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26 décembre 2024

Comment sortir de l’impasse dans une Libye coupée en six ?


 

Ah! Si le Guide pouvait revenir …

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Nouvel Obs

27/02/2014 à 15h39

Comment sortir de l’impasse dans une Libye coupée en six ?

Les Libyens ont voté le 20 février pour l’élection d’une commission qui sera chargée de la rédaction de la Constitution de leur pays. Mais très peu se sont déplacés. De son côté, le premier Ministre libyen tente de donner une nouvelle impulsion aux institutions libyennes en panne.

Malgré l’importance de cette élection qui doit permettre de donner une constitution et de déterminer la question cruciale de la place de la religion, les Libyens ont boudé l’élection des 60 membres devant constituer le comité de rédaction constitutionnel.

Sur environ un million de personnes inscrites – très peu sur une population de près de 6 millions – seulement près de 400 000 à 450 000 ont voté. Soit près de 15% de la population !

Par ailleurs, les Amazighs ont boycotté les élections.

Les forces de police spéciales reprennent le contrôle du centre de Tripoli, en novembre 2013, évacué par les miliciens (Manu Brabo/AP/SIPA)

La déception des Libyens

A cela plusieurs raisons. Hormis le climat de violence qui règne depuis la mort de Kadhafi, les Libyens sont tout d’abord très déçus par le Congrès Général National (CGN). Depuis son élection en juillet 2012, il a été impuissant à régler le problème sécuritaire.

Les députés ne cessent d’ailleurs d’être menacés par les milices. Et les islamistes mènent la danse, depuis quelques mois, pour faire tomber le gouvernement.

Enfin, le concept même de constitution reste trop inaccessible, et surtout trop lointain pour des Libyens davantage aujourd’hui préoccupés par leur sécurité, mais aussi par leurs salaires.

Les sites pétroliers sont en effet bloqués depuis des mois par des fédéralistes de l’Est purs et durs provoquant ainsi une baisse des recettes pétrolières. Cela pourrait avoir un impact sur les salaires.

Si cette élection représente un pas de plus vers la démocratie, force est de constater que la réalité du terrain empêche toujours, la mise en place des éléments constitutifs d’une démocratie.

Les milices font la loi sur le terrain

Tout d’abord, le gouvernement n’arrive pas encore à mettre en place une armée. Ce sont les très nombreuses milices, dont les membres se comptent aujourd’hui par milliers, qui font la loi sur le terrain.

Si à quelques exceptions, elles sont toutes intégrées à l’armée, elles n’obéissent en fait qu’à leurs propres chefs et elles ont gardé leurs propres structures.

Le paradoxe de la situation est que ces milices sont payées par le gouvernement qui au lendemain de la révolte 2011 leur a demandé d’assurer la sécurité des villes.

Mustapha Abdeljalil, le président islamisant du Conseil National de Transition (CNT), le premier organe politique, a été le premier à mettre le doigt dans l’engrenage infernal des milices avec l’islamiste ex-djihadiste Abdelhakim Bel Haj.

Les autres chefs de milice ont par la suite suivi en disputant les édifices publics aux islamistes. Aujourd’hui, les milices sont toujours rémunérées sur la base de lourds chantages….

Par ailleurs, il n’y a pas de justice. Les juges ne sont pas libres de rendre des jugements à l’encontre de miliciens qui commettent des exactions par crainte de représailles. Et on a toujours plus de 8000 personnes, voir plus, qui croupissent dans des geôles officielles et non officielles, sans parler des tortures ou des menaces de sentence.

Dans ces conditions on peut mettre en doute la crédibilité des aveux des prisonniers même ceux des plus hauts dignitaires du régime !

La Libye est coupée en six régions

Si d’avis les constituants voudront préserver l’unité de la Libye, la réalité du terrain risque également, hélas, de contrarier cette ambition, si rien n’est fait pour la modifier.

Aujourd’hui, la Libye est coupée en six régions ou villes militaires, lesquelles sont aux mains de milices (Djebel Nefousa, Zentan, Barqa, Misrata, le Sud, Tripoli) armées jusqu’aux dents.

Certaines de ces villes ou régions vivent carrément indépendamment du pouvoir central. Misrata est, par exemple, un véritable Etat dans l’Etat.

A l’Ouest, les Amazighs font la loi. Ils ont même créé des manuels scolaires avec leur propre langue.

A l’Est, on a les fédéralistes qui bloquent les sites pétroliers et qui ont crée leur propre gouvernement et leur propre compagnie pétrolière afin de concurrencer la National Oil Company (NOC).

