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20 avril 2024

Le champ de bataille de demain, aujourd’hui : en 2012-2013, l’armée américaine est intervenue dans 49 pays africains.


24 juin 2014

 

Carte : Les bases de drones US en Afrique (y compris aux Seychelles !)


Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 10 exercices militaires, 55 opérations, 481 activités de coopération en matière de sécurité. Pendant des années, l’armée étasunienne a ouvertement insisté sur le fait qu’elle n’intervenait en Afrique que dans une faible mesure. Le personnel et les commandants chargés des affaires publiques de l’armée ont prétendu à plusieurs reprises qu’il s’agissait seulement d’une « présence minimale », et sont même allés jusqu’à affirmer que la présence du personnel militaire était relativement faible. Cependant, ils ont refusé de préciser en quoi consiste cette présence minimale. Par exemple, lors d’une interview, un porte-parole d’AFRICOM (Commandement des États-Unis pour l’Afrique) s’était montré inquiet car si l’on reprenait dans un tableau le nombre de déploiements militaires, cela donnerait une « image défavorable » des forces américaines.

 

Il se trouve que les chiffres démentent les allégations de l’armée américaine.

 

L’année dernière, selon le commandant d’AFRICOM, le général David Rodriguez, l’armée étasunienne a mené sur le continent 546 « activités », terme qui sert de passe-partout pour toute action réalisée par l’armée sur le sol africain. En d’autres termes, cela revient à environ une mission et demie par jour. Ce nombre représente une augmentation de 217 % dans les opérations, les programmes et les exercices, depuis l’établissement du commandement en 2008.

Dans son témoignage devant le Comité des forces armées du Sénat plus tôt ce mois-ci, D. Rodriguez a fait remarquer que les 10 exercices, les 55 opérations et les 481 activités de coopération en matière de sécurité faisaient d’AFRICOM « un commandement très actif dans la région ». Toutefois, on ne sait pas exactement en quoi le commandement est « actif  ».

AFRICOM diffuse des informations seulement sur une partie des ses activités. Le Commandement ne fournit aucuns détails quant à la nature des opérations. De plus, il n’autorise que des journalistes choisis au préalable à observer des missions elles aussi sélectionnées. Le Commandement refuse même de révéler le nombre de pays dans lesquels il est « actif », préférant garder secrètes la plupart des informations concernant les dates et les lieux.

Alors que le témoignage de D. Rodriguez ne fait que présenter un aperçu du champ d’activités d’AFRICOM, une mine de documents sur les briefings militaires, précédemment non-divulgués, obtenue par TomDispatch a mis en lumière les types et les lieux des missions menées sur tout le continent. Ces briefings, destinés aux commandants haut-placés et aux responsables civils en 2013, démontrent une augmentation considérable des déploiements au cours des dernières années et révèlent que les opérations militaires US s’avèrent plus importantes qu’annoncées. Ces briefings montrent également que le rythme des opérations en Afrique restera soutenu en 2014 ; il est très probable que les forces étasuniennes continuent de mener plus d’une mission en moyenne par jour.

 

La Constance du Jardinier

 

Les troupes étasuniennes mènent un nombre important d’opérations en Afrique : attaques aériennes sur des militants suspects, raids aériens visant à séquestrer des terroristes, ponts aériens pour les troupes africaines et françaises impliquées dans des guerres de proximité, opérations d’évacuation dans les pays déstabilisés. Cependant, l’armée US mène surtout des missions de formation, guide les alliés, fournit des fonds, des équipements et des conseils aux responsables locaux.

Le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique décrit ses activités comme permettant la mise en avant « des intérêts de la sécurité nationale des Etats-Unis à travers des engagements ciblés et durables avec des partenaires » et insiste sur le fait que « les opérations, les exercices et les programmes d’assistance pour la coopération en matière de sécurité soutiennent la politique étrangère du gouvernement américain à travers des activités essentiellement entre militaires et des programmes d’assistance  ».

Saharan Express est un exercice naval typique qui rassemble tous les deux ans les forces étatsuniennes et les membres de la marine et les garde-côtes venant d’une douzaine de pays principalement africains. Les opérations comprennent Juniper Micron et Echo Casemate, des missions centrées sur le soutien aux interventions françaises et africaines au Mali et en République centrafricaine. Le State Partnership Program (SPP), qui fait partie d’une des activités de coopération en matière de sécurité, réunit les forces armées africaines et des unités de la Garde nationale américaine, ainsi que le programme State Department-funded Africa Contingency Operations Training and Assistance (ACOTA), par lequel les mentors et les conseillers de l’armée étasunienne fournissent des équipements et des instructions aux unités africaines.

