AFRIQUE. Ce que cache l’allégeance de Boko Haram à l’Etat islamique

Posted on mar 25, 2015 @ 9:00

Allain Jules

©le sphinx le Sphinx Hebdo : Par Gabriel Makang

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boko

Il y a pratiquement 3 semaines, Boko Haram faisait allégeance à l’Etat Islamique qui acceptait cette offre le 12 Mars 2015, se vantant à l’occasion de l’extension vers l’Afrique de l’Ouest de son territoire et de son influence. Cette alliance bien qu’apparemment logique devient troublante lorsqu’on l’examine de près. En effet elle ferait un sens réel si l’Etat Islamique était en bonne posture financière, contrôlait fermement un territoire ou avait une situation militaire enviable. On comprendrait alors que Boko Haram aille chercher refuge auprès de l’Etat Islamique.

Ces derniers temps, L’Etat Islamique est la cible de bombardements aériens à la fois des pays Occidentaux, de leurs alliés arabes (Jordanie, Egypte) et même de leurs adversaires (Syrie). Au sol, il est combattu par les armées irakiennes et syriennes, par les troupes kurdes et par les milices shiites armées, entrainées et financées par l’Iran. A l’issue de ces opérations, l’EI a perdu des portions du territoire irakien et est en passe d’être chassé de Tikrīt, la ville natale de l’ancien président Irakien, Saddam Hussein.

Bien que sur le plan financier le jeu de certains pays soit trouble et les mesures prises contre l’EI sans efficacité, les Etats se sont officiellement mis ensemble pour bloquer ses réseaux de financement, tout au moins ceux officiels. Même leurs financiers à savoir l’Arabie Saoudite et le Qatar prennent leurs distances.

Ce n’est pas tout. Boko Haram et l’Etat Islamique ne se battent pas sur des champs de bataille contigus. Ils sont séparés par des milliers de kilomètres constitués d’entités étatiques qui leur sont hostiles. Le transfert de matériel militaire, l’appui de vétérans de l’Etat Islamique et même le soutien financier à Boko Haram qui pourrait résulter de ce partenariat ne risque pas d’être déterminant sur le terrain pour Boko Haram. En fait, il est même probable que les deux organisations d’obédience religieuse semblable et ayant des objectifs similaires coopèrent déjà. Elles ne font qu’officialiser cette relation.

Ce qui pousse à se demander pourquoi Boko Haram fait-il allégeance à une entité en difficulté, se faisant surtout par la même occasion des ennemis beaucoup plus puissants que ceux, essentiellement africains, auxquels il fait face et qui menacent de le détruire ? Pourquoi faire allégeance si cela ne vous sert pas ? A moins que cela serve en réalité les desseins de ses sponsors ? Un début de réponse se trouve aux Etats-Unis d’Amérique.

En Février 2015, le président des Etats-Unis, Barack Obama a envoyé une législation au Congres demandant l’autorisation de déclarer la guerre à l’Etat Islamique, incluant l’utilisation des troupes au sol en occurrence les forces spéciales. Ce genre d’annonce n’est pas nouveau. Les Etats-Unis sont supposés bombarder l’Etat Islamique depuis l’année dernière et ne seraient qu’en train d’étendre leurs activités. Ce qui est remarquable dans cette législation est qu’elle autoriserait les Etats-Unis à combattre « l’Etat Islamique ou les personnes et forces associées », c’est-à-dire Boko Haram. Ce qui suppose qu’il faudrait s’attendre à une intensification des activités de l’armée américaine dans la région ou sévit Boko Haram, aux frontières du Cameroun et du Nigeria. Ça parait bienveillant sauf si l’on fait un retour en arrière dans l’année passée.

Les 300 lycéennes enlevées dans la nuit du 14 au 15 Avril dernier et que l’on n’a pas encore retrouvées malgré les sollicitudes d’éminentes personnalités telles que Michelle Obama la première dame des Etats-Unis, du sénateur américain John Mc Caïn, et toute la technologie investie par de très nombreux pays qui s’étaient proposés d’aider. Nous avons compris à l’époque que cet incident au demeurant choquant avait pour but réel de servir de prétexte à la présence des forces occidentales dans la région. En dehors de conseillers militaires et de droits de survol des drones, cet évènement ne semble pas avoir beaucoup aidé cette cause.

Nous nous rappelons aussi les enlèvements successifs des européens dans l’Extrême-Nord du Cameroun dont l’un d’eux Tanguy Moulin Fournier était en réalité un agent des services secrets francais. Ces évènements étaient aussi supposés servir de prétexte pour la France d’implanter des forces dans la région. La France avait d’ailleurs à l’occasion demandé au Cameroun l’autorisation d’installer une base militaire à N’Gaoundéré pour sécuriser la région contre ce qui à l’époque ne semblait qu’être que des bandits transfrontaliers.