Au Sud, on a différents conflits tribaux qui ont démarré dès la fin de la révolte. Un des conflits qui s’est gravement amplifié est celui entre les Toubous et les Ouled Souleiman, dont notamment les Seif Al Nasser, lesquels font partie de cette tribu et ont été une des plus grandes familles esclavagistes et commerçantes du Sud Libyen.

Ecartée par Kadhafi à son ascension en 1969 cette famille, qui employait le père de Kadhafi comme berger, a du fuir la Libye. Kadhafi a d’abord permis aux noirs esclaves d’avoir leur propre ville, en l’occurrence Tawarga qui fut la ville de transit de ces esclaves vers l’Europe, et il les a intégrés dans l’armée leur offrant ainsi une ascension sociale.

C’est pour cette raison que les Noirs de cette ville ont combattu à ses côtés durant la guerre de 2011.

Puis, les Kadhafas ont pris les rênes du commerce du Sud-Ouest avec les tribus Megraha, et certains notables de la tribu des Ouled Souleiman évinçant ainsi les Toubous, lesquels se sont recentrés sur les trafics situés dans la partie Sud-Est.

Conflit avec les Toubous

Depuis la mort de Kadhafi, les Al Nasser sont revenus en Libye. Mansour Al Nasser est même devenu le plus proche conseiller de Ali Zeidane dont la tribu a tissé depuis très longtemps des unions avec les Ouled Souleiman.

Les Toubous, aujourd’hui se bagarrent avec les Ouled Souleiman et surtout avec la famille El Nasser qui les a toujours considérés comme des citoyens de seconde zone en raison de la couleur de leur peau –les toubous sont noirs-.

Sérieusement armés depuis la fin du conflit de 2011, ils sont entrés en conflit avec cette tribu sur la question des trafics, de leur influence sur la zone, et soupçonnent fortement Ali Zeidane de faire le jeu de cette tribu !

Il y aussi un conflit entre les toubous et les Zouwais au sujet de la question de l’eau, et pendant un temps pour la garde des sites pétroliers du Sud, mais aussi des trafics.

Quant aux Touaregs assez démunis, ils sont de façon récurrente en conflit avec les arabes au sujet des trafics. Par ailleurs, dans le Sud, est aussi en jeu la question de l’identité de certains Touaregs et notamment celle des Toubous qui ne sont pas de souche libyenne.

Venus du Darfour, du Tchad ou du Niger où les Toubous sont également présents, ils ont acheté, durant l’ère Kadhafienne, d’une façon frauduleuse leur papiers d’identité. Face à ce trafic, Kadhafi avait commencé à numériser les papiers. Ce travail est actuellement poursuivi par les nouvelles autorités au grand dam de ces toubous qui prétendent être aujourd’hui de souche libyenne.

Au vu de ces problèmes, les pays limitrophes qui ont des tribus toubous et Touaregs sur leur sol sont aujourd’hui dans l’expectative craignant quelques troubles.

Enfin la tribu des Kadhafas s’est réveillée et s’est restructurée militairement dans une ville du Sud. Et a attaqué une base militaire.

Le retour des drapeaux verts

On a constaté dans deux autres villes sans grande importance le retour des drapeaux verts de l’ancien régime, mais sans qu’aucune structure militaire se soit mise en place. Au vue de ces éléments, on ne peut pas parler raisonnablement d’un retour en force des Kadhafistes, ou de l’ancien régime comme l’a prétendu le pouvoir.

Ce dernier, dont les méthodes n’ont pas encore fait leurs preuves, brandit régulièrement ce spectre auprès des libyens pour obtenir leur adhésion. Pour parachever le tout, des cellules djihadistes ont été réactivées ou créées. Elles peuvent perturber les réseaux des trafics au grand dam des Toubous, des arabes et des Touaregs libyens.

Ces cellules clandestines relèvent soit d’Al Qaeda soit d’Aqmi. Durant la révolte de 2011, il y a eu des va et viens importants entre les djihadistes issus du Mali et leurs frères libyens.

La mort de Kadhafi a eu pour conséquence de déstabiliser le Mali. De nombreux Touaregs ayant combattu auprès de Kadhafi se sont réfugiés notamment au Mali. Ils ont alors épaulé l’Azawad lors de la conquête du Nord du Mali provoquant l’intervention française.

Après celle-ci, beaucoup d’éléments djihadistes appartenant à différentes nationalités (tunisiennes, égyptiennes, algériennes….) se sont réfugiés en Libye. Depuis la guerre en Syrie, certains djihadistes, notamment tunisiens sont formés en Libye dans des camps pour aller combattre le régime de Béchir Al Assad.

