Comment Washington,Tel-Aviv et Riyad travaillent pour un Etat Islamique docilisé
5 février 2015
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Le fameux « croissant chiite » qui va de Téhéran au Sud-Liban, en passant par Bagdad et Damas, reste plus que jamais la bête noire des Etats-Unis, d’Israël et des pays du Golfe. Aujourd’hui, ce triumvirat et leurs laquais travaillent d’arrache-pied à la création de facto de cet Etat islamique qu’ils prétendent combattre. En réalité, la campagne de bombardements en cours ne sert qu’à en fixer les futures limites géographiques. Ensuite, la zone ainsi créée sera «docilisée» par un océan de pétrodollars et l’extermination des récalcitrants. But final de l’opération: créer un ventre mou régional « sunnite » qui permette enfin de casser physiquement ce diable d’axe « chiite » et affaiblir ainsi à la fois l’Iran, le Hezbollah et par ricochet le Hamas palestinien. (pourtant très sunnite) Le triumvirat des peuples élus autoproclamés… Avant d’entrer dans le vif du sujet, un petit détour par notre fameux triumvirat, histoire de présenter les acteurs du dernier jeu de massacre géopolitique en cours. On connaît par cœur l’alliance indéfectible qui unit les Etats-Unis à son 51ème Etat israélien, et qui permet à l’entité sioniste d’accumuler en Palestine et au Liban les pires boucheries et crimes de guerre depuis 60 ans sans aucun souci du lendemain. On connaît aussi la révérence humide (1) de Washington et des pays du Bloc atlantiste pour la monarchie saoudienne, même si cette dernière est l’une des plus brutales théocraties du monde arabo-musulman; même si son wahhabisme rétrograde est la matrice idéologique des terroristes d’al-Qaïda, Daesh, al-Nosra et Cie. On connait moins en revanche l’axe Riyad-Tel-Aviv puisque, instinctivement, on aurait plutôt tendance à classer la Grande Mosquée saoudienne dans le rang des ennemis «naturels» d’Israël. Sauf que, comme on dit, les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Or dans sa course effrénée pour conserver le leadership du monde musulman, Riyad n’a qu’un seul véritable ennemi: l’Iran chiite et ses alliés (2). Et il se trouve que pour des raisons sécuritaires cette fois, c’est exactement le cas pour Tel-Aviv qui craint par-dessus tout l’Iran et l’arsenal du Hezbollah. Avec l’axe Washington–Tel-Aviv–Riyad, qui regroupe l’«exceptionnalisme» américain (3), l’Etat-juif militarisé et la Mecque du salafisme: c’est un peu le triumvirat des peuples élus autoproclamés réunis dans la plus improbable et effrayante des coalitions. Alimenter mais circonscrire l’incendie Au plan opérationnel, l’idée est donc simple et complexe à la fois. Simple car il s’agit d’un côté d’alimenter l’incendie (argent, armes, combattants) des djihadistes de Daesh, al-Nosra et consorts mais aussi, de l’autre, de circonscrire ses contours pour qu’il ne ravage que la zone voulue (>>voir la carte). Au nord, pas question ainsi de s’approcher de la zone kurde et d’Erbil, chasse-gardée à la fois des Américains et des Israéliens pour lesquels le clan Barzani roule à tombeau ouvert si l’on ose dire. En Irak toujours, la limite Sud de l’EI se dessinera naturellement en venant buter contre la partie chiite du pays où il n’a aucune chance de s’implanter. Hezbollah-armée: le binôme gagnant Enfin, reste le problème de la frontière Ouest de l’Etat islamique en Syrie, frontière qui longe les zones particulièrement sensibles que sont le Liban et Israël. A l’heure où nous écrivons ces lignes, plusieurs milliers de terroristes de l’EI et al-Nosra sont coincés dans un chaudron dans le Jurd, entre le Liban et la Syrie, pris sous les feux croisés de l’armée loyaliste de Bachar el-Assad, de l’armée libanaise et des forces du Hezbollah. Quand Israël parie sur al-Nosra Plus au sud, Israël a engagé une partie particulièrement perverse en soutenant clairement les bouchers d’al-Nosra. «Nous savons qu’Israël accueille des blessés d’al-Nosra dans ses hôpitaux pour les renvoyer ensuite au combat», nous confiait hier une source