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22 novembre 2024

SAINT DIEUDONNÉ par Selim Al Shabbaz


SAINT DIEUDONNÉ par Selim Al Shabbaz

ENFIN un comique pas drôle ! Un comique qui prend son métier tellement au sérieux qu’il revendique le droit de rire de tout, c’est-à-dire d’Israël… Car allons à l’essentiel : la question « Peut-on rire de tout ? » ne se poserait pas si ce « tout » n’était pas Israël. Je soupçonne même cette question d’avoir été inventée pour qu’on évite de demander sans arrêt « Peut-on rire d’Israël ? », ce qui finirait par être gênant. Les humoristes qui rigolent de tout sauf d’Israël savent très bien qu’ils ne rigolent de rien. Ils tournent autour du tabou comme des Indiens autour d’un totem.

http://www.lejournaldepersonne.com/2012/02/saintdi eudonne/

Seul parmi les chefs peaux-rouges, Dieudonné a déterré la hache de guerre ! Lui, le métis pince-sans- rire, le glacial barbu ironico-illuminé, qui était bien parti pourtant pour jouer à jamais le rôle du gros Nègre marrant aux côtés du petit Juif teigneux dans des sketches labellisés « antiracistes », se retrouve soudain métamorphosé en vilain monsieur tout blanc, tout blond, les yeux clairs, parlant allemand et faisant le salut nazi en pleine France de 2004 !

Dieudonné s’est expliqué calmement. Il a dit qu’il attaquait seulement Sharon et surtout le soutien d’Israël à l’Afrique du Sud, qu’en tant qu’athée chevronné il se sentait le droit de brocarder les rabbins comme les curés ou les imams, qu’il n’avait rien contre les Juifs mais trouvait répréhensible la politique de la droite israélienne et critiquables ceux qui la défendent ici comme là-bas. Peine perdue. Babillage de grillé. Remplissage d’un trou à jamais vide. C’est fait, c’est bon, c’est déchiré. Pas de points de suture pour réparer le mal. Dieudonné, après tant d’autres, et avant bien d’autres encore, aura été vert- de-grisé par ceux qui ont toujours le bon droit avec eux, les gentils méchants, les vigilants lyncheurs. Pour Dieudonné, le Ku Klux Klan existe encore.

L’affaire a tourbillonné si haut qu’on a vraiment cru qu’il méritait la corde. Pour avoir fait quoi ? Un sketch chez Marc-Olivier Fogiel en hommage à son ami Jamel Debbouze. Dieu-donné, méconnaissable, sous une cagoule de nationaliste corse et un treillis militaire de Tchétchène, la voix transformée, lisait un tract censé ironiquement mettre en garde la France contre le dangereux perturbateur maghrébin Deb- bouze. Son personnage portait aussi un chapeau de rabbin et des papillotes. Il représentait un intégriste israélien qui voyait dans la présence de Jamel sur le plateau de télévision « un acte antisémite » (sic !), un terroriste menaçant qui disait s’être récemment converti au fondamentalisme sioniste et qui finissait par encourager les jeunes gens dans les cités à « rejoindre l’axe du Bien, l’axe américano-sioniste ».

Textuel. Je dis textuel car ce sketch, peu l’ont vu, tout le monde en a parlé et personne n’en a lu le texte. Le texte du sketch !

Sur le coup, Jamel et les autres invités et même Fogiel et sa cointervieweuse étaient écroulés de rire comme si, de toute façon, ça ne pouvait pas ne pas être drôle puisque c’était signé par un humoriste. Heureusement, le sketch n’était pas drôle, il était juste fait pour foutre la merde et pour imaginer ce qu’un colon israélien totalement fanatique pourrait lancer comme discours belliqueux sur les plateaux de télévi- sion si on l’invitait.
L’hallucination fut si collective que tous les journalis- tes-moutons ont certifié qu’à la fin Dieudonné avait prononcé un « Heil Israël ! » ou un « Israël heil ! » qu’un revisionnage attentif de l’émission par les esprits les plus mal tournés ne permet pas d’entendre. Pourquoi pas « Heil-sra-Heil ! » tant qu’ils y sont ? C’est toujours la même histoire, il y a de quoi devenir une victime ! Des éléments « sulfureux » jetés en vrac sur la table suffisent à accuser le comique de tous les crimes. En faisant un peu n’importe quoi, Dieudonné a touché juste.

