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26 décembre 2024

« Israël est la poursuite du colonialisme européen »


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11 août 2014

Nurit Peled est l’auteur du livre « Palestine dans les livres israéliens : idéologie et propagande dans l’éducation », publié récemment. Elle est également une des trois personnes, avec l’ambassadrice Leila Shahid et le regretté Ken Coates, à l’origine de l’initiative « Tribunal Russell sur la Palestine ». Au travers de son œuvre académique et de ses discours, Peled condamne la politique d’occupation israélienne et dévoile les mécanismes qui opèrent au sein de sa société. Interview réalisée par Alex Anfruns

 

– Certaines organisations palestiniennes définissent la situation actuelle comme une « Nakba » en cours, rappelant ainsi la Nakba de 1948 (en arabe, nakba signifie catastrophe), qui n’a en réalité jamais cessé. Comment est-ce que les Israéliens justifient cette attitude, 66 ans après la naissance de leur nation ?

- Ils la justifient sans cesse, en disant qu’ils empêchent « un plus grand mal ». Selon eux, il vaut mieux faire cela maintenant que de souffrir plus tard. Ce n’est pas typique d’Israël, cela se produit dans tous les pays, opprimer l’autre est toujours un moindre mal. On peut résumer cela ainsi : « C’est regrettable que des personnes doivent mourir, mais nous n’avons pas eu le choix ».

– S’agit-il d’une vision théologique ?

- Non, pas du tout. C’est totalement politique. Nous entendons cela tout le temps. Ici et ailleurs, en Occident, aux Etats-Unis… « C’est regrettable mais c’est comme ça. Nous devons le faire pour nous protéger ». C’est la raison qu’ils utilisent tout le temps.

– Dans la zone de Bethléem, on entend souvent parler de l’agressivité des colons envers les Palestiniens.

- C’est une déshumanisation complète. Les Israéliens, surtout les colons, traitent de la même façon toutes les personnes qui ne sont pas juives comme eux.

– D’un autre côté, en sortant de Jérusalem et en voyant ces jolies collines, on ne peut s’empêcher de constater qu’il y a beaucoup de terrains disponibles à l’intérieur d’Israël. Donc, pourquoi aller vivre à tout prix dans ces colonies, comme Efrat ?

- Parce que l’eau se trouve là. Les grandes réserves pour toute la région. Et ils veulent davantage de terres car ils veulent du pouvoir, obtenir le contrôle. Et ce n’est pas juste une question de terres car ce n’est pas cela qui manque. Il y en a, mais leur intérêt n’est pas de construire quoi que ce soit ici. La pauvreté à l’intérieur d’Israël est horrible. Personne ne s’en occupe. Et, de fait, elle constitue une motivation pour que les gens aillent dans les colonies. Là-bas, ils ne paient rien, tout est gratuit pour eux. Le transport, l’éducation, les magasins, et tout cela sans taxes. C’est un paradis pour eux. Un véritable Etat Providence. Ils obtiennent tout, et avec la meilleure qualité. En plus, ils ne produisent rien. Ces personnes viennent d’Ukraine par exemple, où ils n’avaient rien à manger. Ils arrivent dans les colonies et obtiennent un tas de choses. Pour sortir votre famille de la pauvreté, vous feriez n’importe quoi.

– Racontez-nous la situation de la gauche israélienne.

- Il ne reste pas grand-chose de cette gauche. Mais les gens restent actifs, il y a beaucoup d’organisations privées qui travaillent énormément, vous avez sans doute entendu parler d’elles, comme Bet’Selem, Breaking the Silence, Machsom Wwatch, Women’s Coalition, Yesh Din, Les Rabbins pour les Droits de l’Homme… Mais elles sont toutes privées, c’est-à-dire non financées par l’Etat. Ce sont grosso modo les mêmes personnes, quelques milliers. Il n’y a pas de forces politiques, sauf un parti. C’est insuffisant pour obtenir des voix. La situation en Israël n’est pas au beau fixe, l’économie est un désastre, la pauvreté est horrible, le chômage aussi… mais les gens ne font pas le lien logique. Personne ne relie cela à l’occupation et les colonies.

– Ne croyez-vous pas que beaucoup d’Israéliens soient au courant de la situation ?

