Aller à…
RSS Feed

21 décembre 2024

Sale nuit pour le climat : l’UE tourne le dos aux recommandations du GIEC


Opinion

Sale nuit pour le climat :
l’UE tourne le dos aux recommandations du GIEC

Maxime Combes

Vendredi 24 octobre 2014

En se mettant d’accord sur un très faible objectif de réduction d’émissions et en abandonnant toute ambition d’amélioration significative de l’efficacité énergétique et du déploiement des énergies renouvelables, les Etats-membres de l’UE tournent le dos aux recommandations du GIEC et à leurs propres engagements visant à rester en deçà des 2°C de réchauffement climatique globale.

Sale nuit pour le climat. Le paquet-énergie climat 2030 (PEC 2030) validé durant la nuit de jeudi à vendredi à Bruxelles par les chefs d’Etat et de gouvernement des 28 Etats-membres institue un revirement majeur de l’UE en matière de lutte contre les dérèglements climatiques. Les représentants de l’UE et de ses Etats-membres ne manquent pas une occasion pour affirmer qu’il faut agir urgemment pour ne pas aller au delà des 2°C de réchauffement climatique global et qu’il faut, pour cela, agir « conformément aux exigences scientifiques ». Depuis la nuit du 23 au 24 octobre, les représentants de l’UE et de ses Etats-membres ne pourront plus l’affirmer. De facto, ils ont tourné le dos aux exigences et recommandations scientifiques. Ils rejoignent la classe des délinquants du climat.

Six années de perdues !

Les scénarios du GIEC qui permettraient de conserver une chance raisonnable de ne pas dépasser les 2°C de réchauffement climatique d’ici la fin du siècle le montrent clairement : les années précédant 2020 sont clefs et doivent être utilisées pour réduire beaucoup plus fortement les émissions dans les pays dits « développés ». En effet, selon un rapport du PNUE [1], si rien ne change, les pays de la planète vont émettre 13 gigatonnes de CO2 de trop en 2020 (57 gigatonnes au lieu de 44 gigatonnes de CO2) par rapport aux trajectoires acceptables. Aucun Etat-membre de l’UE n’a pourtant proposé de revoir à la hausse l’objectif de 20 % de réduction d’émissions d’ici 2020. Et ce alors que cet objectif de 20 % devrait être atteint avant le terme par les pays de l’Union européenne, si l’on ne tient pas compte des émissions incorporées dans les biens et services importés.

Repousser les efforts après 2030

Pour l’après 2020, et d’ici 2030, les Etats-membres ont validé un objectif de 40 % de réductions d’émissions par rapport à 1990. Certains chefs d’Etat et certains commentateurs présentent cet objectif comme ambitieux. Il est vrai que les lobbies industriels et les Etats-membres les plus récalcitrants exigeaient de ne pas dépasser la barre des 35 %. Cet objectif de 40 % est pourtant largement insuffisant.

Avec un tel objectif, l’UE repousse à l’après 2030 l’essentiel des efforts à réaliser d’ici à 2050. En effet, pour obtenir une réduction de 80 % des émissions, objectif minimal que s’est fixé l’Union européenne d’ici à 2050, cela reviendrait à planifier une diminution de 5 % par an de 2030 à 2050, contre à peine 1,3 % par an jusqu’en 2030. Un effort continu dans le temps permettrait de tabler sur un taux de réduction d’émissions de 2,5 % par an. Selon les derniers scénarios rendus publics par le GIEC qui permettent de ne pas aller au-delà des 2°C de réchauffement climatique global, l’UE est invitée à s’orienter encore plus rapidement vers une décarbonisation complète de son économie. Selon le climatologue Kevin Anderson du Tyndall Centre for Climate Change Research, ceci impliquerait que l’UE réduise de 80% ses émissions liées à son système énergétique d’ici 2030.

Maximiser le stock de carbone dans l’atmosphère

En matière de dérèglements climatiques, les scientifiques rappellent que l’important n’est pas le niveau d’émissions une année donnée, mais l’accumulation des gaz à effets de serre dans l’atmosphère au cours des années. Pour le dire autrement, l’important n’est pas tant de savoir quel sera le niveau d’émissions en 2050 que de connaître le chemin de réduction d’émissions année après année par lequel on y arrive. Plus les émissions sont réduites fortement en début de période, plus le montant d’émissions accumulées dans l’atmosphère sera faible. Plus on attend la fin de période pour réduire les émissions, plus le montant accumulé sera important. En repoussant à l’après 2030 l’essentiel des efforts de réductions d’émissions, les Etats-membres maximisent donc la quantité totale d’émissions que l’UE va accumuler[2] dans l’atmosphère au cours de la période 2020-2050.