L’expression « américano-sioniste » jugée comme une provocation infâme (alors que c’est un terme qui dans tous les pays moyen-orientaux, y compris Israël, est courant), est devenue un concept politique que les spécialistes bien rangés se font une joie d’analyser. Ceux qui disent que l’antisémitisme et l’antisionisme c’est pareil n’arrivent pas à prouver que le sémitisme et le sionisme sont différents. Il y a encore plus de Juifs sionistes que d’antisionistes antisémites.
L’ausweis pour être bien accueilli dans les médias, c’est de dire d’abord que le sketch de Dieudonné était raté. C’est comme à la douane. A une époque, c’était “Je suis contre le Front national”, Aujourd’hui, c’est “Le sketch de Dieudonné ne m’a pas fait rire”. Bien- tôt, tout comique qui fait un sketch “pas drôle” sera immédiatement ostracisé. Il y a d’ailleurs un lien entre le fait de ne plus faire rire, alors qu’on est censé être payé par la société pour ça, et être accusé d’anti- sémitisme. C’est pourtant le sketch le plus réussi depuis très longtemps dans le domaine de l’humour en France, justement parce qu’il n’était pas drôle. Il y en a marre de cette obligation à se marrer. La culture du rire, c’est comme la culture du résultat. Merde à l’humour ! Le rire, c’est ringard. C’est le devoir d’un comique aujourd’hui de ne plus faire rire du tout : un one man show tragique qui n’arracherait pas un sou- rire : voilà l’avenir !
Dieudonné est un pionnier. On en était venu à dire que par l’humour on pouvait tout faire passer, que c’était le moyen idéal pour exprimer les pensées les plus profondes, les plus vraies métaphysiquement comme politiquement. Grâce à l’affaire Dieudonné, les manipulateurs de l’humour ont tombé le masque. Ils disent maintenant que l’humour doit être avant tout une arme au service du combat contre l’antisémi- tisme. À la limite, faire rire c’est d’abord lutter pour Israël. Ça c’est de l’humour, de l’humour juif bien sûr, le plus drôle de tous !

Les moins virulents contre Dieudonné l’ont seulement accusé d’attiser l’antisémitisme alors qu’aujourd’hui la seule chose qui attise l’antisémitisme, c’est d’accu- ser tout le monde et n’importe qui d’antisémitisme.

On en a eu encore une preuve magnifique dans le genre boomerang avec l’affaire Chouraqui. Le très mauvais cinéaste Elle Chouraqui, tellement gentil avec sa tignasse de clown poivre et miel, a été piston- né par France 2 pour faire un reportage aussi mou que lui à Montreuil afin de dénoncer bien sûr l’antisémi- tisme des collégiens arabes qui importent sournoise- ment le conflit israélo-palestinien en France… Comme si le Proche-Orient, ça ne se situait pas aussi en France !

