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19 avril 2024

S’opposer aux théories guerrières présentées sous l’appellation de la « responsabilité de protéger »


Nouvel article sur Entre les lignes entre les mots

S’opposer aux théories guerrières présentées sous l’appellation de la « responsabilité de protéger »
by entreleslignesentrelesmots

Peut-on justifier une intervention militaire pour des motifs humanitaires ?

Depuis les années 2000, on assiste à l’émergence d’une nouvelle tentative de justifier les interventions et les ingérences au nom de motifs humanitaires : il s’agit de la « responsabilité de protéger ». Salué par certains comme une avancée du droit international public, et parfois même comme le symbole de l’avènement d’un nouvel ordre international, la responsabilité de protéger a notamment été invoquée dans les décisions du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur les cas de la Libye ou de la Côte d’Ivoire. En vertu de cette théorie, la responsabilité première de l’État est de protéger sa population, mais lorsqu’il se montre incapable de le faire, c’est à la communauté internationale d’assumer cette responsabilité.

Ce nouveau cahier du CETIM porte un regard critique sur la responsabilité de protéger et l’analyse au regard des rapports de force géopolitiques existants. Il présente dans le détail les contours du concept de responsabilité de protéger, le contexte de son élaboration, les arguments avancés en sa faveur et les conditions de sa mise en œuvre. Il démontre les filiations avec les théories aujourd’hui largement démodées et discréditées de l’intervention d’humanité et de l’ingérence humanitaire. Ce cahier revient sur la création de l’ONU et rappelle l’importance des principes contenus dans sa Charte en tant que garants de l’égalité entre États et remparts contre l’arbitraire et la loi du plus fort. Il critique la responsabilité de protéger en tant que nouvelle tentative d’instrumentalisation du droit international qui menace les fondements de l’ordre international et met en danger la paix et la sécurité au niveau mondial.

Au XIXe siècle, le recours à la force est une pratique usuelle, généralisée et non interdite en droit international. Les États européens et les États-Unis ont une conception hiérarchique et raciste des droits des États, se considérant comme seuls « civilisés ». Melik Ozden et Maëli Astruc présentent les justifications et les assisses doctrinales du « principe d’intervention d’humanité ». Ils soulignent les limites théoriques de ce concept, dont « l’impossibilité de prouver le désintéressement total d’un ou plusieurs États à intervenir ». Ils ajoutent qu’il s’agit d’un droit à s’ingérer militairement dans les affaires d’un autre État, mais nullement de garantir « un droit des populations à être défendues ». Dans les faits, les interventions furent en défense des populations chrétiennes… Une « mission civilisatrice » en somme…

Il convient donc de réfléchir « aux prolongements modernes de cette conception » d’autant qu’il s’agit aussi et surtout pour les « uns » d’imposer aux « autres », une restructuration libérale de l’économie.

Avec la création de l’ONU et les principes de sa Charte, est souligné « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Les États sont en principe également souverains, ce qui implique le principe de non-ingérence et le principe de non-intervention. Deux exceptions : la légitime défense (mais l’agression armée n’est pas clairement défini par le droit international) et le pouvoir exclusif du Conseil de sécurité des Nations Unies quant au recours à la force armée. Les auteurs soulignent que la composition de ce conseil va à l’encontre du principe d’égalité entre membres de l’ONU. Il reste étonnant que les forces d’émancipation en France restent silencieuses sur ce sujet, et en particulier, sur la présence, en vertu de son passé et de son présent colonial (?), de l’État français (60 millions d’habitant-e-s sur plus de six milliards…).

Melik Ozden et Maëli Astruc analysent ensuite le « droit » ou le « devoir d’ingérence », puis les théorisations autour de « la responsabilité de protéger ».

Ils soulignent à juste titre le contexte : les plans d’ajustement structurel imposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), l’auto-proclamation du modèle néolibéral-capitaliste comme modèle unique de développement économique, social et culturel et son imposition, y compris par la force, aux peuples du monde entier… « Et de renvoyer la balle aux gouvernements nationaux qui sont tenus responsables de la « bonne gouvernance, de la protection des droits de l’homme, de la promotion du développement socio-économique et de la répartition équitable des ressources », sans se prononcer sur l’environnement international défavorable (aux niveaux des règles commerciales et financières en particulier) pour la plupart d’entre eux, sans tenir compte de la perte de leur souveraineté économique et politique de ce fait, ni de la corruption des dirigeants politiques pratiquée par les agents de grandes puissances ou de sociétés transnationales ».

