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25 novembre 2024

La capitulation de BNP-Paribas


Les défis de l’Europe

La capitulation de BNP-Paribas
L’âme de l’Europe et l’esprit de justice

Manuel de Diéguez

Manuel de Diéguez

Samedi 23 août 2014

1 – Regardez la lune, non le doigt qui vous la montre
2 – Un phare de la géopolitique

3 – Une énigme
4 – Repentance et pénitence
5 – Panorama de la vassalité
6 – Le vassal de la démocratie mondiale
7 – La balance à peser la condition humaine
8 – De la souveraineté des Etats
9 – L’amont et l’aval
10 – Les valets de l’histoire
11 – Les Etats à double casquette
12 – L’âme de la justice
13 – De la hauteur d’esprit des Etats souverains

Post-scriptum

 

1 – Regardez la lune, non le doigt qui vous la montre

Depuis 1989, une seule évidence, mais aussi titanesque qu’aveuglante, écrase la scène internationale – l’accession pourtant provisoire des Etats-Unis d’Amérique au rang d’un empire militaire à vocation mondiale. Je ne m’étonne en rien de ce que notre espèce se range massivement sous le sceptre éphémère de la puissance dominante du moment et lui prête allégeance sans seulement y penser, tellement l’attirance qu’exerce le lion sur tous les autres animaux de la jungle paraît légitime aux yeux peuples et des nations. Comme l’a écrit le fabuliste, « La raison du plus fort est toujours la meilleure ».

En revanche, je m’étonne de ce que, dans les démocraties dites rationnelles, des milliers de dirigeants élus au suffrage universel, donc censés informés du chemin à faire suivre aux Etats et initiés à la conduite des affaires du monde par une sagesse populaire pilotée en amont par la déesse Liberté, des milliers de dirigeants, dis-je, voient des régiments d’intellectuels chevronnés leur emboiter le pas. Tout le monde croit s’occuper de politique dans la pleine acception de ce terme, alors que chacun jette un regard distrait à la brousse dont l’étendue bouche l’horizon. Et pourtant, un général qui soustrairait à sa vue le champ de bataille sur lequel on lui demande de gagner la guerre se rendrait coupable d’abandon de poste et serait fusillé pour haute trahison. C’est pourquoi Charles de Gaulle disait à ses ministres qu’ils étaient l’œil du quartier général de la France et qu’il positionnait ses sentinelles du sommital sur tels ou tels arpents.

2 – Un phare de la géopolitique

Pourquoi, dans ces conditions, évoquer comme un phare de la géopolitique la dette fantastique infligée à la BNP Paribas par une puissance étrangère et avec la complicité du chef de l’Etat? Ne vaudrait-il pas mieux évoquer le drame de Gaza, les sanctions économiques réputées frapper la Russie en plein cœur, la contre offensive foudroyante du Kremlin, le drame de l’Ukraine, où les Etats-Unis entendent s’implanter afin d’étendre leur empire de l’Océan au Caucase? Mais le sort de ce soleil de la finance éclaire d’une lumière éblouissante la descente accélérée aux enfers de la France et de l’Europe.

De plus, nous n’en sommes qu’au deuxième ou au troisième acte de la tragédie en cinq actes de la chute de l’Occident dans l’abîme: car la plus grande banque française est devenue, de facto, une entreprise américaine. Son service de sécurité financière se trouvera entièrement transféré aux Etats-Unis. Cet Etat étranger installera des fonctionnaires du Ministère américain de la Justice au cœur même de Paribas, dont ces administrateurs contrôleront les activités. Ils auront accès à l’ensemble des opérations. C’est précisément afin de préparer cette mainmise sur le système bancaire de la France que Washington a obtenu le limogeage de tous les hauts responsables de la banque censés coupables de montages financiers « frauduleux« , parce que conclus en dollars.

3 – Une énigme

C’est dire qu’il sera demandé aux historiens de demain de résoudre une énigme indéchiffrable en apparence: car ils auront beau se visser la loupe à l’œil et scruter les virgules des archives, jamais ils ne s’expliqueront à ce compte que M. Hollande, qui avait enfin – à l’occasion de la commémoration solennelle du soixante dixième anniversaire du débarquement du 6 juin 1944 sur les plages de Normandie – que M. Hollande, dis-je, ait su donner à la Russie la place qui lui revenait de longue date dans l’histoire du monde, pour tourner subitement le dos à Moscou et capituler en rase campagne par crainte des représailles de Washington.