Chouraqui est allé se promener en pleurnichant dans sa banlieue soi-disant de naissance pour montrer du doigt les vilains gosses musulmans qui osent s’expri- mer au sujet de leurs « frères » juifs. Il n’y a quasi- ment que lui qu’on voit non flouté à l’image. Toutes les têtes dans le brouillard, comme si les enfants étaient des criminels, et les passants aussi, et tout le monde. Sous couvert de dédramatiser un conflit ban- lieusard en France, il attaque aussi Mohamed Latrèche (qu’il dit être soutenu par la Syrie) et la chaîne du Hezbollah libanais Al-Manar. La bêtise et la laideur du propos sont telles que les ministres et le maire de Montreuil lui-même prennent la mouche, la mouche antisémite bien sûr puisqu’ils ont osé remettre en cause l’« objectivité » du reportage diffu- sé par les deux connasses d’Envoyé spécial. L’agneau Chouraqui se transforme alors en loup intentant des procès en diffamation ! Chouraqui se retrouve accusé, à juste titre, lui qui partait comme accusateur. C’est tellement ridicule que même Fogiel lui met ses petits points sur le i. Dieudonné a beau dire qu’il se torche avec tous les drapeaux, pas seulement l’israélien, et qu’il trouve un peu gros que Bernard-Henri Lévy et ses valets appellent au boycott de son spectacle, rien n’y a fait. La presse continue à répéter qu’il a dit « Heil Israël ! », et la télé lui reste fermée. Un comité anti-Dieudonné s’est même constitué. Il y a un projet de spectacle contre lui avec tous ses ex-collègues humoristes prêts à sérieusement le démolir (avec « humour »). C’est son tour. En France, il faut régu- lièrement un symbole de l’antisémitisme. En 2004, il est tout trouvé. Ça monte jusqu’à l’annulation de son spectacle à l’Olympia, la direction du music-hall ne
voulant pas assurer sa sécurité. Pendant des semaines, les menaces ont plu boulevard des Capucines pour faire savoir au directeur de l’Olympia que sa salle pourrait « exploser »… Des anonymes (suivez leurs regards) ont même promis d’ouvrir en deux les ouvreuses si le spectacle de Dieudonné avait lieu.

À combien ils s’y sont mis les « Juifs à fleur de peau », comme les appelle gentiment Alain Finkiel- kraut, pour envoyer deux cents à trois cents fax par jour et cent cinquante coups de téléphone à l’Olympia jusqu’à intimider son directeur afin qu’il annule le spectacle de Dieudo ? Il n’y a pas de fumée sans cas- ser des oeufs. Une telle non-fainéantise force l’admi- ration. En voilà des bosseurs ! Au moins, ils y croient. Ah ! ce ne sont pas les « Beurs » qui seraient capables de ça pour leur cause. Les Noirs pareil. Je vois mal une équipe de Sénégalais ou de Camerounais se mettre au boulot pour empêcher le premier music-hall de France de programmer Michel Lebb dans son nou- veau show « Le singe descend d’une Noire ».

Le 20 février, Dieudonné reste dehors, à la porte de l’Olympia, avec trois mille personnes dans la rue le soutenant comme dans un meeting. Dans la foule des supporters qui acclament le comique boycotté, Fin- kielkraut voit les antiracistes pogromistes de demain ! Et en Dieudonné, un stratège de l’autovictimisation ! Chanson connue… Dès qu’on vous attaque et que vous vous défendez, on vous accuse de bien aimer les positions de victimes et c’est ceux qui vous attaquent qui s’autoproclament dans l’instant boucs émissaires. « Arrêtez de faire de moi un bouc émissaire ! » dit le bourreau une fois qu’il a tranché la tête à sa victime.

Après avoir décroché la veille la dernière page de Libération, Dieudonné se tape la Une le lendemain ! Doublé unique! Comme quoi, l’antisémitisme est aussi payant pour celui qui en est accusé que pour ceux qui portent l’accusation. « Le pyromane mar- tyr » titre Libé, ce qui ne veut rien dire car un pyro- mane en principe regarde de loin le feu qu’il a allumé. Il ne se jette pas dans ses flammes.

Têtu comme un Breton, le Camerounais Dieudonné aggrave son cas. Dans les rares endroits où il peut encore s’exprimer, il en rajoute sur les Juifs négriers, banquiers du show-biz, marchands d’armes pour le terroriste Sharon. Il a beau dire qu’il brocarde aussi les islamistes et qu’il est contre le voile, valoriser la douleur ancestrale des Noirs esclavagisés et dénoncer la politique colonisatricz des Israéliens; il a beau s’in- digner que Patrick Bruel ou Arthur donnent de l’ar- gent à Tsahal, prôner un humanisme laïque et liber- taire, résumer l’histoire de l’Afrique en trois mots (esclavage, colonisation, sida); se revendiquer Vert et se présenter partout comme un anticlérical (il a même essayé de se faire débaptiser), tout ça n’en fait pas un révolté acceptable… Il reste bien grillé. Au barbecue, Dieudonné ! A moins que la grande famille du show- business passe l’éponge un jour pour une raison ou pour une autre, je le vois mal être réintégré de sitôt.

