Le boom de l’industrie de guerre en Israël : les armes sont testées à Gaza »
23 août 2014
Le boom de l’industrie de guerre en Israël : les armes sont testées à Gaza »
: entretien avec l’économiste israélien Shir Hever
« Le boom de l’industrie de guerre israélienne : on vend déjà les armes testées à Gaza »
Par Chiara Cruciati, pour Il Manifesto, journal communiste italien
Entretien avec l’économiste israélien Shir Hever
Traduction MA pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Pas de trêve, l’offensive continue. L’industrie de guerre israélienne publique et privée fait déjà chauffer les moteurs : la nouvelle opération meurtrière contre Gaza portera avec elle une explosion des ventes d’armes. Cela a déjà été le cas avec Plomb durci et Pilier de défense. Certaines entreprises signent déjà des contrats à plusieurs millions d’euros. Comme toujours, Israel teste d’abord puis vend. Entretien avec Shir Hever, économiste israélien et expert des aspects économiques de l’occupation.
Israel est un des premiers exportateurs d’armes dans le monde. Après l’opération de 2012, les ventes ont atteint les 7 milliards de $. Cela sera la même chose avec Bordure protectrice ?
L’industrie militaire israélienne est un des secteurs les plus importants, 3,5 % du PIB auquel il faut ajouter 2 % de ventes intérieures. Israel n’est pas le plus grand exportateur d’armes au monde, mais le premier en termes de nombre d’armes vendues par citoyen, par tête. L’industrie militaire a une énorme influence sur les choix du gouvernement. Après chaque attaque contre Gaza, sont organisées des expositions où les compagnies privées et publiques présentent les produits utilisés et testés sur la population gazaouie. Les acheteurs ont confiance parce que ces armes ont démontré leur efficacité. Cette guerre augmentera significativement les profits de l’industrie militaire. Il suffit de penser qu’il y a quelques jours l’Industrie aérospatiale israélienne a lancé un appel aux investisseurs privés pour la production d’une nouvelle bombe. Ils ont déjà récolté 150 millions de $, 100 000 $ pour chaque palestinien tué : on commence à vendre alors qu’une opération est encore en cours.
Si l’industrie militaire est en pleine croissance, l’économie civile subit des pertes conséquentes.
Les coûts civils de l’attaque se chiffrent au nombre de trois. Premièrement, ceux payés par le système public : l’augmentation du budget pour l’armée se fait aux dépens des services publics. Chaque attaque produit toujours des coupes dans l’éducation, la santé, les transports. Avant que ce cycle de violence ne s’enclenche, des factions politiques centristes ont tenté de couper dans le budget de l’armée en faveur des services sociaux. Et comme par hasard, peu de temps après, commence l’opération, avec l’énorme influence que le système militaire a sur les politiques du gouvernement. A cela s’ajoutent les coûts directs et indirects sur l’économie civile. Les missiles ont endommagé des propriétés et les gens ont peur d’aller au travail, de nombreuses usines ont suspendu leur activité et les exploitations agricoles sont à l’arrêt. Et, enfin, les coûts indirects, comme ceux touchant le secteur touristique. De nombreuses entreprises auraient du accueillir des délégations d’entrepreneurs étrangers qui ont annulé leurs visites et sont allés faire des affaires dans d’autres pays.
Gaza est un marché captif, contraint à l’achat de produits israéliens. L’offensive pénalise-t-elle à ceux qui vendent dans la bande ?
En réalité, non. Gaza est bien un marché captif, mais il garantissait bien plus de profits avant le début du blocus en 2007. Avant l’embargo, il était bien plus facile pour les entreprises israéliennes d’envoyer leurs produits dans les supermarchés de Gaza et d’exploiter la main d’œuvre à bas coût. Si le blocus était desserré, l’économie israélienne en bénéficierait parce qu’elle pourrait exploiter encore plus 1,8 millions de personnes, une communauté qui ne peut pas produire assez mais qui consomme.
Cette nouvelle attaque pourrait-elle, en revanche, renforcer la campagne de boycott ?
Il y a eu une intensification significative de la campagne BDS dans le monde et on le perçoit aux réactions de certains hommes politiques. Le ministre de l’Économie, le colonel Naftali Bennett, cherche à améliorer les échanges commerciaux avec la Chine, le Japon, l’Inde et à se libérer de la dépendance de l’Europe, où le boycott semble de plus en plus s’installer. Et il y a deux jours, l’Institut israélien de statistiques a enregistré une baisse significative de la valeur des exportations, avant que cette opération ne commence : au début de l’année 2014, la valeur de celles-ci a baissé de 7 % et de 10 % envers les pays asiatiques. De nombreuses entreprises exportatrices ont demandé une réunion d’urgence du gouvernement pour traiter la crise.
Nombreux sont ceux qui estiment que cette attaque porte aussi sur le contrôle des ressources énergétiques le long de la côte de Gaza.
Je ne crois pas qu’il y ait de lien direct : Israel a déjà commencé à exploiter ses gisements et a signé des accords de vente avec la Turquie, Chypre et la Grèce. Si un jour, les palestiniens étaient en mesure d’exploiter leur gaz, ils ne trouveront pas de marché parce qu’Israël s’est accaparé la région méditerranéenne et sera capable de vendre à des prix inférieurs. Le monde, qui en ces jours-ci assiste à des massacres et des destructions d’infrastructures, n’imagine pas non plus le moment où les palestiniens pourront développer leur économie intérieure.
De l’extérieur, il semble que le gouvernement israélien n’ait pas en tête une stratégie sur le long-terme, mais tente de maintenir le statu quo de l’occupation.
Tout à fait. Le gouvernement actuel n’a pas de stratégie politique, il avance sur une voie sans issue. On sait qu’Abou Mazen est le seul avec qui on peut négocier, mais dans le même temps on mine sa légitimité. Dans l’histoire, tous les empires ont fini par ne raisonner que sur le court-terme, pour ensuite s’effondrer. Depuis la Seconde Intifada, la politique n’est pas celle de mettre fin au « conflit » mais de le gérer. De nombreux israéliens pensent qu’il n’y a pas d’avenir et vont vers la droite. Le niveau de racisme et de violence actuel est terrible, mais dans le même temps, c’est un signe d’extrême faiblesse. Cela m’offre un peu d’espoir.