Mais le défi le plus énigmatique, pour la science historique de demain, est celui que Mme Merkel avait lancé à Washington. Ne menaçait-elle pas de rompre les négociations sur le traité de libre échange chargé de la déglutition de l’Europe par l’économie d’outre-Atlantique? Quant à M. Renzi n’avait-il pas avancé flamberge au vent? Ne se promettait-il pas d’armer la Commission de Bruxelles d’une charpente politique? Or, tout ce petit monde a soudainement tourné casaque sur tous les fronts et déclaré une guerre industrielle totale à la Russie. Pour expliquer une volte-face aussi ahurissante, à quel discours de boxeur Washington a-t-il recouru et quelles menaces militaires et économiques a-t-il brandies sur le ring? Si vous observez ce spectacle par le trou de serrure de Paribas, je vous assure que vous ne quitterez pas d’une semelle le quartier général des opérations. Petites causes, grands effets – mais, attention, ne cessez pas un instant d’observer le paysage à la jumelle.

4 – Repentance et pénitence

Observons au télescope le monopole cérébral qu’exerce la denture du roi de la jungle sur les gambades des autres animaux. Dans une lettre de pénitence fort piteuse et adressée nommément à tous ses clients ébahis, mais rendus craintifs par leur crédulité, le directeur des relations humaines de Paribas, en pilote agrippé au gouvernail d’un géant de la finance mondiale, a dû confesser à la terre entière la gravité du péché qui a incommodé les narines de la justice démocratique mondiale. Quel forfait, assurément, que d’avoir osé « contourner » la loi! M. Bonaffé, a écrit aux plus microscopiques de ses clients: « La BNP a reconnu sa responsabilité et devra s’acquitter d’une pénalité de 8,97milliards de dollars« .

Jamais encore l’humanité n’avait pu observer simultanément et sur les planches de la planète entière une capitulation aussi théâtrale de tous les gouvernements et de tous les appareils de la justice des Etats qualifiés de souverains devant la force musculaire ostensiblement affichée du lion américain! Quelle vaste scène que celle du fauve à crinière lâché dans la brousse de la Démocratie mondiale! Depuis la nuit des temps, l’histoire proclame que le lion rugit à pleins poumons les volontés carnassières de ses mâchoires; et toutes les bêtes soumises aux crocs de cet ange de la Liberté rampent sur le sol purifié par sa loi et par la flamme de sa justice. Il aura suffi à la Maison Blanche de planter ses ongles sur trois Etats censés souverains – le Soudan, Cuba et l’Iran – mais placés sous les pattes d’une législation américaine dont la vocation pénale se veut universelle pour que toutes les nations de la mappemonde se prosternent devant son pelage. Qu’est-ce qui précipite le globe terrestre la face contre terre et le front dans la poussière devant le sceptre de la justice sans appel du lion?

5 – Panorama de la vassalité

Observez avec attention le lien que la piété démocratique du simianthrope tisse, primo, entre la responsabilité vertueuse et la culpabilité des paquebots de la finance, secundo, fixez ensuite votre regard sur la courroie de transmission entre la désobéissance des monstres bancaires et le prix qu’il leur faut payer pour le sauvetage de leur coque, remarquez, tertio, la chaîne qui rattache le châtiment infligé aux Titans marins au tirant d’eau de leur carène. Seuls le poids et le degré de remplissage du coffre du roi des Océans permet aux serviteurs du lion d’extorquer aux hérétiques le fabuleux montant de l’amende qui leur sera facturée, seuls les trésoriers avides du roi des Océans tiennent la balance de la justice universelle entre leurs mains. C’est dans un style para-confessionnel, apostolique et copié sur celui des châtiments éternels dont l’Eglise du Moyen-âge brandissait le sceptre que l’accusé rédige l’aveu public de sa culpabilité: « Les opérations en cause« , plaide le coupable, « auraient été licites au yeux de la règlementation française et européenne, mais elles ont été conclues en dollars et se trouvent donc sanctionnées par les autorités des Etats-Unis. »

Autrement dit, le fauve de la Justice du monde a donné de la voix dans la brousse du temporel et ses rugissements ont anéanti en un instant et dans tout l’univers non seulement la légitimité des droits nationaux autrefois validés jusque dans la jungle de la finance mondiale, mais également la législation entière d’un continent européen tétanisé par le roi des carnassiers à crinière.

