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20 avril 2024

Un lascar réélu président de la Mauritanie


Un lascar réélu président de la Mauritanie

Qu’il s’agisse de l’Algérie, hier, où le président Bouteflika a été réélu, impotent, dans un fauteuil roulant, ou de la Centrafrique où une France arrogante prétend organiser au plus vite des élections dans un pays déchiré par des fractures religieuses et ethniques, la démocratie occidentale est décidément un produit d’exportation frelaté. La réélection le samedi 21 juin en Mauritanie, du président Aziz, digne héritier du dictateur Ould Sid’Ahmed Taya, au pouvoir pendant un quart de siècle (voir dessin ci contre) est juste une mascarade.

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Crédit photo: Tous droits réservés d.r.

Dans des pays africains sans culture pluraliste, les élections sont un formidable ascenseur social qui permet à des élites trop souvent corrompues de s’enrichir rapidement. Il s’agit de démocraties d’opérette qui éloignent les régimes en place de leurs peuples, mais les rendent comestibles en Europe et aux Etats-Unis. Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse, même frelatée, d’un ersatz de démocratie.

Candidat jusqu’au bout

Mais ce qui s’est passé en Mauritanie lors des élections présidentielles de samedi tourne à la mascarade. Alors que tout est joué d’avance et que les principaux partis d’opposition ne prennent pas part au scrutin, le président Aziz a joué son rôle de candidat jusqu’au bout. Piquant une colère à la Nicolas Sarkozy, qui avait blanchi son coup d’Etat en 2008, le chef de l’Etat mauritanien s’en est pris à son directeur de campagne. Pourquoi, lui a-t-il reproché en substance, ne laisse-t-on pas s’exprimer ces milliers de jeunes qui voulaient me proclamer leur soutien ? D’où vient, a-t-il affirmé, le vide sidéral de cette campagne électorale ?

On se souvient de l’ex président tunisien Ben Ali, qui avait privé son peuple de toute liberté d’expression mais qui convoquait les journalistes au Palais de Carthae pour les encourager surtout à s’exprimer d’avantage ! Ubu Roi et Aziz président, cela se décline bien ensemble.

Les abstentions ? Un mirage

Mais il y a mieux. Dans ce type de scrutin, il reste au peuple l’abstention pour exprimer son hostilité au Pouvoir en place. Il est difficile de frauder sur une grande échelle su rle nombre des abstentionnistes, car des bureaux de vote à moitié vides se voient à l’œil nu. Or en Mauritanie cette fois, la commission de contrôle mauritanienne a ordonné aus bureaux de vote à ne pas communiquer les chiffres des non votants. Du jamais vu. La prochaine étape conduira sans soute le président Azis à dissoudre le peuple!

L’ancien président de la transition de 2005, Ely Ould Mohamed Vall, une personnalité d’envergure mais qui n’est pas franchement un rebelle, a estimé que le régime « putschiste» de Ould Abdel Aziz « a échoué dans sa tentative de convaincre les partenaires du pays comme les Nations-Unies, l’Union Européenne à observer les élections présidentielle » du 21 juin.

Pour l’ancien président mauritanien, ces organismes « se sont abstenus d’observer ou de financer les élections présidentielles, pour le simple fait qu’ils ne sont pas disposés à assumer une responsabilité consacrant la dictature, enracinant l‘autocratie et approfondissant la crise politique ».« A quoi sert une élection dans laquelle une des parties instrumentalise l’argent public et contraint le privé à dépenser en sa faveur, à coup de centaines de millions, utilisant également le prestige de l‘Etat, se déplaçant sous son couvert et traitant avec les électeurs depuis son statut de Président? », s’est-il interrogé.

« Street smart »

Les Américains, qui ont le sens de la formule percutante, ont une expression pour exprimer l’instinct et le culot du lascar de banlieue : « street smart ». « Street », la rue et « smart », la sophistication. Or le président Aziz a ce culot formidable du gamin des rues, qui ose tout, sans limites, dans un mélange d’arrogance et d’inconscience. Cet homme venu des casernes pille le pays pour enrichir ses proches, piétine son opposition à qui il n’offre aucune porte de sortie, négocie en sous main avec les forces salafistes, à qui il ouvre grandes les portes des mosquées, prend le cash où qu’il se trouve, en Arabie Saoudite aujourd’hui et hier dans la Libye de Khadafi, avant qu’il n’expulse le chef des service libyens Senoussi (contre une poignée de dollars), lorsqu’après le printemps arabe le vent avait tourné.

Mais le président mauritanien agit, comme l’explique un diplomate américain, « dans une toute puissance aveugle, sans éducation ni sens des limites », soutenu par l’armée et le service d’ordre présidentiel, le fameux Basep. Lequel est le guichet unique, le passage obligé des bakchichs et des marchés publics distribués par  la Présidence. Le sentiment d’impunité d’Aziz est très largement confortée, il est vrai, par les Américains et les Français, qui ont installé quelques antennes de renseignement à Nouakchott et veulent voir dans ce pays sous controle militaire mais sans colonne vertébrale un rempart contre le jihadisme, vielle antienne. Rappelons que pas un soldat mauritanien n’est venu épauler l’armée française pendant l’opération Serval! Voici un sacré allié, pour la France de François Hollande et de Michel Sapin, notre ministre des finaces qui aime tant les petites échappées chez ses amis mauritaniens!

Diviser pour régner

Hélas, la Mauritanie s’enfonce dans une crise sans fin. Les fractures ethniques et sociales sont considérables. La fragilité de cette société est totale. Lors de la campagne présidentielle- et ce fut la seule utilité de cette farce électorale- le candidat Ibrahima Moctar Sarr, président de l’Alliance pour la Justice et la Démocratie, a tenté d’exprimer les attentes négro-Mauritaniens, ces noirs arabisés par les Maures et rendus esclaves. Cette communauté presque majoritaire représente, d’après les analyses des services français, la principale menace pour le pouvoir mauritanien. Ancien journaliste qui connut en 1990 le bagne de Walata pour avoir rédigé « le Manifeste du Négro-mauritanien » opprimé », l’admirateur de Mandela qu’est Ibrahima Sarr en appelle à un sursaut national.

Notre lascar Aziz, d’instinct, sent bien le péril et d’encouragea (certains disent même de financer) la candidature d’un  représentant radical du mouvement anti esclavagiste IRA, Birham Dah Abeid, dont la personnalité charismatique a en partie plombé la campagne d’Ibrahim Sarr. Diviser pour régner, une vieille recette….

Mais après? Et de quoi demain sera fait? L’unanimité (factice) du pouvoir mauritanien est sa principale faiblesse.

Publié par Nicolas Beau

Ancien du “Monde”, de “Libération” et du “Canard Enchainé”, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l’Institut Maghreb (paris 8) et l’auteur de plusieurs livres= « Papa Hollande au Mali », « Le vilain petit Qatar », “la régente de Carthage” (La découverte, Catherine Graciet) et “Notre ami Ben Ali” (La Découverte avec Jean Pierre Tuquoi)

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