libanaise très bien informée. Ainsi, pour Israël, une chute de Bachar el-Assad – qui ferait voler en éclat le croissant chiite et casserait les lignes d’approvisionnement en armes du Hezbollah et du Hamas – représente ainsi un bénéfice bien supérieur au risque encouru par la présence de djihadistes aisément manipulables. Iran et Russie en embuscade En résumé, l’Etat islamique ainsi créé avec les garde-fous adéquats – dont pourquoi pas des casques bleus pour faire tampon –, pourrait même devenir à terme un partenaire officieux tout à fait convenable pour le Bloc atlantiste et Israël, une fois la poussière de la bataille retombée; les tribus sunnites achetées et les cadres djihadistes récalcitrants exterminés lors d’une opération de nettoyage inspirée de celles conduites au Vietnam (Phoenix) ou en Amérique latine (Condor). PS : Une attaque du Hezbollah dans la zone des Fermes de Chébaa occupée par Israël a fait deux morts et des blessés dans les rangs de l’armée sioniste mercredi. Il s’agissait d’une riposte attendue à l’attaque perpétrée par Israël en Syrie il y a une dizaine de jours, et qui avait provoqué la mort de six combattants du Hezbollah et d’un général iranien. Mais le Hezbollah a aussi clairement voulu dire à l’entité sioniste qu’elle n’avait pas les mains libres dans la région du Golan. Israël a riposté à son tour, tuant… un soldat espagnol de la Finul. Il est peu probable qu’Israël prenne le risque de déclencher aujourd’hui une nouvelle guerre contre le Hezbollah qui lui avait déjà infligé l’humiliant revers que l’on sait en 2006, alors qu’à l’époque, la résistance libanaise disposait d’un arsenal bien moindre que celui qu’elle détient aujourd’hui (env. 100’000 roquettes). Notes 1- Cette révérence est bien évidemment liée au ciment nauséabond du pétrole, mais pas seulement. Les USA se sont en effet toujours appuyés sur des sunnites pour conduire leur conquête du Moyen-Orient. Le sunnisme wahabisé est en effet un pouvoir de marchands. Il préconise d’obéir au prince, fusse-t-il corrompu, puisque l’on ne saurait présumer du jugement final de dieu sur le bonhomme. A l’inverse, le chiisme ne fait pas de compromis avec le prince si celui-ci est perverti et préconise dès lors son renversement. Comme le souligne François Thual dans sa Géopolitique du chiisme: «Vivre dans l’attente du retour de l’Imam en luttant contre l’injustice sur cette terre est, très globalement, le programme de cette religion dans son aspect profane.» La pire des hérésies pour l’Occident qui, comme cette Sunna dévoyée, est un pouvoir de marchands qui veut bien traiter avec n’importe quel prince, tortionnaire, dictateur ou despote on s’en fout, pourvu qu’il ait le même dieu que lui, la Grande Calculette donc. 2- Depuis la première guerre du Golfe, jamais les pétromonarchies n’ont été plus éloignées de leurs références islamiques et leur soumission aux intérêts américains, voire israéliens, et très mal perçue par la rue arabe. Avec des positions (anti-israéliennes, anti-américaines) aux antipodes de ses voisins du Golfe, Téhéran s’affirme donc de plus en plus comme une référence religieuse plus convaincante malgré le fossé qui sépare les branches sunnites et chiites de l’Islam. Au demeurant, on constatera aussi que les pays du Golfe sont en proie à des troubles souvent liés à leurs très fortes minorités chiites, sans parler de Bahrein dont la population est à 70% chiite. Pour les puissances du Golfe, la priorité absolue est donc la chute de l’Iran chiite, dont la déstabilisation du régime de Bachar al-Assad est un préalable. 3- Les Etats-Unis et le facteur religieux 4- Flux de combattants étrangers 5- Tentative de dessiner les futurs contours de Daech 6- Soldats libanais tués à la frontière 7 -Stratégie pour Israël dans les années ‘80 Source: Entrefilets ————————
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LEMONDE.FR | 25.04.06 | 15h18 • Mis à jour le 03.05.06 | 23h50
Jacques Henno, journaliste nouvelles technologies, auteur de « Tous fichés » , mercredi 03 mai 2006