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18 avril 2024

Islam, fantasmes et statistiques


Jeune Afrique

Islam, fantasmes et statistiques

05/02/2015 
Par Alain Faujas
En Europe, la population imagine que les musulmans sont bien plus nombreux qu'en réalité. En Europe, la population imagine que les musulmans sont bien plus nombreux qu’en réalité. © PATRICK KOVARIK / AFP

Dans quatorze pays, les musulmans sont sensiblement moins nombreux que ne l’imaginent leurs compatriotes. La menace jihadiste n’est évidemment pas étrangère à cette singulière erreur d’appréciation.

La peur de l’islam est mauvaise conseillère. Un sondage Ipsos Mori réalisé du 12 au 26 août 2014 auprès de 11 527 personnes dans quatorze pays (Allemagne, Australie, Belgique, Canada, Corée du Sud, Espagne, États-Unis, France, Hongrie, Italie, Japon, Pologne, Royaume-Uni, Suède.) fait apparaître que les opinions publiques surestiment fortement la proportion de musulmans dans la population de leurs pays respectifs. Les Français et les Belges interrogés se trompent de 23 points, les Canadiens de 18, les Australiens et les Britanniques de 16. Dans le peloton de queue de ce palmarès des erreurs, Coréens du Sud et Polonais surestiment le pourcentage de musulmans de 5 points. Et les Hongrois, de 4.

On peut encore mieux mesurer ces illusions en prenant leur degré et non plus leur quantité. La surestimation la plus spectaculaire est celle des Hongrois, qui multiplient la réalité par 70. Les Polonais les suivent de près avec un peu plus de 50. La dérive est beaucoup moins grande chez les Allemands ou les Belges, qui multiplient la réalité par 3,1, les Suédois (par 3,4) ou les Français (par 3,8) – ces derniers accueillent pourtant sur leur sol la plus grande communauté musulmane d’Europe.

Chaque fois, les personnes interrogées se leurrent

En fait, les opinions se trompent souvent, et ce n’est pas pour rien que l’agence Ipsos Mori a intitulé son étude « La perception n’est pas la réalité ». Outre celui sur les musulmans, l’étude comporte en effet huit autres sondages portant sur les adolescentes enceintes, les chrétiens, les immigrés, les personnes âgées, la participation aux élections, le chômage, l’espérance de vie et l’évolution de la criminalité.

Conclusion ? À chaque fois, les personnes interrogées se leurrent. Quelques exemples. Dans les quatorze pays pris en compte, elles estiment à 15 % le pourcentage d’adolescentes (15-19 ans) enceintes chaque année, alors que le vrai chiffre est en moyenne de 1,2 %. Les Américains sont convaincus que la proportion des chrétiens dans leur pays est de 58 %, alors qu’elle est de 78 %. De même, les Italiens évaluent à 30 % la proportion des immigrés, alors que ces derniers ne sont que 7 %. Enfin, près de la moitié (49 %) des sondés ne doute pas une seconde que la criminalité augmente, alors qu’elle diminue. Liste non exhaustive.

Transmettre un sentiment

La première raison de ces dérapages tient à la mauvaise connaissance des statistiques officielles. « L’absence d’outils réguliers et fiables a rendu le sujet contentieux et a favorisé une surévaluation, explique Michèle Tribalat, démographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined), à Paris, et auteur du livre Assimilation : la fin du modèle français (éd. du Toucan). J’estime que l’on a à peine franchi le nombre de 5 millions de musulmans en France, alors que la fourchette de 5 à 6 millions est retenue dans les médias depuis bien longtemps. Il est possible que la crainte qu’inspire l’islam conduise l’opinion à surestimer le nombre de ses adeptes.

Mais la perception de celle-ci dans une enquête ne vise pas seulement à donner le bon chiffre, mais à transmettre un sentiment, comme le prouvent les Britanniques, qui persistent dans leur estimation excessive du poids des immigrés chez eux, alors même qu’on leur a communiqué l’information correcte ! » « La perception très déformée des opinions sur nombre de sujets dénote avant tout une inculture statistique. Il y aurait beaucoup à faire à l’école ! » déplore la démographe.

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La deuxième cause d’erreur concernant la proportion des musulmans, c’est, bien sûr, la peur. « On observe dans ce cas le même type d’amplification des dangers par rapport à ce qui était « objectivable » qu’en matière de criminalité », analyse le sociologue Hugues Lagrange, du CNRS. « L’objectivable », c’est la plus grande visibilité de l’islam (foulard, viande halal, mosquées) et les polémiques soulevées par les partis xénophobes à son sujet. Les dangers, ce sont la barbarie de l’État islamique en Syrie et en Irak, celle des jihadistes au Mali et, en Europe, les meurtres perpétrés par un Mohamed Merah ou un Mehdi Nemmouche. « Ce qui était omniprésent dans l’actualité, mais lointain, a lieu désormais ici même. Il y a un effet de désanctuarisation », constate Hugues Lagrange.

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Mais tout n’est pas aussi noir. Un sondage réalisé au printemps 2014 mais ressorti par le Pew Research Center après les attentats ayant eu lieu du 7 au 9 janvier à Paris montre que les Européens ne sont pas aussi hostiles aux musulmans qu’on pouvait le craindre. Les grands pays, où ils sont nombreux, leur sont très majoritairement favorables : à 72 % pour la France, 64 % pour le Royaume-Uni, 58 % pour l’Allemagne. En revanche, les fantasmes semblent plus forts dans les pays où les musulmans sont moins présents : 53 % des Grecs et 63 % des Italiens ont d’eux une opinion défavorable.

Tout n’est pas rose non plus, comme le prouve un sondage Ipsos/Sopra-Steria réalisé pour  Le Monde et Europe 1 auprès d’un échantillon de 1 003 personnes représentatif de la population française. L’enquête a été réalisée les 21 et 22 janvier, après donc les attentats.Cinquante-trois pour cent des personnes interrogées jugent que « nous sommes en guerre », mais 84 % d’entre elles précisent que cette guerre est menée contre le terrorisme jihadiste, pas contre l’islam.

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Une religion aussi pacifique que les autres

On pourrait s’alarmer du fait que 51 % des personnes interrogées considèrent que la religion musulmane « n’est pas compatible avec les valeurs de la société française » (contre 6 % pour la religion catholique et 17 % pour la religion juive), mais c’est 12 points de moins qu’en janvier 2014 et 23 de moins qu’en janvier 2013.

Les messages d’apaisement et d’unité martelés par les autorités civiles ou religieuses auraient-ils contribué à ce moindre rejet ? Selon 66 % des personnes interrogées, l’islam est « une religion aussi pacifique que les autres » et « le jihadisme en est une perversion », les sympathisants de gauche étant plus favorables à ce point de vue que ceux de droite. Autrement dit, en Europe comme en France, l’islam n’est pas honni, mais il fait peur et demeure sous surveillance.

 

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