Discours de Sayed Hasan Nasrallah, Secrétaire Général du Hezbollah, le 9 mai 2013, à l’occasion des 25 ans de la radio Al-Nour, organe du Hezbollah.
Retranscription :
En des circonstances aussi heureuses que celles qui nous réunissent aujourd’hui [les 25 ans de la radio Al-Nour, organe du Hezbollah], la (question de la) Palestine se présente et s’impose à nous tous avec force. Les dangers qui pèsent sur la cause palestinienne aujourd’hui menacent sa terre et sa légalité. Sa légalité (même) ! Car même si la terre est occupée, si ses propriétaires (légitimes), 20 ans, 50 ans, 100 ans ou même 200 ans après, ne reconnaissent toujours pas la légalité de l’occupation, alors la lutte continue. Mais lorsque nous abdiquons (nos droits) et reconnaissons la légalité de l’occupant, la lutte est terminée pour l’essentiel. La légalité, le peuple, les milliers de captifs dans les prisons, les lieux saints musulmans et chrétiens, Al Qods (Jérusalem) et surtout la mosquée Al-Aqsa en ces jours (seraient perdus).
Ce qui se passe dans la région, ô mes frères et sœurs, sert les intérêts de l’ennemi, ce qui est vraiment malheureux, et lui permet de profiter des occasions présentes. Et nous devons reconnaître à notre ennemi qu’il est habile, qu’il est très fort pour profiter des occasions qui se présentent. Et malheureusement, nous sommes une communauté (les musulmans) qui gâche bien des occasions. (L’ennemi) sait très bien saisir les occasions pour imposer de nouvelles réalités – en Palestine, en Syrie, au Liban, dans (toute) la région.
Lorsque l’ (ennemi) israélien regarde autour de lui, et se rend compte que ceux qui se taisaient (face à ses agressions) se font encore plus silencieux – peut-être que si je disais « ils n’ont jamais osé dire un mot (en faveur de la Palestine) », il y aurait de l’amertume dans mon propos – et qu’il se rend compte que les pays concernés sont accaparés par des défis majeurs, pourquoi l’ennemi ne profiterait-il pas de l’occasion ? Pourquoi donc ? Naturellement, il va en profiter.
Lorsque l’ennemi se rend compte que les dirigeants arabes, aujourd’hui – oui, aujourd’hui même, soulignez ce mot de deux gros traits – sont encore plus prêts à faire des concessions sur leurs droits après le Printemps arabe (qu’auparavant), malheureusement, malgré le Printemps arabe. Durant les mouvements du Printemps arabe, durant les soulèvements populaires, l’ennemi était dans un état d’effondrement, de terreur et de confusion complète, et les attentes du peuple palestinien, qui a fondé de grands espoirs sur le Printemps arabe, de même que les mouvements de Résistance, nous y compris, nous avions l’espoir que le Printemps arabe allait engendrer des Etats qui rendraient la position arabe officielle plus ferme, plus forte, plus active et plus efficace, plus attachée aux droits, moins prête à faire des concessions, mais malheureusement, (quand on voit) l’image de tous ces ministres des affaires étrangères arabes, avec au milieu le Secrétaire d’Etat américain, et parmi eux des ministres des gouvernements issus du Printemps arabe, des ministres de pays bouleversés par le Printemps arabe, qui sont prêts à faire de dangereuses concessions sur la cause palestinienne et sur les terres palestiniennes, n’est-ce pas là quelque chose qui doit attrister les amis (de la Palestine) et remplir de joie l’ennemi ?
Je ne vais pas donner de noms, car nous avons bien assez de problèmes comme ça. Il vous suffit de vous reporter à la photo (des ministres arabes), et de voir (qui est présent).
Et donc face à cela, quelle a été la réaction israélienne ? Il y a là une leçon à tirer.
Vous, les Arabes, vous vous avancez sur des ruines – vous les considérez comme des ruines mais avec la Grâce de Dieu ce ne sont pas des ruines – car dans votre vision, vous avez acculé la résistance palestinienne dans un coin et vous l’avez mises en pièces, la Syrie fait face à une guerre très violente, le Liban, vous savez ce qui se passe au Liban, et donc (vous considérez que) le moment est venu – l’Iran, vous le considérez assiégé et menacé – et donc (pour vous) le moment est venu d’offrir aux Américains ce que vous ne pouviez pas, ce que nous n’osiez pas leur offrir par le passé. Non pas ce que vous n’étiez pas convaincus de devoir céder par le passé – je vous le dis aujourd’hui, sous ma responsabilité ici-bas et dans l’au-delà, ces dirigeants arabes se comportent vis-à-vis de la Palestine, du peuple palestinien, de la mosquée Al-Aqsa, de la Maison de la Sainteté (Jérusalem), de la Basilique de la Résurrection (Eglise du Saint-Sépulcre) et des réfugiés palestiniens comme s’ils étaient une souillure historique. Une souillure (dont il faut se débarrasser). Pas une cause (à défendre). Ils sont prêts et décidés à en finir (avec tout ça) depuis longtemps. Mais ils ont un problème. Ils ont besoin des circonstances adéquates, de suffisamment d’audace, ils doivent oser. Telle est la vérité.
