DIEUDONNE ; PROPOS RECUEILLIS PAR SILVIA CATTORI EN MAI 2005
2 janvier 2014
Qui veut la peau de Dieudonné ?
Quand, en mai 2005, nous avions rencontré Dieudonné M’Bala M’Bala il avait subi 18 procès et avait été relaxé 17 fois ! Ce qui montrait au minimum que les procès qu’on lui intentait relevaient du harcèlement. Nous avions eu en face de nous un homme très affecté par les accusations d’antisémitisme portées contre lui et les appels à boycotter ses spectacles. Il nous avait paru néanmoins très cohérent et pondéré, comme le montre l’entretien reproduit ici. Depuis lors huit années se sont écoulées au cours desquelles, sans cesse attaqué, son discours s’est radicalisé et nous posons la question : Dieudonné, n’a-t-il pas été la victime d’un acharnement cruel et sans pitié ? Atteint dans sa dignité, humilié et poussé à bout par ceux qui ont juré sa perte, ne s’est-il pas nourri de ce qu’il a enduré jusqu’à l’excès ? [S.C]
Dieudonné
Alors que la défense des citoyens devrait être au cœur de la politique, il n’en est rien ; l’État, les élus, participent de la campagne d’intolérance qui frappe actuellement Dieudonné (*). Or, quand tous les pouvoirs se transforment en procureurs en cédant aux pressions d’organisations tribales, ce sont les fondements d’une société démocratique qui sont ébranlés.
Les affirmations de Proche-Orient Info – un site spécialisé dans la défense des intérêts israéliens – attribuant à Dieudonné des propos qu’il n’a pas tenus, auraient dû être considérées avec précaution par la classe politique. Or celle-ci a cédé aux pressions d’officines qui font constamment peser sur les journalistes, les politiques, les intellectuels, l’accusation du prétendu « antisémitisme ». Dire d’une personne qu’elle est « antisémite », « néo-nazie », « fasciste », « négationniste » – accusations sans fondement dans la grande majorité des cas – est un procédé totalitaire. Ainsi estampillés, lésés financièrement et moralement, même innocentés par les tribunaux, les accusés n’en demeureront pas moins salis, marginalisés, exclus pour le restant de leurs jours.
Silvia Cattori : Dieudonné, depuis notre première rencontre, en novembre 2004 [1], vous êtes l’objet d’attaques. Déjà dix sept procès…
Dieudonné : Dix huit.
Silvia Cattori : Dix huit tribunaux en une année c’est beaucoup !?
Dieudonné : Bien sûr, c’est énorme ! On préférerait passer son temps à autre chose. Mais il suffit de penser à Mandela, à Martin Luther King, à Tjibaou, pour se dire, voilà, il y a des causes difficiles. Je ne pense pas que je verrai de mon vivant le résultat de tous les efforts consentis pour parvenir à l’égalité des droits. J’y participe à mon humble niveau. Il n’y a rien de désespérant si on projette son action sur plusieurs générations. On se dit, bon, ça avance un petit peu. Quant aux faits que l’on me reproche, j’ai été relaxé dix sept fois.
Silvia Cattori : Sur quelle base vous accuse-t-on ?
Dieudonné : On m’accuse d’avoir offensé la religion juive. Or ce n’est pas du tout un fait religieux que j’ai caricaturé lors de mon sketch en décembre 2003. J’ai caricaturé un fait politique.
Il y a une telle violence en face, une telle haine ! Une telle férocité ! On m’a harcelé, frappé physiquement. À un moment donné on s’habitue à tout. Puis cela vous donne de l’énergie. On arrive à transformer cette énergie négative en positif, à se servir de toute cette folie, pour rentrer en soi et créer. Si j’ai écrit autant de spectacles en si peu de temps c’est sans doute en partie à cause de toute cette pression qui a pesé sur mes épaules. A un moment donné je dois passer à la phase de l’expression.
Silvia Cattori : Qui vous accuse plus précisément ?
Dieudonné : Des représentants du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), de l’UEJF (Union des étudiants juifs de France), … et les journalistes qui travaillent dans la même optique qu’eux. Tout ce que vous dites est passé au crible, pour vérifier s’il y a un mot qui permettrait de porter plainte contre vous.
Silvia Cattori : Une plainte a été déposée également en Suisse suite aux propos que vous aviez tenus, en février 2004, sur le plateau de la Télévision Suisse Romande…
Dieudonné : C’est un certain Isaac Cohen qui allègue, entre autre, que j’aurais « accusé l’État juif d’avoir collaboré à un programme d’extermination raciale en Afrique du Sud ». Mais le tribunal de Genève, en Suisse, a rejeté cette plainte.