6 – Le vassal de la démocratie mondiale

Ecoutez la voix de votre juge, écoutez-la dans l’humilité et dans l’obéissance, prêtez, malandrins que vous êtes, une oreille attentive aux verdicts du tribunal de la démocratie mondiale: vous êtes coupables de « défaillances inadmissibles« . Vous avez « contourné » par la ruse, donc violé en cachette les oracles jaillis tout saignants des griffes de votre monarque, à savoir les « règles américaines« .

Du coup, Paribas exprime sur la place publique et par la voix de l’un de ses capitaines, non seulement la repentance de la banque vaincue par ses propres dévotions à l’égard d’une fourrure, mais également les « promesses de son baptême« , comme disait Jean-Paul II, et ses convictions doctrinales demeurent intactes, dit-elle – l’épreuve a raffermi sa foi et rendu sa fidélité plus inébranlables que jamais. L’établissement a si bien retenu la leçon du catéchète du monde qu’il deviendra un justiciable exemplaire et soumis pour toujours à la juridiction suprême de Washington. Non, dit M. Bonaffé, la banque ne saurait retomber dans le Mal, puisqu’elle jure, la main sur le cœur, qu’on ne saurait la soupçonner d’une tentation de rechuter dans la désobéissance. Les aveux de l’atlantiste assermenté se métamorphosent en validation des « valeurs« , donc des dévotions inscrites dans le bréviaire des fidèles: « Nous avons pris la décision que ces problèmes ne se reproduiraient plus. » Notre Père américain qui êtes au ciel, pardonne-nous nos offenses…

7 – La balance à peser la condition humaine

Comment la justice souveraine du lion et la piété penaude des adeptes d’un droit international censé exprimer la conversion définitive du monde à la pénitence démocratique feront-elles bon ménage? L’Europe vivra-t-elle jour après jour sous la férule d’un confesseur universel du Beau, du Bien et du Juste? Jamais les foudres et les fulminations du ciel du Moyen-Age n’avaient égalé l’omnipotence des confesseurs de l’Eglise de la Liberté.

Litanies et complaintes, montez du troupeau des ignorants. « Que vous soyez commerçant, artisan, profession libérale, entrepreneur ou dirigeant d’entreprise, vous n’avez rien à craindre à titre personnel. » Mais que les sujets du monarque de la brousse se trouvent à l’abri de ses mâchoires, est-ce une nouvelle tellement rassurante, si de leur côté, les Etats autrefois souverains du Vieux Monde se sont, eux aussi, mis un sac de cendres sur la tête? Et puis, un étranger armé jusqu’aux dents peut-il terrifier toutes les nations de la terre sans que la multitude des citoyens ne soient concernés par la lâcheté de leur patrie? Si votre maigre escarcelle se sera mise à l’abri du pillard, vendrez-vous les droits de votre conscience nationale pour une soupe aux lentilles?

Certes, M. Bonaffé est un navigateur non seulement dûment autorisé, mais rudement prié par l’Elysée et par le Quai d’Orsay de transmettre aux Français les directives d’une puissance étrangère. Mais si ce capitaine au long cours est légitimé à servir d’intermédiaire aux vassalisateurs de la France, qui l’absoudra d’anéantir, en retour, la souveraineté et l’indépendance de son pays ? Les lois nationales ne sauraient se proclamer équitables si elles sont condamnées à se soumettre pieds et poings liés aux verdicts d’une législation assujettie aux intérêts d’une puissance ennemie.

Les directeurs chevronnés des plus grandes banques du pays sont-ils devenus de simples majordomes du roi de la jungle? L’Elysée et le Quai d’Orsay sont-ils les maîtres de maison d’une valetaille à laquelle ils donneraient l’ordre de garnir la table du roi des animaux? Quaestio disputata, disait-on dans les amphithéâtres où les théologiens d’autrefois délimitaient, au nom de leurs bénitiers, l’étendue et les limites des droits sur leur tête qu’ils accordaient pieusement à leur Créateur? Mais si les Sorbonne d’autrefois dressaient des clôtures infranchissables entre les territoires respectifs du ciel et ceux de la terre, les ostensoirs d’aujourd’hui ne règnent-ils plus que sur les ciboires de la démocratie?