Les auteurs détaillent « les crimes visés » par ces conceptions, les conditions d’intervention. En citant un passage du rapport du CIISE, « les violations des droits de l’homme qui, bien que graves, ne vont pas jusqu’au meurtre caractérisé ou au nettoyage ethnique, par exemple la discrimination raciale systématique, l’emprisonnement systématique ou d’autres formes de répression politique des opposants » ne constituant pas un motif d’intervention, les auteurs soulignent qu’il s’agit d’un message bien inquiétant envoyé aux États…

Pour les « uns », des interventions armées, pour les autres des soutiens publics, comme hier pour le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud, ou aujourd’hui à l’État colonisateur israélien, sans oublier les multiples dictatures que les « uns » arment et soutiennent contre les droits humains des populations…

Alors que les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ou les traités de libre-échange contraignent juridiquement « les États, privilégient les intérêts privés (sociétés transnationales notamment) au détriment de l’intérêt général », les silences sont légion sur les multiples violations des principes de la Charte de l’ONU et des droits humains des populations par les sociétés transnationales.

Les auteurs soulignent le double discours des « uns », l’instrumentalisation de certains droits, les tentatives répétées de détournement de la Charte de l’ONU, « l’incompatibilité avérée des décisions du Conseil de sécurité avec la Charte ».

Melik Ozden et Maëli Astruc rappellent aussi qu’il n’y a pas que cette Charte, mais aussi les Conventions de Genève.

Les analyses sont illustrées de multiples exemples.

En conclusion, les auteurs insistent, entre autres, sur les fausses justifications, en regard de la Charte de l’ONU, « des guerres injustifiables », de l’ignorance volontaire « de la question de savoir dans quel cadre les peuples et les citoyens exerceront leurs droits civiques, économiques, sociaux et culturels, si leur pays est sous occupation ou sous-tutelle ! ».

Et ils concluent : « Finalement, c’est elle qui protège, sur le plan légal, les petits et faibles face à l’arbitraire des puissants. Ces arguments sont largement suffisants pour s’opposer à toute théorie guerrière, fut-elle présentée sous l’appellation de la « responsabilité de protéger ». »

Ce qui ne dispense pas de se mobiliser pour une « autre ONU », pour le développement des droits universels de toutes les populations ou pour le désarmement de nos propres impérialismes et l’expropriation des sociétés transnationales.

Table des matières :

Introduction

I. Rappel historique

A) Théorie de « l’intervention d’humanité » au XIXème siècle

B) La création l’ONU et les principes de sa Charte

C) La théorie du « droit d’ingérence humanitaire »

II. La responsabilité de protéger

A) Le contexte de son élaboration

B) Le concept

C) Arguments avancés en faveur des interventions militaires

D) Tentatives de détournement de la Charte de l’ONU

E) Sommet mondial de l’ONU de 2005

F) Mise en œuvre de la « responsabilité de protéger »

Conclusion

CETIM : Responsabilité de protéger : Progrès ou recul du droit international public ?

Brochure élaborée par Melik Ozden et Maëli Astruc

Collection du programme Droits humains du Centre Europe – Tiers Monde (Cetim), Cahier critique n°12, 27 pages,

http://www.cetim.ch/fr/documents/cahier_12.pdf

Didier Epsztajn

Voir aussi :

CETIM : Les droits culturels, Une triple obligation des États : respecter, protéger et mettre en œuvre

CETIM : Le droit à la sécurité sociale, Un bien social et non un simple instrument de politique économique ou financière

Francine Mestrum et Melik Özden : La lutte contre la pauvreté et les droits humains, CETIM Cahier critique N° 11, La pauvreté est un déni des droits humains (civils, politiques, économiques, sociaux et culturels)

Alejandro Teitelbaum et Melik Özden : Sociétés transnationales acteurs majeurs dans les violations des droits humains, CETIM Cahier critique N° 10, L’implication (directe ou indirecte) des STN dans les violations des droits humains n’est plus à démonter

Melik Özden : Pour le respect des droits de tous les travailleurs migrants,CETIM Cahier critique N° 9, La criminalisation de la migration irrégulière provoque de nombreuses violations graves des droits humains

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