Silvia Cattori : Quand, à Alger, vous avez parlé de « pornographie mémorielle » n’avez-vous pas dérapé ?
Dieudonné : Je crois qu’il n’y a rien d’extravaguant à dire que l’instrumentalisation politique de la souffrance est obscène. Sur le fond je trouve que c’est une bonne formulation. On doit pouvoir parler de pornographie mémorielle quand il y a des abus. Ces termes ne sont pas de moi. S’ils provoquent des réactions contrastées, ouvrons le débat. Parlons de ce qui pose problème. Ne détournons pas les faits.
Silvia Cattori : Vous sentez-vous l’objet d’une cabale ?
Dieudonné : Complètement. On m’a prêté des propos que je n’ai pas tenus. On a dit « Dieudonné a dit que la Shoah est une pornographie mémorielle ». Je n’ai jamais dit cela. Je n’ai jamais associé la Shoah à cette phrase. Ce à quoi je me référerais, n’avait évidemment rien à voir avec le passé nazi. C’est insensé de vouloir me prêter des idées qui sont si éloignées de moi.
Silvia Cattori : Quel intérêt avait le site Proche-Orient info à diffuser une information falsifiée ? Miser sur son effet médiatique tapageur pour transformer l’humoriste en scandale de la République et vous faire taire ?
Dieudonné : Je crois que c’était un projet de solution finale en ce qui concerne mon existence médiatique. Ils ne peuvent pas me faire taire. Je ne crains rien. Je subis ce chantage pour m’être opposé au lobby sioniste. Ils ont voulu me frapper professionnellement et financièrement. Nous avons porté plainte contre le site Proche Orient info. Je n’ai rien à me reprocher. Quand je regarde mes enfants je me sens bien avec moi. Vous me direz que c’est facile à dire puisque je peux les nourrir.
Silvia Cattori : Pensez-vous pouvoir sortir gagnant ?
Dieudonné : J’irai jusqu’au bout de mon parcours d’humoriste. Si je dois m’arrêter à 40 ou 41 ans, ça aura déjà été un temps de pur plaisir. J’ai toujours fais mon métier sincèrement. Si je devais me plier ce ne serait plus le même travail. Faire rire de manière bêtement mécanique, non. J’aime qu’il y ait une réflexion dans l’humour. Sinon je ne m’y retrouve pas. Je crois que je continuerai tant que cela sera possible. J’adore la scène. Mais, s’il le faut, je suis capable de faire autre chose. Si je dois m’autocensurer, renoncer à ma liberté de pensée pour continuer d’exister comme humoriste, cela ne m’intéresse pas.
Silvia Cattori : Vous paraissez serein, malgré tout. Mais êtes-vous conscient du danger. Que vous êtes pris dans une guerre ?
Dieudonné : Oui c’est une guerre.
Silvia Cattori : Ceux qui la mènent, veulent la gagner. Et ils y mettront les moyens.
Dieudonné : Oui, je sais.
Silvia Cattori : Pour Elisabeth Schemla (elle a créé Proche Orient info) et BHL, qui a appelé à boycotter vos spectacles, vous êtes l’homme à bannir…
Dieudonné : Je suis vraiment pour eux le diable. Ils ont déclenché une guerre nucléaire contre un moucheron. Un moustique qui peut piquer, mais bon, qui ne tue pas. Ils me font des procès, ils peuvent aller jusqu’à me frapper, ils peuvent me tuer financièrement. Là, ils sont au maximum de ce qu’ils peuvent faire. Pour faire plus, ils doivent passer à quelque chose qui n’est plus légal. Par chance je n’ai quasiment pas de besoins. J’ai un théâtre. Il tourne. Ce qui me donne cette légèreté artisanale qui fait qu’on peut rebondir.
Silvia Cattori : Dans votre spectacle « 1905 » vous dites « tôt ou tard ils vont me dégommer ». Vous le pensez sérieusement ?
Dieudonné : Je me dis qu’effectivement, face à toute cette haine, il peut y avoir un ou deux déséquilibrés qui…
Silvia Cattori : N’avez-vous pas peur… ?
Dieudonné : Non, je n’ai pas peur ; je ne vis pas dans la peur. On m’a déjà frappé, je sais ce que cela signifie. S’ils m’attaquent avec un couteau, cela peut être dangereux. Je m’attends au pire en toute sérénité. La peur est un sentiment qui est en chacun de nous. Il faut lui laisser une petite place. Mais pas la première place. Ce qu’il y a de plus difficile à assumer dans cette guerre, c’est que face à la haine on se trouve constamment pris dans le tourbillon de la défense. Je n’ai jamais répondu aux attaques. Sauf devant les tribunaux ; et sur scène où je puis faire rire de ce vécu.