Et c’est pourquoi on peut voir que tous les changements qui ont eu lieu les conduisent de manière plus décidée à plus de concessions, à plus de gratifications en faveur de l’ennemi (israélien), car ils voient que personne ne leur demandera de comptes, alors (ils y vont en se disant) « à la grâce de Dieu. »
Et aujourd’hui, les dirigeants arabes, même sur la question de la mosquée Al-Aqsa – il y eut un temps où on disait que si quiconque osait ne serait-ce que toucher à la mosquée Al-Aqsa, ou au dôme du Rocher [mosquée de ‘Umar], si on touchait à une seule pierre de la mosquée Al-Aqsa, le monde arabe se soulèverait en masse. Cela m’attriste de vous dire que certains dirigeants de mouvements islamiques aujourd’hui font des discours dans certaines mosquées et reprennent ce qu’a dit (Bill) Clinton après les négociations de Wye Plantation (en 1998) entre le Président défunt Yasser Arafat et (Ehud) Barak. Je me souviens qu’un jour, Bill Clinton avait déclaré : « Franchement, je ne comprends pas la mentalité des gens du Moyen-Orient, ils se disputent pour une vieille mosquée ; nous, si vous voulez on peut vous donner et vous construire les plus belles mosquées du monde ! » Voilà ce qu’il a dit.
Malheureusement, aujourd’hui, il y a des gens qui disent que la priorité n’est pas la mosquée Al-Aqsa, et (ils demandent) « Qu’est-ce que c’est la mosquée Al-Aqsa ? Des murs, des piliers… » Oui, c’est ce que disent certains dirigeants de mouvements islamiques, et viendra le jour où on pourra révéler qui (a tenu ces propos) et à quelle occasion.
Eh bien, la priorité s’est déplacée ailleurs. La priorité, c’est comment on va s’entretuer en Syrie, comment on va s’entretuer en Irak, comment on va s’entretuer en Afghanistan, au Pakistan, comment on va mener le Liban au chaos, comment… comment… Telles sont les priorités.
Même la mosquée Al-Aqsa, qui est l’un des principaux lieux saints de l’Islam [le 3e après celles de La Mecque et Médine] depuis les temps les plus reculés de l’histoire, n’est pas une priorité.
Eh bien qu’est-ce qu’on peut faire avec des dirigeants arabes pareils ? Comment est-ce qu’ils réfléchissent ? Quelles sont leurs convictions ?
Eh bien, quelle a été la réaction israélienne (face à ces concessions arabes) ? Ils ont dit – Netanyahu, comme l’a rapporté un ministre de son gouvernement, a dit que cette histoire d’échanges de territoires n’est qu’un détail à traiter au cours des négociations, mais que la question réelle n’est pas là. Le problème avec le peuple palestinien, avec les Palestiniens et avec les Arabes est la reconnaissance du caractère juif de l’Etat (d’Israël). C’est-à-dire qu’en échange de leurs concessions énormes, (les Arabes) n’ont rien obtenu, et que le type (Netanyahu) en a demandé encore plus : vous me parlez d’une parcelle de terre ici ou là, mais la question n’est pas là. Ce qui est demandé, c’est une reconnaissance arabe officielle – et non pas une reconnaissance palestinienne seulement – du caractère juif de l’Etat (israélien). Et le plan (de paix) que négocie actuellement John Kerry dans la région consiste en la demande faite aux Arabes de reconnaître le caractère juif de l’Etat (d’Israël).
Je n’ai pas le temps de le développer maintenant, mais je demande aux savants, aux prêcheurs, aux intellectuels, aux écrivains, aux journalistes de le faire : nous devons expliquer à nos peuples et à l’opinion publique ce que signifierait la reconnaissance du caractère juif de l’Etat (israélien), et ce qu’impliquerait notre acceptation officielle du caractère juif de l’Etat (d’Israël). Ce que sont les dangers de la reconnaissance du caractère juif de l’Etat (d’Israël) pour les réfugiés (palestiniens), pour les lieux saints, et même sur les Palestiniens de 1948, jusqu’aux luttes du peuple palestinien menées depuis des dizaines d’années. Si demain il est considéré que cette terre est juive, le peuple palestinien sera considéré comme le spoliateur, et ceux qui devront payer des dommages et intérêts sont les Arabes. Et les Arabes sont prêts à payer de telles compensations.