8 – De la souveraineté des Etats

La capitulation de centaines de milliers de petits déposants de leurs économies dans les coffres de la plus puissante banque du pays ne tombera pas sans bruit dans le gousset d’une histoire de la vassalisation financière de la France et de la civilisation européenne sous le sceptre du dollar. Rappelons quelques difficultés de trésorerie qui feront, d’un fait divers, un déclencheur géant de la fatalité; et observons le travail de sape qui a porté l’assujettissement de l’Europe de l’anecdote à la tragédie.

Pour agrémenter de dentelles précieuses et de broderies dorées une servilité parée des frou-frou de la Liberté, la première difficulté pratique que présentera le nettoyage de ces salissures sera d’observer comment un gouvernement de couturières des haillons de la République aura contraint une partie considérable de sa clientèle à soumettre à la surveillance et au contrôle d’une puissance étrangère la gestion de sa garde-robe en lambeaux; car un gouvernement livré à ce type d’économies vestimentaires ne saurait se prétendre au service d’un Etat, tant aux yeux d’un droit international sourcilleux au chapitre de la définition de la souveraineté des Etats que des règles constitutionnelles qui régissent les institutions réputées démocratiques.

Comment sauver la crédibilité juridique de l’alliance traditionnelle, au sein de tous les Etats reconnus, de l’autorité des lois établies avec le culte de l’autarcie de leur appareil de la justice? On sait que la crédibilité des tribunaux est nécessairement connaturelle à celle des gouvernements légaux et qu’elle se trouve imposée à la confiance des peuples qualifiés de libres. C’est dire que si la fiabilité judiciaire se place nécessairement au fondement de l’autorité législative, donc au cœur de tous les pays proclamés républicains, c’est que l’indépendance des nations modernes repose sur un suffrage universel censé le garant de la raison publique. C’est dire également que le peuple se trouve humilié par le spectacle de l’abaissement partagé de sa propre voix et de celle de ses élus sur la scène internationale.

9 – L’amont et l’aval

Seconde difficulté constitutionnelle et d’exécution: comment un Etat condamné au grand jour à placer son escarcelle sous le joug des décisions de justice d’un autre Etat disposerait-il encore des apanages et des prérogatives dont se réclament les nations qualifiées de souveraines par la voix généreuse ou récalcitrante du jus gentium? Comment cette aporie ne se révèlerait-elle pas étroitement connaturelle à la première – mais à cette nuance près que, cette fois-ci, il s’agit du rang d’un Etat aux yeux de ses pairs?

On l’a compris à l’occasion des difficultés internes que la livraison des Mistral à la Russie n’a pas manqué de rencontrer: depuis quand un Etat souverain se permet-il de « faire pression » sur un voisin du même calibre que lui aux fins qu’il cesse d’entretenir telles ou telles relations militaro-industrielles sur la scène internationale avec un troisième acteur du monde? Que Washington s’y autorise répond à la logique interne qui sert de moteur à l’expansion calculée des empires; mais que l’Angleterre et l’Allemagne aient pu se joindre un instant à cette curée verbale en dit long sur l’affaiblissement durable de la souveraineté de la France sur la scène internationale.

Mais comment un Etat dont le système bancaire se met à la merci des rapaces d’un autre Etat serait-il respecté? On voit que le scénario a déjà déplacé son récit: l’Allemagne et l’Angleterre ne sont plus souveraines au sens plénier du terme, et c’est précisément en tant qu’elles sont devenues infirmes et boiteuses à leur tour qu’elles ont tenté de frapper un éclopé à terre. La simianthropologie révèle que les naufragés de l’histoire ne courent pas au secours des survivants un peu moins mal lotis qu’eux-mêmes, mais qu’ils aident leur maître à les noyer à leurs côtés, parce qu’un désastre paraît moins calamiteux s’il se trouve partagé et ne fait du moins pas de jaloux. C’est pourquoi, dans les décadences, les esclaves tombent à bras raccourcis les uns sur les autres et enfoncent sous les eaux les nageurs trop lents à suffoquer.