- Non. La majorité de la population israélienne n’est pas consciente de ce qui se passe. Pas du tout. La plupart des habitants de la planète ne veulent rien savoir, qu’il s’agisse d’Israël ou de la Suède. Les livres en Suède par exemple reproduisent l’opinion sioniste, et c’est tout. On assiste à la même chose dans le monde entier.

– Pourriez-vous commenter la citation de Heneen Asharawi, membre du conseil législatif palestinien : « Nous sommes le seul peuple au monde auquel on demande de garantir la sécurité de son occupant, tandis qu’Israël est le seul pays au monde qui prétend se défendre de ses victimes »

- C’est la typique inversion des rôles, c’est toujours pareil. En Corée, en Turquie, c’est toujours le même topo. Les Américains se défendent … de qui ? De l’Afghanistan en passant par l’Iraq, c’est toujours la même histoire. Ils doivent présenter les choses de cette façon afin d’obtenir, au final, plus d’argent, de munitions, que la population rejoigne l’armée, qu’elle soit motivée… je ne crois pas que cela soit typique d’Israël. Souvenons-nous que les Allemands avaient peur des Juifs. Cette propagande n’a rien d’original.

– Il y a quelques années, des informations circulaient sur les manuels scolaires palestiniens, dans lesquels les Juifs seraient diabolisés, une propagande de ce genre. Mais lorsque l’on les examine, et qu’on se rend compte d’où provient ce matériel scolaire, on voit qu’en réalité ils sont produits dans un centre dont le siège se situe dans la colonie d’Efrat, qui s’appelle « Centre de Vigilance sur l’Impact de la Paix »…

- C’est horrible. Horrible. Ces études ont été présentées au Congrès des Etats-Unis. Ce Centre a obtenu un demi million de dollars pour chaque livre et Hilary Clinton a engagé le directeur de cette organisation comme conseiller personnel. Ce sont des fascistes, ils n’ont rien d’académique en plus, il n’y a aucun travail de recherche. En France, ce directeur, le professeur Yohanan Manor, est reçu partout. Ils racontent des bêtises. En revanche, les Palestiniens ne pourraient aucunement affirmer de telles choses même s’ils le voulaient. Ils sont tellement contrôlés et censurés par le Parlement Européen, le Ministre de l’Education Israélienne, l’armée israélienne, le Danemark, et par la Banque Mondiale qui lui donne de l’argent, par le Japon… que les Palestiniens ne pourraient pas, même s’ils le voulaient, être offensants ou racistes. C’est un mensonge, car on ne leur permet même pas d’écrire au sujet de leur propre nation, de leur propre Nakba, de leur propre culture. On ne leur permet même pas d’écrire quelque chose sur eux-mêmes dans leurs livres.

– Mais la plupart des gens sont encore vulnérables face à ce type de discours, surtout dans les pays occidentaux. Du fait de cette inversion des rôles, ils ne savent pas quelle est la vérité sur la Palestine. Et ces « études » faites sur les colonies israéliennes affirment grosso modo que les Palestiniens apprennent à leurs enfants à détester les Juifs…

- Il n’y a pas besoin d’enseigner quoi que ce soit lorsqu’on vit dans le camp de réfugiés d’Aida… De toute façon, ce n’est pas vrai car c’est impossible. Les Palestiniens ne pourraient pas le faire, même s’ils le voulaient (par contre, les livres scolaires israéliens, eux, le font). C’est intéressant, ce qui est raconté dans les livres palestiniens car les Israéliens n’y sont même pas vus comme des ennemis. Les ennemis sont les Britanniques, l’Europe, parce que ce sont eux qui ont commencé le colonialisme, et Israël est très marginal pour eux, ce n’est que la poursuite du colonialisme. Ils ne présentent pas Israël comme « la grande force », du tout. C’est l’Europe. C’est cela qui leur est enseigné : « Ils ont offert une terre qui ne leur appartenait pas à des gens qui ne la méritaient pas, et ils ont choisi la Palestine ». Dans ces livres, Israël occupe une place marginale.

– Pouvez-vous nous dire comment votre livre « Palestine dans les livres israéliens : idéologie et propagande dans l’éducation » a été reçu dans la société israélienne ?