De nombreux experts publiant dans les medias alternatifs sur le net et à la radio pensent d’ailleurs que l’exécution macabre et très médiatisée d’otages occidentaux par l’Etat Islamique avait pour but de choquer l’opinion publique occidentale et d’ainsi rendre les esprits favorables à un réengagement des forces militaires occidentales dans ces régions troubles, mais o combien riches en ressources minérales. On peut constater qu’après être partis d’Irak au bonheur des pays comme l’Iran qui y ont étendu leur influence, les Etats-Unis sont en train d’y revenir progressivement. La France, bien qu’exclue des opérations de lutte contre Boko Haram fait tout pour être de la partie et prendre le contrôle des opérations. Elle le fait en encourageant des sommets tels que celui de Niamey dans le but d’internationaliser la solution au problème Boko Haram que les chefs d’Etats africains veulent garder africaine. C’est aussi dans ce sens qu’elle a créé une cellule pour coordonner le renseignement (rien de moins !) des pays impliqués dans le conflit sur Boko Haram. Le loup fait tout pour rester dans la bergerie !

Elle offre donc au Cameroun d’aider dans le renseignement en envoyant ce que la presse camerounaise a appelé un « détachement de liaison », mais en fait 2 officiers. Le Cameroun n’en avait vraiment pas besoin au moment où il contrôle la situation sur le terrain, mais le président Biya, à son habitude de ne pas humilier l’adversaire pour lui garder une porte de sortie honorable ouverte accepte quand même une certaine représentation, à la joie des autorités françaises qui sont les premières à l’annoncer, mais dans un discours mensonger. En effet, elles ne disent pas qu’elles ont offert une aide au Cameroun qui l’a acceptée, mais que le Cameroun avait demandé l’aide de la France dans sa lutte contre Boko Haram. Heureusement que ces manouvres n’ont pas échappé aux Camerounais.

Pourquoi ce désir de la part des pays occidentaux d’avoir des troupes dans la région ? La raison en est que la puissance militaire qui possède des troupes sur un territoire y détermine le cours des événements. A titre d’exemple, presque tous les pays où des troupes françaises ont été stationnées, il y a eu des troubles (Mali, Côte d’Ivoire, Centrafrique) et dans tous ces cas, les événements ont tourné dans le sens des intérêts de la France. Boko Haram était supposé soit déstabiliser les pays du Bassin du Lac Tchad et du Golfe de Guinée, soit servir de prétexte à la présence de troupes occidentales sous la de soutien militaire pour l’éradication de terroristes ou alors dans le cadre d’une opération des Nations Unies de protection des populations civiles.

Les pays africains ont rendu cette opération difficile en pourvoyant des troupes pour la force multinationale. La seule contribution qu’ils demandent à la communauté internationale est financière. Et ces pays si désireux de répandre la démocratie, la paix et de faire respecter les droits de l’Homme ne semblent pas cette fois pressés de mettre de l’argent sur la table. Nous l’avons d’ailleurs dit avant et nous le répétons ici : Les pays qui financent la plupart de temps les opérations de maintien de la paix ne voudront pas soutenir financièrement la force multinationale africaine contre Boko Haram parce qu’elle s’oppose à leurs intérêts. Evidemment, ils ne vont pas le dire comme cela. Ils vont faire traîner les choses, poser des conditions difficiles à remplir ou mettre tellement peu d’argent que les pays africains ne pourront rien faire de significatif.

N’oublions pas que le plan de la déstabilisation de la sous-région est pour ces pays d’un ordre vital. Ils ne vont pas arrêter leurs manœuvres de sitôt. C’est une opération qui se fait par étapes. Lorsqu’une réussit ou échoue, on passe à une autre. L’une de leurs favorites est d’agiter le spectre de la violation des droits de l’Homme et des abus des armées sur le terrain. Sur ce terrain, il semble que Boko soit en train de se distinguer négativement par la découverte d’une fosse commune d’une centaine de corps à Damasak, un village précédemment occupé par cette organisation. Au fait, pourquoi aucune de ces organisations et pays si sensibles à la perte de vies humaines n’a pas encore demandé une commission d’enquête ? Cette timidité est plutôt curieuse Pourtant l’Union européenne a déjà demandé au gouvernement tchadien de « faire la lumière sur les responsabilités » des événements du 9 Mars au cours de laquelle une ou deux personnes seraient été morte. Allez comprendre.

© le Sphinx Hebdo : Gabriel Makang