Front national : Jean-Marie Le Pen, épouvantail des Africains ?
27 mai 2014
Front national : Jean-Marie Le Pen, épouvantail des Africains ?
Plus que certains autres politiciens français, Jean-Marie Le Pen s’intéresse à l’Afrique. Hélas ! Quand il ne s’accoquine pas avec des Africains infréquentables, il mise sur… la fièvre Ebola.
Qui a supposé que les membres du Front national français n’aimaient pas l’Afrique ? À la fin des années 90, lorsque le réalisateur burkinabè Idrissa Ouédraogo lançait l’une des toutes premières séries télévisées urbaines d’Afrique francophone, « Kadi Jolie », le journal « Minute », proche de l’extrême droite, se fendait d’une critique dithyrambique. Entre les lignes de l’article, il fallait lire que les Africains n’étaient jamais aussi sympathiques que dans leur environnement naturel, loin des filières d’immigration.
C’est encore en évoquant insidieusement l’immigration que Jean-Marie Le Pen, le fondateur et président d’honneur du Front national (qui vient de réaliser une spectaculaire percée aux européennes de dimanche), évoquait le continent, il y a quelques jours. Selon l’octogénaire, la population française qu’il affectionne prioritairement serait en train d’être « remplacée » sous les effets conjugués de la « faible natalité du continent européen » et de « l’explosion démographique dans le monde ».
On ne piétine pas deux fois les testicules d’un aveugle, dit le proverbe.
L’excédent généré par la fertilité du Sud se déverserait abondamment en France. Et lorsque Le Pen père évoque le « risque de submersion » de la France par l’immigration, il pense évidemment à l’Afrique. Cette semaine, à Marseille, il a même fait plus qu’y penser. Pour échapper à ce supposé tsunami de procréateurs féconds, il faudrait, selon lui, compter sur « Monseigneur Ebola » capable de « régler ça en trois mois ». Référence particulièrement indélicate au virus meurtrier qui vient de faire sa réapparition en Afrique de l’Ouest.
Égal à lui même
Cette nouvelle saillie qui pourrait ressembler à une sortie de route s’aligne en fait parfaitement sur une kyrielle de propos anticonformistes à propos du continent africain ; y compris au sujet de ce que le continent chérit de plus consensuel. Au moment de la libération de Nelson Mandela, icône mondialement célébré en 2013, le dirigeant frontiste avouait ressentir « une espèce de méfiance à l’égard des terroristes quel que soit le niveau auquel ils se situent ». En 2002, le programme du FN considérait que Madiba avait « ruiné son pays en provoquant l’exode des Blancs ». En 2002, année où le candidat du Front national s’apprêtait à se qualifier au second tour de la présidentielle française, celui-ci quémanda tout de même une rencontre avec le « terroriste ». Sans succès. « On ne piétine pas deux fois les testicules d’un aveugle », dit le proverbe.
Certaines idées du FN sont revendiquées par des politiciens africains.
Ce n’est pas la totalité de l’ossature idéologique du lepénisme qui est afro-incompatible. Certaines idées du FN sont même revendiquées par des politiciens africains : la préférence nationale pour l’emploi, la lutte contre la mondialisation et l’ultralibéralisme, la souveraineté nationale et même – de façon plus spécifique – la fin de la Françafrique ou la lutte contre des lobbies jugés néo-colonialistes. Mais ce genre d’idées, par nature, se disséminent sans se partager. Un misanthrope aime-il son semblable misanthrope ?
Qui aime bien châtie bien ? Le Pen a-t-il une sincère affection pour le continent africain ? Pour s’en convaincre, il n’y a hélas que les deux arguments les plus spécieux qu’on puisse imaginer. Primo, le touriste Jean-Marie s’offrit des vacances tunisiennes avec sa douce Jany, en 2012… à moins qu’on ne les lui offrit. Secundo, Le Pen a des amis africains. En faire publicité ressemble à l’invocation de cette exception qui confirme une règle ; celle du racisme ou de la xénophobie en l’occurrence. Et si Le Pen aime l’Afrique, c’est peut-être qu’il aime moins les Africains que l’Afrique et surtout qu’il aime moins l’Afrique contemporaine que celle de l’époque coloniale.
Camerounité et gabonité
Gageons que ce n’est guère la « camerounité » de Dieudonné Mbala Mbala qui a permis à l’humoriste controversé d’obtenir le parrainage de Le Pen, au moment du baptême d’un de ses rejetons. La « gabonité » d’Omar Bongo intéressait-elle le leader du FN ? L’ex-premier ministre gabonais Jean Eyéghé Ndong déclarait, il y a quelques années, qu’Omar et Jean-Marie auraient échangé « quelques gentillesses ». Même thèse du côté de l’avocat Robert Bourgi. Mais entre deux coquins, qui croire ?
Les Africains regardent le fondateur du FN comme une bête curieuse. S’il y a en Jean-Marie Le Pen de l’africanité dans la manière de gérer sa carrière politique –notamment la transmission de son pouvoir à ses enfants–, les Africains le vomissent sur la seule perspective de restrictions des visas. Ils ouvrent des yeux écarquillés lorsqu’ils apprennent qu’un de leur héros, le pourfendeur des censeurs africains Robert Ménard, est élu maire de Béziers avec la bienveillance du Front. Ils restent bouche bée, quand ils voient des partis populistes progresser dans des scrutins comme celui qui vient de concerner l’Union européenne. Les partis d’extrême droite européens contrediront-ils le principe « Nationalistes de tous les pays, désunissez-vous » ?
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