- Les Israéliens ne l’ont pas lu. En dehors du pays, il a reçu d’excellentes critiques, tandis qu’ici, peut-être une seule, mais sans le moindre impact, il n’y a pas d’universitaires qui le prennent en compte, au contraire. Mes collègues ne s’y intéressent absolument pas. En fait, ils font ce qu’ils peuvent pour faire interdire ce livre et me réduire au silence.

– Que pensez-vous de l’omniprésence du discours religieux en Israël ?

- C’est une manipulation, cela a toujours été le cas. Les Allemands l’ont fait, ainsi que les Espagnols en particulier. L’utilisation de la religion s’explique par son énorme pouvoir de persuasion, puisqu’on peut utiliser la religion pour quoi que ce soit, on peut tout y trouver, afin de justifier le meilleur et le pire. Cela n’a rien d’original. Mais le sionisme a très bien appris de ses prédécesseurs.

– Il semble que les leaders politiques et les grands médias font en sorte de présenter chaque conflit au Moyen Orient sous une approche de type religieux car cela sert à consolider leurs projets et l’idée d’un « choc de civilisations »…

- Oui, car cela sert à recruter le peuple juif de par le monde, affirmant que l’ensemble des nations arabes est contre l’ensemble de la population juive… ce qui est faux, parce que les Juifs présents dans les pays arabes vivaient très bien avec les musulmans. Mais tout cela est politique, vous le savez. C’est de la manipulation. Cela se passe en Iran, en Arabie Saoudite, en Malaisie, où que vous alliez. Qu’il s’agisse d’Islam, de Chrétienté, ou de Judaïsme, c’est toujours la même chose. En Inde, au Pakistan, c’est pareil. C’est une arme excellente, très efficace.

-Cela a toujours été comme ça en Israël ? Ou avant c’était une société laïque ?

-C’était une société plutôt laïque. La vie est difficile et les gens se réfugient dans la religion, c’est quelque chose qu’on observe partout dans le monde. Lorsque la vie est dure, que faire ? Se réfugier dans la religion. C’est un très bon abri face aux problèmes.

– Historiquement, la religion a fait l’objet d’un autre usage également. Surtout dans le cadre de la théologie de la libération en Amérique Latine, où les curés n’étaient pas d’accord avec les aspects rituels de l’église, comme la messe, mais ils voulaient récupérer le message originel de la défense des pauvres, y compris aux moyens d’une lutte armée.

- Ici nous avons une organisation, « Rabbins en faveur des droits de l’homme », et ce sont les meilleurs. On peut tout trouver dans la religion, c’est comme une ferronnerie, quelque chose qui peut ennoblir quelque chose d’autre. La laïcité telle quelle n’a jamais rien démontré de grand, elle ne tient pas la route. Pas même en Russie : tout le monde a été à l’église le jour qui a suivi l’éclatement du bloc de l’Union Soviétique. La religion est « la force » et les politiciens l’utilisent, bien entendu. Ils utilisent n’importe quoi. Mais ce que nous avons ici, ce n’est pas un conflit religieux, ce n’est même pas un conflit, car les deux parties ne sont pas à armes égales. C’est une occupation qui se poursuit éternellement. Il n’y a pas de véritable conflit ici. Il y a la Nakba, un « sociocide », un ethnocide, on peut l’appeler comme on veut, mais ce n’est pas un conflit.

– L’état d’Israël a tenté de faire passer une loi pour recruter les personnes religieuses, ultra orthodoxes, dans l’armée. Et ils ont également fait quelque chose de similaire afin de recruter les Palestiniens de confession chrétienne en Israël, il y a ces deux initiatives simultanées, qui semblent être une réaction au geste de l’Autorité Palestinienne qui élimine la référence religieuse dans les carnets d’identité…

- Ils ne réussiront pas, on ne peut jamais vaincre avec les ultra orthodoxes… c’est une fois de plus une manipulation politique due au fait que certaines personnes sont scandalisées qu’ils ne fassent pas leur service militaire. Et alors ? Ils ne travaillent pas non plus et ne paient pas non plus de taxes.

– Il y a beaucoup d’ultra orthodoxes ?

