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27 avril 2024

Abdelatif Rebah : « Curieusement, la Libye n’intéresse plus nos médias »


4 Avril 2014

Publié par Saoudi Abdelaziz
Abdelatif Rebah : « Curieusement, la Libye n’intéresse plus nos médias »

Curieusement, la Libye n’intéresse plus nos médias ? Comme expérience démocratique, c’est vrai que cela agit comme repoussoir. Mais, Le Monde, Marianne, Le Figaro, etc. ne craignent pas d’aborder ce sujet peu glorieux pour eux.

La Libye, quel numéro de téléphone ? A qui s’adresser ? C’est la question qui hante ceux qui veulent faire de belles affaires, établir des contrats économiques fructueux avec ce pays de huit millions d’habitants, à peine, naguère riche de son pétrole, aujourd’hui à la dérive et qui a vu s’écrouler au fil des mois, tout ce qui pouvait donner l’apparence d’un Etat. Le dernier à avoir occupé le poste de premier ministre, Ali Zeidan, a pris la fuite, tout récemment, destitué par le « Parlement ». Il n’y a plus de ministre de l’intérieur. Nouvelles autorités ? Institutions nationales ? Etat Gouvernement ? Ce vocabulaire ne fait plus partie de la réalité libyenne.

Bonjour le chaos ! Existe-t-il un pays où un Premier ministre en exercice peut être kidnappé, puis libéré par des ravisseurs apparemment plus puissants que lui ? Un pays dont l’aéroport de la capitale est toujours sous le contrôle d’ex-rebelles d’une vague localité de l’intérieur, depuis octobre 2011 ? Un pays, où les armes légères, lourdes, classiques, chimiques, banales ou sophistiquées circulent au grand jour par centaines de milliers, à la portée de toutes sortes de bandes, de gangs et de milieux ? Oui, hélas, et c’est le pays avec lequel nous partageons, au sud-est, plus de 980 kilomètres de frontières.

Trois ans après les révoltes qui ont mis fin, avec l’appui des tomahawks des croisés de la démocratie, au régime de Muammar El Gueddafi, la Lybie reprend tristement les colonnes de la presse occidentale. « Un Etat en morceaux », « Un pays à l’abandon », « Un pays au bord de l’explosion », « Un pays au bord de l’implosion », « La catastrophe dont personne ne parle », « Un arsenal à ciel ouvert », etc. etc., la mort dans l’âme et sans doute à leur corps défendant, les médias mainstream français qui avaient allègrement accompagné la guerre démocratique de Sarkozy contre le dictateur ElGueddafi, ne trouvent plus aujourd’hui assez de mots pour décrire l’indescriptible chaos cruel et sanglant dans lequel ce pays a été plongé depuis trois ans, par la grâce de ces chevaliers de la démocratie et de l’humanitaire, aujourd’hui aux abonnés absents. Londres,

Paris et Washington déconseillent à leurs ressortissants de se rendre en Libye. L’un des meilleurs spécialistes du Proche-Orient, le journaliste Patrick Cockburn écrit dans The Independant : « L’un des traits les plus stupéfiants des événements de Libye aujourd’hui est le peu d’intérêt qu’ils suscitent de la part de ces pays qui partirent si allégrement en guerre en 2011 ». La « Communauté internationale » est affairée sur d’autres chantiers de la démocratie : Syrie, Ukraine…

Qui se souvient encore du chantier ouvert, alors, en Libye ! C’était il y a trois ans, en effet, l’aviation française, bientôt secondée par la Royal Air Force, l’une et l’autre soutenues par les Etats-Unis, bombardaient la Libye. Dernièrement, les « Amis de la Libye » (eh oui, c’est comme cela qu’ils s’appellent ceux qui ont mis ce pays à feu et à sang) se sont penchés sur cette entité aujourd’hui en complète décomposition. C’était le 6 mars à Rome. Deux semaines après leur rencontre, deux roquettes s’abattaient sur une piste d’atterrissage de l’aéroport de Tripoli en Libye, provoquant des dégâts et la suspension des vols. L’insécurité est toujours omniprésente dans le pays, surtout dans l’est. A Benghazi, les élus locaux ou encore les occidentaux sont régulièrement pris pour cibles. Certains membres de la « coalition qui a gagné » penseraient même à une autre guerre pour rétablir l’ordre et la sécurité dans ce pays.

L’envie de guerre est encore forte chez les Occidentaux. Une soif de démocratie résultat de la soif inextinguible de pétrole, ça ne s’étanche pas si aisément. Il y a trois ans et demi, en octobre 2011, des images d’une rare cruauté faisaient le tour de la planète, reprises même triomphalement ici, chez nous, par certains de nos médias, soulevant l’indignation de l’opinion publique nationale. Les troupes spéciales américaines et les rebelles Libyens venaient d’exécuter on live le président de la Jamahirya lybienne, un Etat membre de l’ONU, indépendant depuis1951. A présent, c’est l’heure du bilan. « Rien ne se passe comme prévu, résume une journaliste d’un quotidien parisien. Le tribalisme l’emporte sur le patriotisme, les milices triomphent de l’Etat. La terreur frappe, l’intégrisme est plébiscité, Aqmi se promène dans le Grand Sud ».

Le pays est livré aux rivalités féroces entre différentes factions politico-confessionnelles, djihadistes ou mafieuses ou clans régionaux. Les enlèvements et les assassinats, toujours impunis, font partie du quotidien. Quelque 8 000 personnes croupissent dans les prisons des milices, où la torture serait monnaie courante. Le fils du ministre libyen de la Défense, Abdallah Al-Thani a fait l’objet d’une prise d’otages à Misrata et n’a été relâché que plusieurs mois après. Mi-janvier 2014, Hassan Aldroe, vice-ministre libyen de l’industrie, est assassiné.
L’économie est exsangue. La Lybie qui avait, la veille des révoltes, plus de 130 milliards de dollars d’actifs et de fonds à l’étranger connait maintenant des problèmes de trésorerie, du jamais vu. Les exportations pétrolières se sont effondrées : d’un million et demi de barils/jour en 2011, elles sont passées à 235 000, selon la compagnie d’Etat, la NOC. Les investissements sont au point mort. Les installations pétrolières du pays, notamment des terminaux de la côte orientale, sont aux mains de groupes armés. L’un d’eux revendique une quasi-indépendance pour l’Est libyen (la Cyrénaïque). Décidé à vendre l’or noir pour son propre compte, il a réussi à affréter un pétrolier.

Comme on le constate, le malheureux peuple Libyen n’a récolté que ruines, désolation et mort, mais il se trouve malgré tout des personnages médiatiques qui officient dans des institutions universitaires anglo-saxonnes ou de l’Europe latine pour nous expliquer doctement et sans rire que tout processus révolutionnaire demande du temps pour apporter ses fruits.

Abdelatif Rebah, 3 avril 2014

Source: raina-dz.net
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