Même ses défenseurs pinaillent. Ils se lancent dans des explications foireuses, non pas pour dédouaner leur ami, mais pour se dédouaner eux. Ils finassent sur l’impossibilité de traiter de « nazi » un colon de Cisjordanie et essaient de démontrer que Dieudonné est plus « con » qu’antisémite. Les plus lucides constatent qu’il y a deux accusations aujourd’hui dans la société française, et pas seulement française, qui vous condamnent à une mort médiatique (et donc sociale) certaine, c’est d’être pédophile et antisémite, une sorte de monstre hybride. Entre Dutroux et Dieudonné, qui gagne la palme du tricard universel ? Dutroux ?… C’est à voir ! Pédophile, ça s’exprime par des faits, c’est donc plus facile à démontrer qu’an- tisémite qui se traduit surtout par des mots : voilà pourquoi c’est l’accusation suprême, improuvable, impalpable, insaisissable par excellence…
Il y a des gens dont le boulot est de dénicher toute cri- tique d’Israël et de l’extraire comme une dent pourrie des grandes gueules qui ont osé l’ouvrir, et de la bran- dir pleine de sang en hurlant à l’antisémitisme. Les boucs émissaires de l’antisémitisme sont les nouvelles chèvres de monsieur Seguin. Au début, elles sont éprises de liberté d’expression, et puis bien sûr elles se font bouffer par le grand méchant loup. Ils ont tel- lement peur que Dieudonné devienne l’idole de la banlieue. Mais c’est fait. Comme Ben Laden, d’ailleurs, dont le charisme n’avait pas échappé au Noir jadis marrant. Ces jeunes, qu’on traite toute la journée de victimes manipulées par d’obscurs imams aux prêches tendancieux, sont en vérité les seules consciences politiques du pays. Seuls les voyous réac- tifs qui vivent la politiquesur le terrain ont le droit de parler aujourd’hui. Même s’ils s’expriment par des insultes, par des clichés. Tout est bon face à l’énorme et amorphe bien-pensance qui pousse le vice aujour- d’hui jusqu’à se faire passer pour “subversive” !

Les anti-Dieudonné se plaignent qu’un nouvel antisé- mitisme apparaîtrait. Pour l’analyser, ils ne font que reprendre les clichés de la lutte vieillotte contre l’anti- sémitisme vieillot. Ils sont si désarmés qu’ils res- sortent de la naphtaline des arguments des années 30 tout en affirmant que tout a changé ! Les donneurs de leçons de morale mettent tout sur le dos du conflit israélo-palestinien qui aurait rajeuni l’antisémitisme, mais ni dans celui-là, ni dans le fameux conflit, ils n’ont quelque chose de nouveau à dire. Le ras-le-bol du 11 septembre exprimé de main de maître, ils l’oc- cultent. A force de le brandir et de l’agiter comme un talisman de l’apocalypse faisant plein de fumée, on ne le voit plus bien.

Sans que la télévision ait jugé bon de rediffuser le sketch pour que tout le monde se fasse une idée, au fil des commentaires, le personnage de Dieudonné est devenu un Juif en général, armé jusqu’aux dents, hur- lant sa haine des Palestiniens en général et finissant par dire « Heil Hitler ! » en claquant les talons avant de faire le salut nazi. A la fois, les dénonciateurs en rajoutent et d’un autre côté, ils appellent ça un « déra- page ». L’aura-t-on assez vu « déraper » Dieudonné ! Skieur ratant tous ses slaloms et qui va se foutre la tête la première dans tous les sapins alors qu’on atten- dait de lui qu’il glisse éternellement de virage en virage, élégant sur la poudreuse immaculée. On en demande beaucoup à un comique, je trouve, jusqu’à le menacer de mort. On lui répète : n’est pas Coluche qui veut. Mais au même âge que Dieudonné, Coluche était en train de jouer les abbés Pierre, et avait cessé depuis longtemps d’être subversif. Tout le monde le savait… On le lui reprochait à l’époque : « Clown vendu ! Socialo exanar ! Dégonflé de la présidence ! Restaurateur du mal au coeur ! » De loin, Dieudonné lui donne une leçon d’humour et de politique. Si Coluche est un saint aujourd’hui c’est bien parce que de son vivant il n’a pas touché à une certaine vérité qui aurait fait de lui un martyr.