Les énergies renouvelables abandonnées à leur triste sort

En octobre 2013, une douzaine de grandes multinationales de l’énergie européennes avaient appelé l’Union européenne à freiner le soutien public au développement des énergies renouvelables [3]. Le moins qu’on puisse dire est qu’elles ont été entendues. Le maigre objectif de 27 % d’énergies renouvelables d’ici 2030 ne permettra par d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables en Europe. A l’inverse du paquet énergie climat 2020, cet objectif ne s’accompagne d’aucune clef de répartition nationale contraignante, laissant chaque pays déterminer son niveau d’énergies renouvelables. Concrètement, l’Allemagne pourra continuer à développer les énergies renouvelables pendant que le Royaume-Uni, la Pologne, la France, l’Espagne etc. auront les mains libres, que ce soit pour développer ou maintenir leur production électrique d’origine nucléaire, ou pour encourager l’exploitation des hydrocarbures de schiste.

Un inefficace objectif d’efficacité énergétique

Une amélioration drastique de l’efficacité énergétique, que ce soit dans la production d’électricité ou dans la rénovation thermique des habitations, aurait par exemple contribué à respectivement rendre l’énergie nucléaire et le chauffage électrique moins attractifs. Impensable pour certains énergéticiens et certains Etats-membres qui avaient déjà contribué à torpiller la directive sur l’efficacité énergétique en 2012. Les Chefs d’Etat se sont donc mis d’accord sur une amélioration de 27 % de l’efficacité énergétique d’ici à 2030, un objectif non contraignant et moins ambitieux que le prolongement des tendances actuelles.

Pourtant, en cumulant des objectifs ambitieux de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, de développement d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, l’Union européenne aurait clairement posé les bases de ce qu’aurait pu être une politique visant à entrer dans une ère post-fossile et post-fissile. En effet, schématiquement, les sources d’énergies qui permettent à la fois de réduire les émissions à gaz à effets de serre, d’augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et d’améliorer l’efficacité énergétique se limitent… aux économies d’énergie et aux énergies renouvelables. Cela aurait été une manière également de réduire la dépendance de l’UE aux importations d’énergies fossiles et d’améliorer sensiblement la sécurité énergétique européenne. Ce n’est pas ce qui a été choisi par le Conseil européen.

Des contreparties climaticides

Pour obtenir ces trois maigres objectifs de réduction d’émissions, d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables, des contreparties ont été accordées aux Etats les plus rétifs à toute politique climatique ambitieuse. A la demande de la Pologne, mais également de la France et de l’Allemagne, les entreprises électro-intensives soumises à la concurrence internationale continueront de bénéficier d’allocations gratuites de permis d’émission, là où les autres secteurs doivent désormais les acheter aux enchères. Les pays les moins riches de l’UE (PIB inférieur à 60 % de la moyenne européenne) pourront délivrer des permis d’émission gratuitement à leur secteur énergétique, selon un dispositif qui aurait du expirer en 2020. Là où l’Union européenne aurait pu prendre l’engagement de ne plus financer et soutenir le secteur du charbon – un minimum au XXIème siècle – elle va continuer à financer son développement.

Non réformé, le marché carbone européen est une entrave à la transition post-fossile

Au delà des objectifs de réduction d’émission de gaz à effets de serre, le marché carbone est aujourd’hui pensé comme le pilier central des instruments européen de mise en œuvre des politiques européennes de lutte contre les dérèglements climatiques. Les institutions européennes lui vouent un attachement idéologique sans faille. Pourtant, la liste des griefs envers le marché carbone européen est sans fin : un fiasco réglementaire, une aubaine pour les industriels, un instrument inefficace et non-incitatif, un dispositif sujet aux fraudes et aux malversations etc. comme le résument précisément plusieurs dizaines d’organisations sociales et écologistes exigeant qu’on y mette fin [4]. Avec un tel bilan, n’importe quel dispositif aurait été supprimé et enterré. Pas le marché carbone européen.