En outre, la réinstallation des militaires au pouvoir en Egypte a provoqué la fuite de nombreux frères musulmans et djihadistes en Libye.

Ces cellules peuvent présenter un danger notamment pour le Niger.

Finalement, la Libye est en voie de devenir un nouveau foyer pour les djihadistes. Certains acteurs de la région pensent que d’ici trois ans, la Libye sera devenue un second Mali.

Pour combattre ces djihadistes, l’armée étrangère est déjà sur place, mais en toutes petites unités. Celles-ci encadrent l’armée libyenne, d’ailleurs sans grand succès. Elles font aussi un travail logistique pour l’identification et la localisation des djihadistes.

Si une intervention armée réelle devait s’avérer nécessaire, il faudra en tous les cas l’autorisation des autorités libyennes, ce qui n’est pas gagné. Certains libyens voient en effet d’un mauvais œil une nouvelle intervention étrangère au vue des résultats de la guerre 2011. Par ailleurs le gouvernement risque de changer.

Des élections anticipées ?

Depuis plusieurs jours, Ali Zeidane a en effet proposé des élections anticipées du Congrès Général National (CGN). Et ce malgré le vote des députés le 6 février en faveur de sa prolongation jusqu’au mois de mai en attendant la rédaction de la constitution ou au pire des cas au mois de décembre si sa rédaction n’était pas finalisée.

D’une façon ou une autre, de nouvelles élections au Congrès entraineront automatiquement la mise en place d’un nouveau gouvernement.

Ali Zeidane a eu toutes les raisons de s’activer pour des élections anticipées. Tout d’abord il ne cesse de faire l’objet depuis quelques mois d’une motion de défiance de la part de Mahmoud Jibril, le responsable de l’Alliance Nationale (AN) mais surtout des islamistes.

Du coup, les institutions sont paralysées, et les 4 ministres islamistes sur les 5 du gouvernement ont décidé de quitter le gouvernement. Ali Zeidane a présenté de nouveaux ministres, mais sa liste a été rejetée.

Plus grave, la population demande depuis le 7 février, date de la fin de son mandat, le départ du Congrès en raison de son impuissance à régler la situation sécuritaire.

La confiance entre la population et les députés est donc vraiment largement entamée. Au point d’ailleurs que certains députés ne peuvent revenir chez eux en raison de menaces qu’ils ont reçues.

Résultat : les députés se sont mis d’accord pour organiser des élections d’ici fin mars.

Des élections anticipées pourraient amener rapidement au niveau institutionnel une accalmie dans la gestion des affaires, une bouffée d’air et donner une impulsion afin que les institutions repartent sur de nouvelles bases et regagnent la confiance de la population.

Cela permettra d’organiser dans un climat plus serein le référendum validant la constitution et lancer l’élection d’un chef d’Etat.

Par ailleurs, cela permettrait peut-être d’évincer les islamistes du Congrès, qui font blocage. De calmer les milices anti et pro-prolongation du Congrès.

Enfin, cela éviterait à Ali Zeidane de subir l’affront d’une motion de défiance qui compromettrait son avenir politique si tenté il était de jouer encore un rôle.

Mais ceci n’est pas encore gagné. Si les députés se sont mis d’accord pour des élections d’ici fin mars, ces élections anticipées n’ont pas encore été votées. Il faut que cela soit voté rapidement. A défaut, cet accord peut voler en éclat du jour au lendemain.

En tous les cas, même si un nouveau congrès est élu et un nouveau gouvernement est nommé, pourra t-il régler la question brûlante du blocage des sites pétroliers et des centrales électriques, voire de leur destruction ?

« On a pour l’instant échappé à une guerre civile »

Si sur le terrain, on a pour l’instant échappé à une guerre civile, les conflits étant localisés, il est à craindre que la pénurie de pétrole et notamment d’électricité puisse créer une forte impulsion aux conflits existants ou potentiels entrainant également la population.

Si les politiques présents ou à venir ne règlent pas ces questions au plus vite, l’avenir risque d’être finalement sombre même si sur le plan institutionnel on espère un déblocage.

Le gouvernement n’a pas encore voté le budget 2014 par manque de visibilité au niveau des recettes. La situation doit donc être rétablie très rapidement avant que le gouvernement soit obligé d’importer du pétrole ou de faire face à un début de pénurie. Et que les fonctionnaires ne soient pas payés en raison d’une baisse des recettes pétrolières.

Enfin, on ne voit toujours pas comment désarmer les milices et « casser » ces 6 régions. Mais hélas, plus le temps passe, plus les milices recrutent de jeunes chômeurs plus avides de gagner leur vie dans les trafics que dans l’administration ou les usines !

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