Silvia Cattori : Vous avez de l’audace. Vous parlez de vicissitudes qui font partie du non dit, ou qui ne sont pas visibles aux yeux de tous, mais qui deviennent immédiatement palpables dans vos spectacles. Et déclenchent le rire…
Dieudonné : Je crois que c’est le rôle de l’humoriste. Je n’ai pas de regret par rapport à mon travail. Je l’ai fait honnêtement et sincèrement. Yo soy un hombre sincero. (rire)
Silvia Cattori : Au travers de cette mise au pilori vous avez enfreint un tabou, ouvert un champ qui dépasse le cadre de la France ; vous avez réussi à rassemblez ceux que des associations prétendues « antiracistes » ont elles paradoxalement divisé : beur, black, blanc…la couleur disparaît ; et le sentiment que dans la lutte contre l’injustice, « on est tous des nègres » a fini par prévaloir ? Aussi, en ouvrant le débat autour du film sur l’esclavage et la colonisation, sur lequel vous travaillez, ne voulez-vous pas éveiller les consciences de ceux et celles qui sont sensibles à une mémoire coloniale mal assumée ? Autrement dit, n’est-ce pas la voix de l’universalisme laïc que votre dernier spectacle met en débat ?
Dieudonné : Oui. Cette description me ressemble bien. Ma mère est blanche, mon père est noir. Je n’ai pas de religion. Je suis prédisposé peut être à l’universel de manière naturelle. Cela n’a pas été un problème pour moi d’envisager la fusion avec le reste de l’univers. Je conçois que, pour certains, c’est difficile de quitter le nid douillet du communautarisme. Ca fait peur. Mais c’est la préhistoire de l’humanité, le communautarisme. C’est Néandertal et Cromagnon. Mais voilà, on a peut être une autre destinée que l’affrontement communautariste cyclique.
Silvia Cattori : A côté des aspects pénibles, n’y a-t-il pas eu des bonnes surprises ?
Dieudonné : Ah ! Oui, il y a eu des choses formidables. Une chaîne de solidarité, d’amour même, que je ne pouvais même pas imaginer. C’est un bonheur de voir des familles entières qui disent vouloir me protéger.
Silvia Cattori : Vos spectacles ouvrent-ils en quelque sorte des portes en donnant la clé pour comprendre dans quelles turpitudes le monde politico-médiatique évolue présentement en France ?
Dieudonné : Oui. C’est important de comprendre à quel point il y a de l’agressivité et de la haine chez ceux qui veulent dominer. De comprendre que le pouvoir rend fou. Et que le pouvoir de l’argent, le pouvoir du monde de la nuit et du spectacle n’est pas quelque chose de brillant.
Silvia Cattori : Ce monde du spectacles ne vous manque-t-il pas ?
Dieudonné : Non, non. Ce n’est pas mon univers. Je n’ai jamais habité Paris. J’ai fait trois ou quatre sorties, peut être un peu plus. Non ce monde de la nuit et du spectacle médiatique ne m’attire pas.
Silvia Cattori : Si je comprends bien, vous aimez vous mettre sur le fil à la façon d’un Don Quichotte…
Dieudonné : Oui, on commence à m’en parler. La liberté est aussi une histoire de mots, de dialectique. L’autodérision est bénéfique quand le doute s’installe. Un artiste doit pouvoir s’exprimer sans peur. Il y a un public face à lui qui s’interroge, qui a également besoin de cette liberté. Le rire est là pour le libérer de ce qui lui pèse. Je parle de ce rire sincère, qui peut déranger le pouvoir, mais qui est salutaire. Un artiste ne doit pas tricher, ne doit pas s’autocensurer. Si je devais faire de la politique je saurais m’adapter. Mais là je fais mon métier d’humoriste. Le rire a besoin de liberté.
Silvia Cattori : Vous transmettez par l’humour une critique que les forces progressistes semblent incapables d’assumer…
Dieudonné : L’idée qu’un clown, qu’un humoriste de couleur, puisse ébranler ce pouvoir si écrasant qu’est le sionisme, un pouvoir qui a déjà généré tant d’injustices, n’est pas pour me déplaire.
Silvia Cattori : La partie n’est pas jouée. Pour l’instant n’est-ce pas vous qui êtes sur le gril ?
Dieudonné : Ma nature étant ce qu’elle est, je ne peux pas me compromettre, collaborer.