La Commission européenne a d’abord perdu près de deux années à faire valider une proposition, dite de « backloading », visant à retarder l’introduction de quelques 900 millions permis pour la période 2013-2020. Sans effet notable puisque le prix de la tonne carbone reste extrêmement bas. Les estimations les plus basses considèrent que ce sont au bas mot plusieurs milliards de permis qui sont en trop. Pour obtenir ce « backloading », la Commission européenne s’est par ailleurs liée les mains en s’engageant à ne plus intervenir à nouveau directement sur le marché carbone… pour laisser jouer le libre jeu du marché. La « réforme structurelle » du marché du carbone annoncée dans le paquet énergie climat 2030 se limite à des toutes petites mesures qui ne seront pas effectives avant 2021 et qui ne seront pas de nature à résoudre les défaillances structurelles de ce marché.

Primeur à la compétitivité-coût et à la concurrence

Dans l’énoncé des objectifs poursuivis par le paquet énergie-climat 2030, la compétitivité-coût de l’économie européenne occupe une place de choix, souvent la première : « une économie de l’UE compétitive, sûre et à faibles émissions de carbone ». L’objectif est répété à satiété. Il s’agit de mettre sur pied un « système énergétique compétitif et sûr qui garantisse une énergie à un prix abordable pour tous les consommateurs ». Cette compétitivité est le plus souvent mise en balance avec la lutte contre le changement climatique. La seconde ne doit pas venir détériorer la première. On retrouve là les orientations fixées par le Conseil européen de l’énergie du 22 mai 2013 : « les défis énergétiques auxquels l’UE doit faire face se limitent aux prix trop élevés de l’énergie, à la compétitivité industrielle, à l’achèvement du marché intérieur, aux infrastructures d’interconnexion des circuits de distribution et à la nécessité d’encourager le secteur privé pour financer et investir » [5].

« Le mode de vie européen n’est pas négociable »

Si Georges Bush a déclaré que « le mode de vie américain n’était pas négociable » à Rio en 1992, les institutions européenne mettent en œuvre cet adage avec une grande constance depuis plus de vingt ans. Ainsi, un quart de siècle après le premier rapport du GIEC, l’intensité en carbone de la vie d’un citoyen moyen de l’UE reste inchangée [6]. L’empreinte carbone par habitant des Français a même augmenté de 15 % en 20 ans si on prend en compte les émissions incorporées dans les biens et services consommés en France et importés de l’étranger. Pour l’Union européenne et ses Etats-membres, il n’est aucunement question de mettre en œuvre des politiques de sobriété énergétique. Au contraire, comme le montrent les négociations commerciales avec le Canada et les Etats-Unis, il s’agit de mettre tout en œuvre dans la perspective de maintenir, voire d’accroître, l’approvisionnement en énergies fossiles, et la dépendance, de l’Union européenne.

Conclusion

Alors que l’Union européenne devrait s’orienter vers une économie post-fossile et post-fissile, le Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014 a bloqué toute transformation d’envergure du système énergétique européen. Ne pouvant plus prétendre à aucun leadership international en matière de lutte contre les dérèglements climatiques, l’Union européenne rejoint la classe des délinquants du climat, regroupant les pays qui se refusent à entrer de plein pied dans la lutte contre les dérèglements climatiques, privilégiant les intérêts de leurs multinationales de l’énergie plutôt que l’avenir de la planète et des populations.

Maxime Combes, membre d’Attac France et de l’Aitec, engagé dans le projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)

@ximCombes sur Twitter

1http://www.unep.org/pdf/UNEPEmissionsGapReport2013.pdf

2Dans le même esprit, il est symptomatique du manque d’ambition de l’UE de ne pas s’être engagé à réduire de 40 % la quantité cumulée d’émissions sur la période 2020-2030.

3https://www.gdfsuez.com/wp-content/uploads/2013/11/12CEO_VA_v4.pdf

4http://www.france.attac.org/articles/il-est-temps-de-mettre-fin-au-marche-du-carbone-europeen-pour-une-veritable-transition

5Voir cette analyse : http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/230513/sommet-de-lenergie-lue-dit-bye-bye-au-climat-et-salue-les-lobbys-industriels

6Voir le Global Carbon Atlas pour les données – hthttp://www.globalcarbonatlas.org/?q=en/content/welcome-carbon-atlas

Partager

Plus d’histoires deLibye