Un anthropologue qui, un siècle et demi après Darwin, ne porte pas encore un regard de l’extérieur sur les évadés de la zoologie souffre d’une panne cérébrale préoccupante. Comment se fait-il que l’Allemagne et l’Angleterre se soient hâtées d’emboiter le pas au défaitisme d’une France devenue reptative ? Comment se fait-il que, le 24 juillet, le Monde titrât encore: « Le chef d’Etat tient à livrer ce navire de guerre à Moscou. Mais depuis la crise ukrainienne, ses partenaires occidentaux le pressent de renoncer à ce contrat négocié par Sarkozy. »

Ce spectacle contraint l’anthropologie critique à explorer l’inconscient politique de la bête gisante à terre ou encore sur ses deux jambes. Dans les deux positions, on affecte de s’imaginer que la question demeurerait gentiment négociable, alors qu’il s’agit d’escamoter l’impossibilité politique, pour un Etat souverain, de capituler sous la pression des mimes de sa propre servitude. Mais que la vassalité d’un Etat puisse aller jusqu’à envisager au grand jour et dans la honte d’une rivalité entre des serfs de ne pas honorer des contrats solennellement conclus avec un autre Etat -et cela pour des raisons censées ressortir au seul marché du travail – voilà qui soulève la question vitale d’une souveraineté nationale d’ores et déjà interdite de parole. Comment le comprendre en aval, si vous ne disposez d’aucun regard situé en amont?

10 – Les valets de l’histoire

Une nation battue à plate couture sur le champ de bataille et qui voit les troupes de l’ennemi victorieux quadriller son territoire soulève du moins la compassion de ses pairs, parce que le « champ d’honneur« , comme on dit, demeure ouvert à la loyauté des combattants, et cela d’autant plus, hélas, que la divinité de l’endroit – toujours proclamée unique – se voit néanmoins appelée à bénir les deux armées et à illustrer leurs exploits dans un camp comme dans l’autre. Aussi demeure-t-il digne d’une nation monothéiste – donc fière de l’universalité d’une justice copiée sur celle du ciel – de se faire reconnaître avec le plus grand éclat sur le théâtre de sa théologie des sacrifices à la patrie. Mais comment un pays en délicatesse avec les trois dieux uniques et tétanisé par la lâcheté du consentement des démocraties actuelles à l’amputation de leur indépendance judiciaire, comment un tel pays, dis-je, pourrait-il éloigner de ses lèvres le poison qui, depuis trois quarts de siècle, vassalise une classe dirigeante européenne en déroute?

A l’origine des naufrages de l’été, ne faut-il pas placer la question des guichets de Paribas? Car, d’un côté, les élites politiques de la France se placeront sans cesse davantage sous le harnais de leur infirmité et s’auto-assujettiront de plus en plus sous la bride de leur suzerain d’outre Atlantique, tandis que, de l’autre, elles porteront avec une ostentation accrue la perruque frisée d’une démocratie réelle. Mais un estropié ne saurait se faire applaudir longtemps sur les planches.

Du coup, il affectera de cacher son infirmité aux yeux du public; et il se donnera une allure plus impérieuse encore dans l’arène du droit international, comme on l’a vu en Irak où une France mise à terre tente de jouer les supplétifs avec autant de ridicule qu’en Syrie. Mais un Etat condamné à se présenter sous le double accoutrement d’un avocat de sa propre servitude et d’un défenseur de sa souveraineté à la barre du tribunal dont j’évoquerai plus loin les verdicts, un tel Etat présente non seulement des plaies béantes sur la scène des nations, mais des vêtements troués et déchirés.

11 – Les Etats à double casquette et les âmes de comptoir

Observez les tenanciers en loques des Etats à double casquette et dont l’étranger achète en sous-main des lambeaux : jamais des juges intègres et habilités à trancher de la vaillance des nations ne les absoudront, parce que leur capitulation est à mettre au compte de la couardise des âmes de comptoir. Pourquoi les défaites de valets ne soulèvent-elles jamais la pitié, sinon parce que seuls les échecs de la droiture d’esprit trouvent grâce aux yeux du tribunal de la postérité? Malheur aux vaincus qui se seront déshonorés pour avoir placé leur encéphale sous le joug des verdicts de leur vainqueur!

Mais, encore une fois, comment expliquer que la simplicité d’esprit des Européens aille jusqu’à leur faire croire que les bases militaires américaines présentes sur leur territoire seraient casquées pour les beaux yeux de la déesse Liberté, comment expliquer que l’empire américain parvienne, l’arme au pied, à élever l’Ukraine au rang de pôle d’une expansion militaire réputée mondiale du Kremlin, comment expliquer qu’une amende de neuf milliards d’euros convainque les vassaux au grand cœur qu’il est juste de piller leur caisse, sinon parce que la cervelle des évadés de la zoologie s’est enfumée des vapeurs du Bien et du Mal?