Si certains pensent que tout Juif est responsable de la politique israélienne, c’est bien la faute des intellectuels “universalistes” qui, jamais, ne se prononcent médiatiquement contre Sharon. Personne parmi les plus paranos ne pourrait continuer à reporter sur les Juifs français la responsabilité de l’ignominie sharo- nienne si un seul Finkielkraut, Bruckner, ou Adler venait publiquement de temps en temps mettre un peu d’eau dans son vin. On ne leur demande pas de la transformer en vin, ils en seraient bien incapables, mais juste d’y mettre un peu d’eau, une goutte tous les six mois ! A ça ils se refusent. Qu’ils ne s’étonnent pas ensuite de provoquer des réactions. On dirait qu’ils veulent absolument fabriquer des “antisémites de gauche” à la José Bové et Dieudonné.Voir de l’antisémitisme partout pour mieux défendre le sionisme, c’est la nouvelle trouvaille des anciens philosophes gauchistes reconvertis dans l’extrême-droitisme de l’homme.

Ce qui prouve bien qu’on ne peut rien dire sur Israël ! Dieudonné a été immédiatement traité d’antisémite alors qu’il a fait un sketch strictement antisioniste sans aucune allusion raciale, ni même religieuse. La violente propagande consensuelle n’arrête pas de faire croire qu’on peut très bien être antisioniste sans être jugé automatiquement comme un antisémite, mais l’affaire Dieudonné prouve, encore une fois, le contraire. S’il y a bien quelqu’un qu’on pouvait tout à loisir taxer d’antisionisme c’est Dieudonné dans son sketch. Et pourtant, on a dit que son personnage était une caricature raciste ! En quoi un colon de la bande de Gaza, cagoulé, en treillis, qui vante l’axe américa- no-sioniste contre la défense de la Palestine peut-il être assimilé à un Juif en général ? Que les pro-israé- liens arrêtent donc de mentir et crachent franchement leurs sentiments : toute personne qui critique ou cari- cature le sionisme sera mécaniquement traitée d’anti- sémite, un point c’est tout, qu’on se le dise.

En littérature, un écrivain n’a pas le droit de s’occu- per de politique, même d’une façon littéraire, ça devient forcément de la littérature « ratée », il doit rester « désengagé ». Dans le même ordre d’idée, un comique doit faire rire aux larmes et aux éclats, sans jamais parler des problèmes de son époque, ou alors comme un chansonnier, sinon il sort de l’humour et devient un pyromane, un martyr, un pompier en feu, que sais-je encore comme autres conneries !… Pour- tant, c’est le devoir aujourd’hui d’un écrivain de ne plus écrire de la littérature telle que les amateurs de littérature en exigent, comme c’est celui d’un comique de ne plus faire rire avec l’humour au second degré et la dérision qui rassure les amateurs de rigolade et leur évite de penser un peu à ce qui se passe autour d’eux.