Silvia Cattori : Qu’entendez-vous par « collaborer » ?
Dieudonné : Jouer les amuseurs d’État. Les amuseurs asservis au pouvoir.
Silvia Cattori : Du temps où vous vous étiez la coqueluche des plateaux télévisés ne l’avez-vous pas fait ?
Dieudonné : Non, j’ai travaillé honnêtement. J’ai fait ce chemin en toute naïveté.
Silvia Cattori : En toute naïveté ?
Dieudonné : Oui, en toute naïveté. Par mon parcours j’ai découvert… j’ai vu des choses, tout cela s’est recoupé et voilà, je suis dans la situation que vous savez. Et je ne m’en plain pas. Je crois que je peux continuer quoi qu’il arrive.
Silvia Cattori : Ces avanies ne vous ont-elles pas révélé une capacité à endurer, à rebondir… ?
Dieudonné : Ma nature, encore une fois, ce n’est pas de résister, de rendre les coups. Quand je m’investis pour une idée, je le vis comme une libération. Cette expérience me libère des chaînes, des leurres, et l’agressivité de ceux qui veulent me faire taire n’y changera rien. Cela peut paraître étrange. On me frappe. Dans un premier temps j’ai envie de rendre les coups. Mais je ne les rends pas. On me frappe encore et là je ne sens quasiment plus rien. C’est comme si cela ne me concernait plus. Je me sens un peu spectateur et j’ai un peu pitié de ceux qui m’en veulent. En France il y a un aveuglement autour de l’accusation d’antisémitisme.
Silvia Cattori : C’est une belle posture, mais on ne fait pas une carrière avec ça !
Dieudonné : Quelle carrière devrais-je faire ? Celle de qui ?
Silvia Cattori : Celle que peuvent faire les autres humoristes, comme Elie Semoun et Jamel Debbouze…
Dieudonné : Je ne voudrais pas. Je les trouve formidables. Mais je n’ai pas le courage de me compromettre jusque là. Je n’ai pas cette force.
Silvia Cattori : Parce qu’il faut se compromettre ?
Dieudonné : Oui.
Silvia Cattori : Quand vous voyez ou vous sentez que les choses ne sont pas nettes cela vous attriste ?
Dieudonné : Je ne suis pas de nature triste. Mon entourage vous dirait que je ne suis pas triste. Mais je peux souffrir, être attristé, comme tout le monde.
Silvia Cattori : Pleurez-vous parfois ?
Dieudonné : Oh ! Je pleure comme tout le monde. Je pleure de temps en temps. Je pleure seul. Cela fait du bien. Quand les gens m’aiment c’est plutôt là que les larmes viennent. Pas quand on me blesse.
Silvia Cattori : Avec vos spectacles vous avez de nombreuses occasions de pleurer ? Il y a beaucoup d’amour dans le public.
Dieudonné : Oui, c’est vrai. Quand les gens sont sincères cela me touche.
(*) Marc-Édouard Nabe a rendu compte de cette affaire en février 2004. Voici un extrait tiré de son ouvrage J’enfonce le clou, Chapitre 9, page 81 :
« L’affaire a tourbillonné si haut qu’on a vraiment cru qu’il méritait la corde. Pour avoir fait quoi ? Un sketch chez Marc-Olivier Fogiel en hommage à son ami Jamel Debbouze. Dieu-donné, méconnaissable, sous une cagoule de nationaliste corse et un treillis militaire de Tchétchène, la voix transformée, lisait un tract censé ironiquement mettre en garde la France contre le dangereux perturbateur maghrébin Debbouze. Son personnage portait aussi un chapeau de rabbin et des papillotes. Il représentait un intégriste israélien qui voyait dans la présence de Jamel sur le plateau de télévision « un acte antisémite » (sic !), un terroriste menaçant qui disait s’être récemment converti au fondamentalisme sioniste et qui finissait par encourager les jeunes gens dans les cités à « rejoindre l’axe du Bien, l’axe américano-sioniste ». Textuel. Je dis textuel car ce sketch, peu l’ont vu, tout le monde en a parlé et personne n’en a lu le texte. Le texte du sketch ! Sur le coup, Jamel et les autres invités et même Fogiel et sa cointervieweuse étaient écroulés de rire comme si, de toute façon, ça ne pouvait pas ne pas être drôle puisque c’était signé par un humoriste. Heureusement, le sketch n’était pas drôle, il était juste fait (…) pour imaginer ce qu’un colon israélien totalement fanatique pourrait lancer comme discours belliqueux sur les plateaux de télévision si on l’invitait. »
Silvia Cattori