Beaucoup d’activités entre militaires et de missions consultatives sont menées par la 2nde Brigade de Combat de l’armée, 1ère division d’infanterie, dans le cadre de l’aide aux « forces alignées régionales », où des troupes étatsuniennes spécialement formées sont envoyées auprès des commandements de combat dans la région, comme AFRICOM. D’autres programmes d’entraînement sont organisés par les unités s’occupant des différentes branches du service, qui comprend l’African Partnership Station 13 où les forces navales et les marines enseignent des compétences comme la méthode de patrouille ou des techniques de combat rapproché. Dans le même temps, des membres de l’Air Force (l’aviation étasunienne) ont accordé de l’aide aux troupes nigériennes dans des domaines très divers : logistique, ponts aérien, affaires publiques…


Des documents de l’armée étasunienne en Afrique précédemment non-divulgués révèlent une augmentation de 94 % des activités du personnel militaire de 2011 à 2013, et une hausse de 174 % pour les programmes de State Partnership (Partenariat entre les Etats) qui passent de 34 à 93. Par ailleurs, on note également une hausse de 436 % en activités de conseil et d’assistance (Advise-and-Asist) qui comprennent les missions de l’ACOTA (qui passent de 11 à 59). L’année dernière, d’après des documents datant de décembre 2013, les interventions concernaient presque tout : apprendre aux troupes kényanes comment utiliser les drones de combats RQ-11 Raven, aider les forces algériennes en leur fournissant des véhicules blindés capables de résister aux mines et aux embuscades (MRAPS en anglais), former les fantassins tchadiens et guinéens et soutenir les interventions françaises en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest.

Benjamin Benson, le porte-parole d’AFRICOM, a refusé de donner plus de détails concernant ces activités. « Nous nous entraînons avec beaucoup de pays africains différents  », m’a-t-il expliqué. Quand je lui ai demandé s’il connaissait le « nombre exact » de pays, il m’a répondu par la négative. Il a ignoré de nombreuses demandes écrites d’informations complémentaires. Mais des dossiers détaillant les déploiements des membres de la 2nde Brigade de Combat de l’armée, 1ère division d’infanterie, de juin à décembre 2013, mettent en évidence la véritable implication de l’armée étasunienne dans les missions d’entraînement.

En juin, des membres de la 2nde Brigade de Combat ont été dépêchés au Niger, en Ouganda, au Ghana et, pour 2 missions différentes, au Malawi ; en juillet, des troupes de la Brigade se sont rendues au Burundi, en Mauritanie, au Niger, en Ouganda et en Afrique du Sud ; en août, des déploiements en République démocratique du Congo, au Kenya, en Afrique du Sud, au Niger, deux missions au Malawi, et trois en Ouganda ; en septembre, activités au Tchad, au Togo, au Cameroun, au Ghana, à Sao Tomé-et-Principe, Sierra Leone, en Guinée, en Ouganda et au Malawi ; en octobre, des membres de l’unité étaient en route pour la Guinée et l’Afrique du Sud ; les déploiements du mois de novembre avaient pour lieux Lesotho, l’Ethiopie, la Tanzanie, l’Ouganda et la Guinée ; et, d’après les documents, en décembre, il y avait des activités prévues dans le sud du Soudan, au Cameroun et en Ouganda. En somme, la 2nde Brigade de Combat de l’armée, 1ère division d’infanterie, a mené 128 « activités » différentes dans 28 pays africains durant l’année 2013.

Les dossiers obtenus par TomDispatch indiquent également que l’Armée étasunienne pour l’Afrique était impliquée dans près de 80 % des activités d’AFRICOM sur le continent en 2013, aux alentours de plus d’une mission par jour. Des projections préliminaires pour l’année 2014 suggèrent un pourcentage cette année (418 activités étant déjà planifiées mi-décembre 2013), et qui prévoient des hausses attendues en nombre d’opérations et de missions de formation et d’équipement.

D’après les mêmes documents, il est prévu que le nombre d’exercices complets, impliquant les troupes US et des membres de l’armée de plusieurs pays africains, passent de 14 à 20 en 2014. Jusqu’à présent, AFRICOM a communiqué des informations sur 11 exercices prévus pour cette année. Parmi ces exercices figurent l’African Lion au Maroc, l’Eastern Accord en Ouganda, le Western Accord au Sénégal, le Central Accord au Cameroun et le Southern Accord au Malawi ; ces exercices comprennent des entraînements sur le terrain et constituent un évènement majeur pour les programmes entre militaires de l’année précédente. AFRICOM mènera aussi au moins trois exercices de sécurité maritime, notamment CUTLASS Express sur la côte de l’Afrique de l’Est, Obangame Express dans le Golfe de Guinée et Saharan Express dans les eaux du Sénégal et sur les îles du Cap-Vert. Il y aura également l’exercice Africa Endeavor, qui est conçu afin de promouvoir le « partage d’informations » et de faciliter les procédures de communications standardisées entre les armées africaines.

De plus, les forces étasunienne et africaines d’opérations spéciales vont prendre part à un exercice qui a pour nom de code Silent Warrior 2014 en Allemagne et viennent de terminer l’exercice Flintlock 2014 (qui, depuis 2005, est un évènement annuel). Dans le cadre de Flintlock 2014, plus de 1000 troupes venant de 18 pays, notamment le Burkina Faso, le Canada, le Tchad, le Danemark, la France, l’Allemagne, l’Italie, la Mauritanie, les Pays-Bas, le Nigéria, la Norvège, le Sénégal, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, et le pays hôte du Niger, ont dirigé des formations à la lutte contre le terrorisme dans les périphéries de Niamey, la capitale, mais aussi dans de petites bases comme à Tahoua, Agadez et Diffa.

