L’historien
et ancien président de l’association du 8 Mai 1945 [le 27 avril 2008, la France a reconnu que « d’épouvantables massacres » avaient
eu lieu à Sétif, Guelma et Kherrata (dans l’est du pays) le 8 mai 1945], Mohamed El-Korso, ne mâche
pas ses mots. Pour lui, il est indéniable que le mot « génocide » s’applique
parfaitement aux crimes coloniaux perpétrés par la France en Algérie. Joint
hier [le 24 décembre] au téléphone, il a réagi à la polémique qui fait rage entre Paris et
Ankara en abondant dans le sens du président Erdogan : « Quand vous avez un colonel de
la colonisation qui dit : ‘Je coupe les têtes’, il ne parle pas de couper des
têtes des artichauts, mais celles des Algériens. L’intention de liquider par le
sabre et le fusil est réelle et non fictive. Les « enfumades » et les « emmurements »
qui ont décimé des tribus entières, comment qualifier cela ? martèle-t-il,
avant de lancer : « Le colonel Montagnac disait : ‘Tuez tous les hommes
à partir de l’âge de 15 ans.’ Est-ce que ça, ce n’est pas un génocide ? Les
Cavaignac, Bugeaud, Pélissier ne sont pas venus en villégiature. Ils sont venus
liquider tout un peuple et ils ne pouvaient prendre la place de ce qu’ils
appelaient les ‘autochtones’ sans commettre de génocide. »

Mohamed El-Korso fournit quelques faits
édifiants à ce propos : « L’armée coloniale expérimenta l’extermination par le
gaz un bon siècle avant l’Allemagne nazie. Les enfumades et emmurements dans le
Dahra – dans la région de Mostaganem – des (tribus) Sbehas en juin 1844 par le
colonel Cavaignac et des Ouled Riah le 19 juin 1854 par le colonel Pélissier ;
les fours à chaux de Guelma (mai 1945) ; les cuves à vin (1957) des colons de
Tlemcen, Sidi Bel-Abbès ou Zéralda ; le gazage des habitants du Dahra qui
s’étaient réfugiés dans Ghar Layachine (1959) – pour ne citer que ces quelques
exemples – ne sont nullement une vue de l’esprit.

Le
charnier de Chréa, dans la wilaya de Tébessa, qui compte pas moins de 651 cadavres en dit long sur ‘l’œuvre accomplie par la France en Algérie' » (El-Watan du 14 mai 2005). Revenant à la crise franco-turque, Mohamed El-Korso
considère que l’attitude française dans cette affaire est « schizophrénique » : « La France se permet de donner des leçons aux autres, alors qu’elle ferait
mieux de donner des leçons à elle-même. C’est une attitude schizophrénique. On
reconnaît les crimes des autres, mais pas ses propres crimes. » « Sarkozy invite
chaque pays à regarder son passé et à en tirer les conclusions qui s’imposent.
Est-ce que la France a le courage de regarder le sien ? Au lieu de cela, ils
ont institué une Fondation pour l’écriture de l’histoire afin de blanchir les
crimes de la colonisation. »

Le
professeur El-Korso note que « c’est le Parlement français qui est en train
d’écrire l’Histoire ». Il rappelle en l’occurrence l’épisode de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance du « rôle positif » de la colonisation ainsi
que le vote d’une loi sur les harkis.

Mohamed
El-Korso salue la position du Premier ministre turc. « L’attitude d’Erdogan est
digne. C’est une véritable secousse », se réjouit-il. « L’attitude française
vis-à-vis de la Turquie n’est pas culturaliste, mais éminemment politique.
C’est une provocation. Et la réaction d’Erdogan est à la mesure de cette
provocation. » Pour lui, le timing de cette dernière loi trahit des « visées électoralistes ». « Sarkozy ressort ces questions à la veille de chaque élection
présidentielle, comme ce fut le cas en 2005. Sarkozy avait terminé sa campagne
présidentielle dans le sud de la France, à Montpellier, Toulon et Perpignan, où
vivent beaucoup de pieds-noirs et d’anciens membres de l’OAS [Organisation de l’armée secrète]. La France n’a
jamais connu un président aussi provocateur », assène-t-il.

Mohamed
El-Korso regrette le peu d’enthousiasme que suscitent les questions liées à
l’Histoire de la part de notre classe politique : « Il est navrant de constater
le silence de la classe politique en Algérie. Nous n’avons noté aucune réaction
de sa part. Elle a visiblement d’autres chats à fouetter. » Le professeur El-Korso estime qu’il serait malvenu de parler après Erdogan : « C’est un peu trop
tard pour réagir dans le sillage d’Erdogan. Cela relèverait du plus bas
mimétisme. » Il déplore qu’au niveau officiel il n’y ait pas de loi claire qui
réponde à l’acte législatif français : « Ils [les Français] veulent solder le
passé avec notre bénédiction et notre silence. On a eu une bonne opportunité
pour réagir, mais on a jeté dans la poubelle de l’Histoire la proposition de loi
sur la criminalisation du fait colonial, quand bien même elle était
imparfaite. » « Il y a de bonnes choses qui se font sur plan de l’écrit, mais la
meilleure réponse à la France doit être politique. Il faut un travail sérieux
avec l’apport de spécialistes pour aboutir à une loi criminalisant la
colonisation » ; conclut-il.