Et pourtant, une France coupable de vassalité parathéologique sous les dehors de sa pleutrerie monétaire n’est pas le radeau de la Méduse dont les civilistes disent que les naufragés bénéficient du statut d’un « état de nécessité » – lequel va jusqu’à les délivrer de la condamnation pénale pour cause d’anthropophagie. Mais l' »état de nécessité » d’une France atteinte seulement de cécité atlantiste ne sauvera pas l’honneur de la nation au prix de quelques milliards jetés dans la bourse de son maître.

12 – L’âme de la justice

Un Etat qui aura rendu les armes au profit d’un pilleur de son gousset, un Etat vissé à l’établi de ses piétés pseudo-démocratiques, un Etat qui aura condamné toute sa population à proclamer vertueux un créancier sans scrupules, un Etat qui versera sans vergogne et l’échine basse une somme colossale à un justicier enrubanné des dévotions du profitable, un Etat qui aura accepté, les mains jointes, qu’un procureur étranger joue les moralisateurs internationaux au profit de sa propre cassette, un Etat qui aura joué docilement le rôle d’accusé sans seulement avoir récusé son juge à haute et intelligible voix, un Etat aux caves vidées de leur or et qui, à l’audience, aura quémandé la grâce d’un tribunal irrégulier, un tel Etat se montre moins validable sur les planches du ridicule que celui de Vichy sur les planches de la défaite militaire.

Pis que cela: au même instant et pour la première fois, on aura entendu le chef d’un gouvernement européen enchaîné à son vainqueur depuis 1945, celui d’une Italie peuplée de plus de soixante millions d’habitants, mais quadrillée par cent quarante places fortes américaines incrustés à perpétuité sur son territoire, on aura entendu, dis-je, une Italie menottée à jamais dans le prétoire appeler le Vieux Monde à « retrouver son âme« . Où était-elle donc passée? Une civilisation coiffée des auréoles de la démocratie peut-elle égarer non seulement sa bourse, mais jusqu’à son âme en chemin? Qu’adviendra-t-il des Européens à la recherche de leur âme s’ils l’ont perdue à force de brandir, de Hambourg à la Sicile, le drapeau d’une Liberté dont leur vainqueur tiendra éternellement la hampe à leur place?

13 – De la hauteur d’esprit des Etats souverains

Ecoutons en premier lieu le jeune chef de gouvernement qui nous rappelait, au début de l’été, que l’âme d’une civilisation est mortelle et qu’elle peut rouler dans l’ornière; puis observons les plateaux de la balance à peser l’idée supérieure que les Etats se font d’une justice dont le fléau indiquerait le poids de l’intelligence, de la raison et de l’éthique d’une nation redressée. Quelle fragilité que celle de la balance qui enregistre les messages et quelquefois les prophéties de la vraie justice de l’humanité!

Une France qui condamne ses vigies à poser sur les plateaux de Thémis la seule question décisive, celle de l’âme de leur pays, une France des sentinelles et qui aura osé dire un instant, aux côtés de M. Renzi, que l’humanité éveillée se reconnaît à l’esprit de justice qui lui donne son élan et son souffle, une France qui aura crié par la voix d’un Romain que l’Europe a perdu son âme, une France de la raison et de la logique qui attisent le feu de la pensée mondiale depuis deux millénaires, une telle France peut-elle reconnaître son effigie d’autrefois dans le miroir d’un Etat sali et avili sur la scène internationale et qui aura perdu l’âme dans laquelle l’esprit de justice trouvait son assiette?

Pour tenter de le comprendre, je me demanderai, la semaine prochaine, quelles sont les relations que les civilisations supérieures entretiennent avec leur âme et comment il se fait que leur génie propre s’exprime toujours et nécessairement par la voix de leur justice..

Post Scriptum

J’écrivais le 25 juillet .

A partir de cette date, et compte-tenu qu’on ne luttera efficacement contre le naufrage de la langue française que si le Président de la République et le Premier Ministre se voient directement mis en cause, je relèverai quelques-unes de leurs fautes.

M. Manuel Valls 1 confond aussi et ainsi. Aussi demande l’inversion, ainsi l’exclut. On dit: Ainsi nous sommes satisfaits.

2 – M. Hollande ignore que le verbe impulser n’est pas français.

Le 23 août 2014

Reçu de l’auteur pour publication

 

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