« Bien que Flintlock soit considéré comme un exercice, il représente un prolongement des formations en cours, des interventions et des opérations qui aident à préparer nos proches partenaires africains dans la lutte contre l’extrémisme et les ennemis qui menacent la paix, la stabilité et la sécurité régionales », a déclaré le colonel Kenneth Sipperly, le commandant de l’ US Joint Special Operations Task Force-Trans Sahel, lors de la cérémonie d’ouverture de Flintlock.

 

Implantations, implantations et encore implantations.

 

Une enquête menée en 2013 par TomDispatch, analysant les documents officiels et les sources d’information ouvertes, a révélé que l’armée étasunienne était impliquée dans au moins 49 des 54 nations du continent africain au cours des années 2012 et 2013, dans des activités comme des raids des forces spéciales ou encore la formation de milices. Une carte réalisée l’année dernière par l’armée étatsunienne pour l’Afrique renforce nos constatations : la carte indique que les troupes ont mené, ou du moins envisageait de mener, des «  activités  » dans tous les « pays » africains durant l’année fiscale 2013, à l’exception du Sahara de l’ouest (un territoire contesté dans la région du Maghreb en Afrique du Nord), de la Guinée Bissau, de l’Erythrée, du Soudan, de la Somalie, de Sao Tomé-et-Principe, de Madagascar et du Zimbabwe. L’Egypte ne fait normalement pas partie du champ d’opérations d’AFRICOM, mais en 2013, l’armée US y a mené des activités, tout comme en Somalie, qui accueille une petite équipe de conseillers étatsuniens. D’autres documents indiquent que des troupes militaires ont été déployées à Sao Tomé-et-Principe, un pays qui mène des activités avec l’US Navy (marine de guerre des Etats-Unis) de manière régulière.

AFRICOM maintient que l’armée étasunienne ne dispose que d’une seule base sur le continent : la base Camp Lemonnier à Djibouti. Cependant, des documents officiels examinés par TomDispatch, font référence à des bases portant d’autres noms : les FOS, bases opérationnelles avancées (qui sont des implantations à long-terme) ; les CSL, implantations de sécurité coopérative (qui sont occupées tour à tour par des troupes étatsuniennes) ; et les CL, sites de replis (qui sont occupés seulement pour les missions sont en cours).

AFRICOM a constamment refusé de fournir de plus amples informations, exigées par TomDispatch, sur le nombre d’implantations des FOS, CSL et CL ; cependant, des documents officiels produits en 2012 mentionnent sept implantations de sécurité coopérative, notamment une à Entebbe, en Ouganda, une implantation depuis laquelle, selon une enquête du Washington Post, les troupes US ont mené des missions aériennes secrètes de surveillance. Des informations publiées au début de cette année par l’armée évoquent au moins 9 FOL, des implantations opérationnelles avancées.


Nous ne savons pas ce qu’ils font


What We Are Doing (littéralement « ce que nous faisons »), titre d’un document militaire daté de décembre 2013 et obtenu par TomDispatch, apporte des réponses à des questions qu’AFRICOM a toujours essayé d’éviter et fournit des renseignements que le commandement a tenté de garder secret. Toutefois, nombre d’autres informations demeurent secrètes.

De 2008 à 2013, le nombre de missions, d’exercices, d’opérations et d’autres activités du ressort d’AFRICOM a augmenté considérablement en passant de 172 à 546, mais peu d’informations essentielles sont disponibles quant à la nature de la plupart de ces missions, tout comme il est difficile de savoir quelles troupes ont été formées par les forces étasuniennes. Depuis 2011, l’Armée US pour l’Afrique a, à elle seule, participé à près de 1000 « activités » à travers le continent, mais des journalistes indépendants n’ont pu assister qu’à une fraction de celles-ci ; donc ce que l’on sait se limite aux propos des militaires et aux informations officielles diffusées concernant seulement certaines missions. Ce n’est que plus tard que l’on a appris que les Etats-Unis ont formé un bataillon de commandos congolais mis en cause par les Nations unies pour viols collectifs et autres atrocités durant la même année, pour ne citer que deux exemples.

Depuis sa création, l’Armée américaine pour l’Afrique a toujours minimisé son rôle sur le continent. Dans le même temps, loin des médias et du public, les officiers du Commandement menant les opérations secrètes ont officieusement désigné l’Afrique comme « le champ de bataille de demain, aujourd’hui ».

Alors que nous l’ignorions depuis des années, nous savons maintenant qu’AFRICOM est « extrêmement actif », pour reprendre les mots du général David Rodriguez, et nous découvrons également la vitesse fulgurante à laquelle le nombre des missions a augmenté. Il reste à voir ce que nous ne savons pas encore sur les opérations de l’Armée étasunienne pour l’Afrique, qui augmentent de manière exponentielle.


Source : www.tomdispatch.com

Traduit par Investig’Action


Titre original : Le champ de bataille de demain, aujourd’hui : en 2012-2013, l’armée américaine est intervenue dans 49 pays africains.

 

 


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