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27 avril 2024

L’humanité, encore


L’EXPRESS

L’humanité, encore

L’édito du jour – L’humeur dominicale

Lorsque tout ou presque semble avoir été dit, est-il permis de réfléchir encore ? Encore un peu ? Une marée d’émotion peut-elle laisser une petite place à la raison ?

Pour dire, d’abord et bien évidemment, que lorsque nos concitoyens se lèvent par millions afin d’exprimer leur colère, leur rejet de la haine, leur refus de céder à la peur, eh bien ce vieux pays est infiniment plus grand et plus beau que la somme de nos égoïsmes.

Pour noter aussi que nous sommes en guerre. On pourra faire mille détours rhétoriques pour éviter le mot, la réalité restera sous nos yeux. La guerre. Lors de la première guerre d’Irak, lorsque Saddam Hussein déclarait que l’opération «Tempête du désert» serait «la mère de toutes les batailles», nous avions ri de ce qui paraissait être une fanfaronnade. C’était une prophétie. Et puis après les attentats du 11 septembre 2001, nous avions encore souri quand Samuel Huntington parlait du «choc des civilisations». Nous refusions là aussi de répondre à la sommation faite à l’humanité de se ranger sous la bannière de Ben Laden ou de G.W. Bush.

Pourtant, cette guerre s’est installée. Et elle oppose très clairement ceux qui respectent la vie et ceux qui n’en font pas le moindre cas. Dans la terrible séquence qui vient de se dérouler, on a vu se dresser, insurgés, des individus fanatiques pour lesquels la religion n’est qu’un lamentable prétexte et qui disposent d’une arme presque absolue : ils spéculent sans la moindre vergogne sur notre supériorité morale. Nous sommes capables, disent-ils, de vous faire ce que vous n’oserez jamais faire. Mais cette insondable faiblesse des démocraties est aussi leur force invincible. Opposer la haine à la haine serait notre défaite collective. Restreindre les libertés au nom des libertés serait un manquement à la République. Depuis l’agression contre les tours de Manhattan, on a vu les Etats-Unis céder à cette tentation, de «Patriot Act» en Guantanamo. C’est le danger le plus grave. Il ne faut pas permettre aux terroristes de nous obliger à leur ressembler. Et puisque ces mots sont dits, rappelons, après l’hommage unanime rendu aux victimes du terrorisme que les fous furieux qui ont été abattus sont morts aussi. Nous le savons, le sang d’un assassin, c’est encore le sang d’un homme.

Et nous réfléchirons sans doute à la curieuse expression qui revient à propos des barbares «enfants perdus de la République». Ils ont été perdus par la République. Sur le fond de cicatrices entrelacées de la guerre d’Algérie, dans l’univers des ghettos de quartiers sacrifiés, sur la terre inexplorée de générations grandies entre deux cultures sans appartenir à aucune, dans un paysage de services publics délaissés, d’échec scolaire et de chômage, dans ce contexte qui ne justifie certes rien, nous avons laissé prospérer ce désespoir qui ne conduit pas toujours au suicide mais qui peut y mener. Arrabal avait repris le terrible chant des légions franquistes, «Viva la muerte !». Que jamais cette proclamation contre l’humanité ne vienne à résonner encore à nos oreilles blessées.

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