Aller à…
RSS Feed

27 décembre 2024

Les « antisémites » peuvent-ils travailler à la poste ?


Par Jean Bricmont
Les « antisémites » peuvent-ils travailler à la poste ?
Cette phrase est inspirée d’une remarque de Norman Finkelstein (*) politologue, spécialiste du conflit israélo-palestinien et auteur entre autres de « L’industrie de l’holocauste », qui disait qu’il n’était pas simplement sans emploi mais « non employable », à savoir qu’il ne pourrait plus trouver d’emploi, non seulement à l’université (évidemment), mais même « à la poste ». Ou n’importe où ailleurs.
14 mai 2014

Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, au lieu de simplement regarder votre CV et vos lettres de recommandation, l’employeur potentiel « google » votre nom. Et dans le cas de gens comme Finkelstein, on tombe vite sur des accusations de négation de l’holocauste, de supporter du nazisme ou du terrorisme. Et aucun employeur ne va prendre le risque d’engager un candidat pareil. Ayant été chassé de l’université suite à une campagne hystérique de la part de militants pro-israéliens, Norman Finkelstein est, probablement jusqu’à la fin de ses jours, non employable, en tout cas aux Etats-Unis.

Bien sûr il n’est pas le seul. Son cas est exceptionnel, parce que non seulement ses deux parents étaient des survivants de l’holocauste, mais parce que ses positions sur le conflit israélo-palestinien sont en fait très modérées (il est par exemple fort critique à l’égard de la campagne BDS). Si je devais chercher un emploi, j’aurais le même genre de problème. Combien de fois des amis bien intentionnés ne m’ont-ils pas mis en garde contre le fait de toucher à des sujets comme la Palestine, ou le rôle des lobbys, bien sûr, mais même la liberté d’expression ?

Quantité de gens sont victimes de l’accusation d’antisémitisme (ou celles, associées, d’être d’extrême-droite, négationniste etc.) et de facto inemployables ; et il n’y a qu’à voir les campagnes contre Pascal Boniface ou, plus récemment, contre Aymeric Caron, pour se rendre compte qu’il n’y a pas besoin d’être Dieudonné ou Soral pour subir ce genre d’attaques.

Les pires attaques sont celles qui viennent des milieux qui s’auto-proclament « juifs progressistes » ou « pro-palestiniens » : en effet, si même eux, qui ne peuvent supposément pas être suspectés de sionisme (mais uniquement en vertu de leurs auto-proclamations) vous clouent au pilori, quelle défense pouvez-vous invoquer ?

Néanmoins, le problème fondamental ne vient pas des sionistes, ou des « juifs progressistes », mais des gens qui ne sont ni l’un ni l’autre. Pourquoi ne font-ils pas respecter leurs propres droits et ceux de leurs concitoyens ? Pour certains, la majorité sans doute, par peur d’être soi—même trainé dans la boue, et, pour les plus naïfs, parce qu’ils ont intériorisé des slogans du genre « l’antisémitisme rappelle les heures les plus sombres de notre histoire ».

Mais bien sûr, il n’y a rien d’antisémite à défendre la libre expression d’opinions et, ce qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire, c’est plutôt le climat de terrorisme intellectuel dans lequel nous vivons. Pour ce qui est de mes amis bien intentionnés, ils ne peuvent pas à la fois me donner les conseils qu’ils me donnent ET nier l’existence de ce climat.

Pourtant, il serait très simple de sortir de cette situation, mais cela nécessiterait un effort collectif. Il suffirait d’accepter trois règles simples :

- que l’on définisse précisément ce que l’on entend par antisémitisme. La critique d’Israël ou des associations communautaires est-elle antisémite ?

- que les accusations d’antisémitisme soient fondées sur des écrits ou des paroles publiquement disponibles et non sur des ragots.

- finalement, que la personne accusée ait la possibilité de se défendre.

Alors que peut-être nous pourrons re-postuler à des emplois, et pas seulement à la poste.

Jean Bricmont
14 mai 2014

(*) Voir :
An Alienated Finkelstein Discusses His Writing, Being Unemployable, And Noam Chomsky
http://urbantimes.co/2014/01/norman-finkelstein-interview/


Professeur de physique théorique et mathématique, Université de Louvain, Belgique. Auteur de plusieurs articles sur Chomsky, co-directeur du Cahier de L’Herne n° 88 consacré à Noam Chomsky. Il a publié notamment avec Alan Sokal Impostures intellectuelles (1997), À l’ombre des Lumières avec Régis Debray (2003) et Impérialisme humanitaire (2005). Son dernier ouvrage : La République des censeurs. Editions de l’Herne, 2014.

Partager

Plus d’histoires deLibye