme une activité minière, elle relève cependant de l’industrie extractive, qui définit plus globalement l’exploitation des richesses du sous-sol ».
Deux thématiques principales sont abordées dans le livre : la situation macroéconomique et géopolitiques des ressources minières d’une part et les débats locaux, nationaux et internationaux soulevés sur ce sujet, d’autres part. Si certains plaident en terme de gestion et de régulation, c’est le plus souvent sur le caractère limité des ressources minières et sur l’impasse du modèle de développement productiviste que se construisent des réponses et des mobilisations en termes alternatives.
Les conflits socio-environnementaux se développent, en lien avec les revendications de contrôle des populations sur leurs environnements, pris au sens le plus large, mais peuvent s’opposer à d’autres luttes autour du droit au travail. Ces contradictions (re)doublent celles entre engagements de développement de certains gouvernements et réels choix démocratiques des groupes sociaux.
L’auteur souligne, entre autres, la reprimarisation de certaines économies, la militarisation (la violence et sa privatisation) accompagnant les processus d’accumulation par dépossession, pour utiliser le vocabulaire de David Harvey, la permanence de rapports coloniaux, les effets de la division internationale du travail, de la rente et la corruption engendrée, etc.
Sans oublier que l’activité minière est extrêmement polluante, qu’elle entraîne un « double phénomène d’accaparement des terres et de l’eau » ou la nécessaire subversion de « l’équation consensuelle qui lie croissance, progrès, développement, consommation et qualité de la vie ».
En conclusion, Frédéric Thomas écrit : « De l’alliance, opposition ou indifférence de ces diverses forces sociales, de l’articulation ou non des luttes de travail et des mobilisations socio-environnementales, dépendent grandement en tous les cas les politiques qui seront mises en place à l’avenir concernant les ressources naturelles et donc le sort qui sera réservé à notre planète ».
Éditorial
Exploitation minière au Sud : enjeux et conflits par Frédéric Thomas
Amérique latine
- Consensus des matières premières, tournant éco-territorial et pensée critique en Amérique latine par Maristella Svampa
- État compensateur et nouveaux extractivismes : ambivalence du progressisme en Amérique du Sud par Eduardo Gudynas
- Conflits miniers et scénario de transition : le cas péruvien par José De Echave
- Bolivie : renforcement, succès et impasses du modèle extractiviste parMarco Gandarillas
Afrique
- Vers une « bonne gouvernance » du secteur minier de la République démocratique du Congo ? par Ferdinand Muhigirwa Rusembuka
- L’Afrique du Sud en proie à la « malédiction des ressources » parPatrick Bond
- Les ressources minières et le développement de l’Afrique : défis et perspectives
Asie
- Autonomie régionale et conflits entre populations et industrie minière en Indonésie par Pius Ginting
- Philippines : mobilisations civiles pour une politique extractive durable et équitable par Liza G.F. Lansang
- Les ressources minières d’Afghanistan : une lumière sur la route de la soie ? par Javed Noorani
Transparence ?
Leçons de transparence de l’« Initiative pour la transparence des industries extractives » par Kees Visser
Les expériences, les mobilisations, sur les différents continents traités sont très différentes tant par l’intensité des résistances que des contre-propositions en débat. Cela se ressent dans les positionnements de certains textes. De ce point de vue, c’est la partie sur l’Afrique qui me semble la moins critique. Je signale cependant l’article de Patrick Bond sur l’Afrique du Sud. L’auteur analyse certaines évolutions dans le pays, loin des images d’Épinal que les soutiens a-critiques, entre autres, de l’ANC nous proposent. Le renversement du « pouvoir blanc » sans modifications substantielles des rapports capitalistes et patriarcaux ne pouvait que se traduire par le maintien/développement des inégalités, sans oublier « une telle vénalité chez une génération tant révérée de leaders combattants… ».
Les lectrices et les lecteurs ne seront pas surpris-e-s de la place prise par les débats et les mobilisations en Amérique latine, débats et mobilisations sur les droits des populations, les limites de l’État rentier, compensateur et redistributeur, le buen vivir, ou sur « les champs d’applications mêmes de la démocratie ».
Cette partie essentielle peut être complétée par d’autres lectures, voir rubrique Caraîbes, Amérique centrale et du sud, ou dans d’autres numéros de cette revue Alternative Sud | Entre les lignes entre les mots.
Les articles sur l’Asie (Indonésie, Philippines, Afghanistan) présentent des problématiques et des luttes, montrant des similitudes avec celles d’autres régions du monde mais plus rarement évoquées.
Dans le dernier texte publié, « Leçons de transparence de l’« Initiative pour la transparence des industries extractives »Kees Visser montre que l’accent mis sur la transparence « évacue les problèmes fondamentaux liés à l’extrativisme et fausse la compréhension des enjeux, intérêts et conflits entre les différents acteurs ». Dans les projets, soutenus par la Banque mondiale, les « communautés » touchées par ce développement industriel ne sont ni consultées ni protégées. Par ailleurs, les industriels concernés refusent « l’adoption de zones environnementales « no-go » et sont opposés à l’interdiction du déplacement forcé des communautés locales ». L’auteur analyse aussi la privatisation de la sécurité. Il souligne que « les normes sociales, environnementales et en matière de droits humains devraient être obligatoires et contraignantes juridiquement ». Il ne saurait y avoir d’accord « gagnant-gagnant » lorsque ne sont pas respectés les choix auto-déterminés, des populations. L’auteur analyse les conséquences en termes de moyens de subsistance lors des accaparement de terres par les différentes industries pétrolières, gazières et minières. Il en est de même pour les industries agro-alimentaires. « L’extraction continue des ressources est supposée inévitable, et l’investissement direct à l’étranger (IDE) est jugé – tant qu’il est fait de manière transparente – comme étant toujours une bonne chose, en dépit de l’option parfois raisonnable de conserver les ressources naturelles dans le sous-sol ou de suspendre l’exploitation jusqu’à ce qu’un pays soit prêt à profiter pleinement de ses ressources ».
Alternatives Sud : Industries minières – Extraire à tout prix ?
Centre Tricontinental et Editions Syllepse (Editions Syllepse – Industries minières ), Louvain-le-Neuve (Belgique) 2013, 215 pages, 13 euros
Didier Epsztajn