Dans cette société où seuls les comiques et quelques sportifs ont la parole, j’ai entendu dire que le pro- blème avec Dieudonné, c’est qu’on ne savait pas quand il plaisantait et quand il ne plaisantait pas. Ah, bon ? C’est pourtant facile : il ne plaisante jamais, surtout quand il veut faire rire ! Lui reprocher ça, c’est une autre façon de lui intimer l’ordre de ne pas dire ce qu’il pense, sauf par le « biais » de l’humour où là, tout est permis puisqu’on peut douter, grâce à l’ironie, que l’humoriste dise ce qu’il pense ! Les pires flouteurs hypocrites de leurs sales petites pen- sées sont les premiers à exiger que Dieudonné soit « clair » : ou il déconne dans ses sketches, ou il se tait en dehors. L’oncle-tomisation de l’humour c’est ça. «Arrête de gesticuler quand tu ne danses pas, nègro ! »
«Je vois l’avenir de l’humour dans une certaine forme de terrorisme », dixit Dieudo. Ce n’est pas son ex-collègue qui dirait ça ! Élie Semoun se prend pour un chanteur de bossa-nova alors que c’est l’un des pousseurs de chansonnette qui chante le plus faux au monde, au point qu’il faille lui rajouter une chanteuse professionnelle pour redresser jusqu’à un semblant de justesse sa petite voix de châtré prétentieux. Car il en faut de la prétention pour susurrer de telles bluettes pseudo-brésiliennes, pompées et mal pompées sur tout ce qui s’est déjà fait à Rio de Janeiro depuis cinquante ans.

Grotesque Élie qui se prend beaucoup plus au sérieux que Dieudonné en se proclamant avec fausse modestie « chanteur de charme », et si poin- tilleux sur la question of course. Le crooner contre l’antisémite, voilà leur nouveau duo. À hurler de rire. Le rossignol aphone s’est même fendu d’une lettre dans Libération où il fait la leçon à son ancien bouf- fon. Dieudonné a envoyé sa mère pour répondre (dans une autre lettre ouverte) au chantonneur sentimental ; elle lui a bien rivé son clou d’hypocrite en dédoua- nant son fils métis, comme toute mère bretonne qui se respecte sait le faire. Parfait remontage de bretelles.

À l’antisémitisme, la maman du monstre oppose le judéo-centrisme aussi dévastateur. Ah ! Mme M’Bala M’Bala a bien dû lui retourner le coeur, au stakhano- viste des petites annonces !

A raciste, raciste et demi. Que je sache, Dieudonné ne s’est pas blanchi la peau, alors qu’Elie s’est épilé les sourcils : sans doute se trouvait-il un peu trop médi- terranéen… Ah ! Le délit d’auto-faciès, c’est le jardin secret des non-racistes. Halte à l’anti sourcilisme !
Oui, Dieudonné est borderline comme a dit Fogiel avant de danser un slow tout contre le vilain Noir, et après son sketch pas drôle. On dirait qu’il est soudain le seul borderline de l’histoire de l’humour ! Sommés de donner leur avis (négatif) sur le dérapage dieudon- nesque, les professionnels du rire deviennent soudain très graves quand on leur rediffuse, à titre d’exemples, les sketches des grands anciens du bor- derline. Coluche, Desproges, Bedos n’arrachent plus un sourire aux nouveaux profs de morale qui sont censés connaître mieux que personne les limites du rire. Ils se forcent à ne pas se marrer pour ne pas avoir l’air de couvrir l’infâme Dieudonné ! Est-ce que ça ne les fait plus rire aujourd’hui ou est-ce qu’ils ont honte d’avoir ri hier ? La vérité, c’est qu’il ne faut plus rire aujourd’hui de ce qui faisait rire hier. La célèbre for- mule de Desproges s’allonge de semaine en semaine : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui, n’importe quand, n’importe comment, n’importe où, n’importe pourquoi… » Que Dieudonné se console… À Dostoïevski aussi on a interdit de se produire en spectacle. Au moment où son affaire éclate, le troi- sième tome de la correspondance du grand Russe qui vient de sortir est immédiatement dénoncé par la presse littéraire comme « antisémite ». Oui ! Un recueil précieux de lettres du père des Frères Karama- zov boycotté par les libraires… Personne n’est à l’abri ! Neuf cents pages du plus grand écrivain de tous les temps passent à l’as à cause de quelques lignes sur les Juifs écrites en 1877 à Saint-Péters- bourg ! On ne rêve pas, c’est le début du siècle.

Samedi 19 Mai 2012 http://www.alterinfo.net/Saint-Dieudonne_a76393.html

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