Ils ne sont pas prêts à dépenser leur argent, parmi les centaines de milliards de dollars qu’ils possèdent, ni pour fournir du pain ou de la farine aux centaines de milliers de musulmans sunnites en Somalie qui meurent de faim, ni à tendre une main véritablement secourable aux déplacés syriens, à l’extérieur et à l’intérieur de la Syrie, (les dirigeants Arabes préférant) les laisser vivre cette vie misérable et forcer le gouvernement libanais, le gouvernement jordanien et qui sais-je encore à aller mendier de l’argent dans le monde entier – pas plus qu’ils ne sont prêts à apporter un soutien véritable aux habitants d’Al Qods (Jérusalem) pour qu’ils puissent rester sur leurs terres. Ils ne sont pas mêmes prêts à donner le prix d’un village olympique des Jeux Olympiques, ou de la coupe du monde de football, mais ils sont prêts à payer des dommages et intérêts aux juifs (israéliens), de sorte que nous tous, nous, nos pères et nos ancêtres, jusqu’au deuxième calife [‘Umar, qui a conquis la Palestine] et aux armées musulmanes, avant les conquêtes arabes et après, nous devrons payer des dommages et intérêts pour tous ces siècles dès lors que cette terre sera considérée comme étant à eux, et pas au peuple palestinien. Quoi qu’il en soit, de très grands dangers civilisationnels, culturels, sécuritaires, démographiques, humains, économiques, etc., pèsent (sur la région), et il faut absolument en informer les peuples Arabes.
Certaines personnes s’élèvent et disent : « Oh vous là ! c’est quoi votre problème ? leur pays existe, leur Etat est juif, ils veulent juste ces deux mots (de reconnaissance), donnez-leur ces deux mots ! » Deux mots, puis deux mots, puis deux mots, et après 65 ans, voyez où on en est.
Parmi les efforts israéliens – et c’est ce que j’appelle l’art qu’a l’ennemi de saisir les opportunités, malheureusement – (il faut regarder) ce qui se passe actuellement autour de la mosquée Al-Aqsa elle-même. Al Qods (Jérusalem) est judaïsée, comme on a encore pu le voir hier avec les agressions contre les Palestiniens de Jérusalem menées par des colons (israéliens), l’arrestation de Son Eminence le Mufti d’Al Qods durant de nombreuses heures, etc.
Eh bien, jusqu’où (les Israéliens) vont-ils aller ? Je vous le dis, il y a un risque réel qu’ils investissent la mosquée Al-Aqsa, et que cela devienne tout à fait normal. Cela ne s’est pas encore produit, car le peuple palestinien a réalisé des sacrifices depuis 1967 (après l’occupation de l’Ouest d’Al Quds – Jérusalem) pour la défense de la mosquée Al-Aqsa avec sa chair nue, avec sa poitrine, avec ses femmes et ses enfants, comme nous l’avons vu hier. Mais à la fin, il n’y a plus de monde arabe, il n’y a plus de monde musulman… Vous leur dites « Al-Qods » (Jérusalem), ils répondent « la Syrie », vous leur dites « Palestine », ils répondent je ne sais où.
Eh bien, viendra le moment où ils imposeront un (nouveau) fait accompli à la mosquée Al-Aqsa, comme cela s’est produit par le passé au Tombeau des Patriarches : ils s’approchent et fomentent problème sur problème, jusqu’à ce qu’il y ait un accord disant que la moitié de la mosquée est pour les musulmans, pour qu’ils puissent y prier, et que l’autre moitié est pour les juifs. Et cela serait accepté aujourd’hui. Telle est la crainte aujourd’hui, avant même de parler de la destruction de la mosquée ou de la structure de l’édifice : (le risque principal est la) confiscation de la mosquée.
Eh bien, comment doit-on faire face à cela, que peut-on faire ? Cela demande une prise de position ferme, et j’y reviendrai brièvement à la fin de mon discours.
Mais la question qui se renouvelle pour le peuple palestinien après 65 ans, pour tout frère palestinien et toute sœur palestinienne, ce peuple endurant et combattant, sacrifié, noble, qui a supporté l’insupportable, l’abandonné, le délaissé, depuis des décennies, sur le dos duquel se font toutes les transactions, et qui a fourni des sacrifices considérables. Chacun peut se demander, après 65 ans, sur qui doit-on compter ? Sur ces dirigeants arabes ? Seulement parce que quelques noms ont changé, ou quelques formes, ou… quoi ? Sur quoi peut-on compter ?
Ou bien faut-il changer de perspective ? Oui, changer de perspective. Comme je le disais toujours, sortir des détails et regarder les choses de manière globale, du haut de la montagne. Sortons de notre intolérance, de nos haines, de nos animosités, de notre factionnalisme, de notre sectarisme, de notre intransigeance, etc., tenons-nous au sommet de la montagne, et considérons la situation. Demandons-nous où va la Palestine, où va le Liban, où va la Syrie, où va l’Irak, où va la Jordanie, où va toute notre région ? Et prenons ensuite la position la plus sage.
Bien entendu, au regard de la position pénible et affligeante des pays arabes, nous nous devons de mentionner le vote du Parlement jordanien [en faveur de l’exclusion de l’Ambassadeur d’Israël], et de le saluer avec le respect qui lui est dû. Quant à savoir si le pouvoir jordanien va répondre favorablement, je n’en sais rien, mais en des temps si difficiles, que le Parlement jordanien prenne une telle position est une avancée très encourageante et très forte.
Posted on juil 13, 2014 @ 8:03
Allain Jules