- Non. En tout et pour tout, les personnes religieuses forment 30% de la population. Parmi ces 30%, peut-être que les ultra orthodoxes composent 5%. Ce n’est pas un grand problème. Ils veulent utiliser ce sujet pour faire semblant que « tous sont égaux en droits et en devoirs »… C’est très bien, mais les personnes religieuses ne se laissent pas embobiner. Pour elles, l’Etat d’Israël est aussi mauvais que n’importe quel régime, voire pire, puisqu’il est juif. N’importe quel type d’Etat est un crime pour eux, mais ici il faut attendre le Messie, et non avoir un Etat laïc. De toute façon, qu’il s’agisse d’un Etat dominé par les Romains, les Grecs, les Britanniques ou les sionistes, pour eux, ça ne change rien. Ils s’opposent au régime de toute façon.

– Donc ils sont plutôt antisystème en réalité…

- Oh que oui, bien entendu, ils sont totalement antisionistes. Ils ont plusieurs leitmotiv : « être sioniste ça ne veut pas dire être juif », « un Juif n’est pas un sioniste »… Ils ne ressentent pas d’affiliation particulière avec les personnes d’ici, ils prennent juste ce qu’ils peuvent, ils veulent juste faire exploser ce régime. En ce qui les concerne, nous pouvons aller tous autant que nous sommes en enfer dès demain. Personne ne peut gagner contre eux. Ils n’iront pas à l’armée, ne vous inquiétez pas. Certains l’ont fait et ils reviennent encore plus cruels une fois revenus. C’est pour cela qu’on veut les enrôler, parce qu’ils sont horriblement cruels, parce que, pour eux, un Arabe est un animal, un sacrilège, il devrait mourir. Un Arabe, c’est pire qu’un animal. Pas pour tous, juste pour ceux qui vont à l’armée. C’est très facile de les utiliser pour n’importe quel objectif, tout comme les colons.

– Pourriez-vous nous expliquer cette focalisation devenue traditionnelle des Israéliens sur l’antisémitisme ? Comment abordent-ils ce sujet ? C’est une sensation étrange, on dirait que l’augmentation de l’antisémitisme dans un futur proche en Europe, finalement, c’est quelque chose de bon pour Israël.

- Bien entendu. C’est très bon pour eux. Enfin, ce sont eux qui le propagent, ils l’amplifient énormément : « Toute personne non juive est antisémite. Pour cette raison, nous n’appliquons pas les décisions internationales et le droit international, car ils ont été créés par des non juifs qui étaient antisémites ». Le droit international, ils n’en ont rien à secouer.

– C’est un peu bizarre de voir quelqu’un comme Bernard Henry-Lévy qui soutient les manifestants d’extrême droite en Ukraine, les faisant passer pour des combattants de la liberté, tout comme en Libye…

- Ils sont fort racistes, fort antisémites. Mais Israël coopère également avec d’innombrables organisations fascistes.

– C’est également intéressant de se souvenir des relations entre Israël et l’Afrique du Sud.

-Oui, en effet. Israël a totalement soutenu l’apartheid. Complètement. Il a fourni son soutien à tous les régimes tyranniques : en Afrique du Sud, en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique… Idi Amin est venu ici pour apprendre des méthodes de torture et on lui a fourni tout ce dont il avait besoin. Même le Shah d’Iran, qui a fait tout ce qu’il pouvait pour Israël. Toutes ces personnes. Et en Amérique du Sud, Israël a toujours soutenu les tyrans. Toujours. Ils n’ont jamais défendu les droits de l’homme.

– Malheureusement, il y a beaucoup d’Etats comme ça, pas seulement Israël. Ils sont surtout intéressés par la vente d’armes…

- Oui, bien entendu. L’Angleterre et les Etats-Unis assassinent toujours les gentils. Même en Iraq.

– Certains leaders locaux de la stratégie de la résistance non-violente affirment qu’à travers la non-violence, l’armée israélienne, avec tout son armement, est incapable de les vaincre.

- Les Palestiniens ont énormément d’espoirs, ils sont optimistes, positifs, ils résistent malgré tout. Mais l’armée continue à les opprimer : ils arrêtent des enfants pour des lancers de pierres.

– Que peut-on faire ?

- Le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions), surtout. Empêchez que les politiciens et militaires israéliens viennent dans votre pays. Ne laissez pas les artistes jouer, ni les footballeurs. N’achetez pas de produits israéliens. Toutes ces choses effraient beaucoup Israël. Le BDS fait vraiment peur à Israël.

Source : Publico.es (9.8.2014)

Traduction : Sanfelice

 


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