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19 avril 2024

De l’armée française au FLN, les deux guerres de Mohand Salah Hamrit


De l’armée française au FLN, les deux guerres de Mohand Salah Hamrit

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Mohand Salah Hamrit

Mohand Salah Hamrit n’a pas compris ce qui lui arrivait ce mois d’août 1943. Né en 1921 à Bejaïa, il travaille depuis quelques mois comme garçon de café à Alger, « rue de la Liberté, pantalon noir et veste blanche », précise-t-il à 94 ans, lui dont la mémoire, pour les événements les plus récents, commence à faire défaut.

Il est détenteur d’un certificat d’études mais sa situation familiale – son père est décédé en 1940 et il vient de se fiancer – l’oblige à travailler. Alors qu’il rentre à Bejaïa, à 260 km à l’est de la capitale, pour des démarches administratives, il est interpellé par le père policier d’un camarade, étonné de le voir là. Il apprend avoir été destinataire d’un avis d’incorporation au 7e régiment des tirailleurs algériens (RTA) qui lui a échappé, ce qui fait de lui un « insoumis ». « Deux ans plus tôt, à 50 kg tout net (pour 1,67 mètre), le médecin m’avait dit que je ferais un bon tirailleur », s’étonne-t-il encore, alors que les « musulmans » étaient pour la première fois concernés par la conscription.

Deux semaines de formation militaire

Mohand Salah passe du commissariat à la caserne, d’où il est envoyé à Sétif, siège de la garnison du 7e RTA, sans que sa famille ne soit mise au courant. Là, il dit subir en tout est pour tout deux semaines de formation sur le champ de manœuvre, lui qui n’avait jamais touché à un fusil. Dernière halte algérienne à Oran, où il est habillé « à l’américaine », c’est-à-dire avec un treillis, alors qu’il s’entraînait jusque-là avec un pantalon bouffant « qui faisait comme un ballon derrière quand on courait », puis le front.

Lire aussi : Guerre d’Algérie, de la mémoire à l’Histoire

Avec le 7e RTA, lui-même intégré dans la 3e division d’infanterie algérienne (DIA), la plus décorée de la seconde guerre mondiale, avec la 1re division française libre, et sous les ordres du futur maréchal Juin, Mohand Salah débarque en Italie où il participe notamment à la bataille de Monte Cassino. Il y est décoré pour la première fois. De nouveau embarqué sur un navire, dans le port de Civitavecchia, « nous croyions que nous retournions en Algérie, raconte-t-il depuis son petit appartement du quartier populaire de Ruisseau, à Alger. Nous voyions la Tunisie depuis le bateau, mais nous sommes directement allés à Saint-Tropez ».

« Nous étions comme des esclaves »

« Ah, mais nous n’avions pas droit à la parole », s’étonne-t-il de devoir préciser lorsqu’on lui demande si aucune information n’était livrée aux soldats. « C’était d’autant moins le cas que nous étions considérés comme insoumis. Nous étions… comme des esclaves. On ne pouvait pas rouspéter, il fallait suivre la marche et exécuter les ordres. » Il dit alors côtoyer peu de soldats français, voire non-algériens. S’il parle aujourd’hui d’un esprit de camaraderie entre les hommes, il ajoute qu’une seule chose comptait sur le front : « Sauver sa peau… ».

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Mohand Salah Hamrit , en uniforme.

Mohand Salah se souvient « comme si c’était hier » de la libération de Marseille, de la prise de la Poste Colbert et du quartier du Panier. Devenu caporal-chef, il remonte la vallée du Rhône mais finit par être blessé en octobre 1944 dans les Vosges, à la Tête des cerfs. « Un camarade chaoui, Barika Hijazi, blessé au pied, m’a pris sur son dos pour me ramener en arrière ». Dans l’ambulance se trouve un troisième Algérien, alors que l’infirmier est lui-même originaire d’Akbou, une ville voisine de Bejaïa. « Mohand Salah, chahed, chahed… ! » (« fais ta chahada », profession de foi qu’il est conseillé de prononcer à l’approche de la mort), lui dit ce dernier en panique, alors qu’il voit des bulles d’air se former au niveau de l’abdomen du blessé.

Sétif : nouveau terrain de guerre

Rassuré à l’idée que ses proches seront informés de sa disparition, Mohand Salah vivra finalement. Il est hospitalisé à Lyon avant d’être renvoyé à Oran puis à Sétif. Mais lorsqu’il se réveille, il retrouve un nouveau terrain d’affrontements. « Je regardais par la fenêtre de l’hôpital militaire et je voyais les gens s’entre-tuer. On ne comprenait pas exactement ce qui se passait. Des militaires et des civils s’en prenaient aux Algériens… Une semaine après, nous avons appris qu’il s’agissait d’une révolte. » Le 8 mai 1945, le monde fête la fin de la guerre, alors que la première réunion de l’Organisation des Nations unies vient de se tenir.

Lire aussi : « Sétif reste au cœur des relations franco-algériennes »

C’est le moment que des militants algériens choisissent pour faire entendre leurs revendications, de l’égalité des droits à l’indépendance, de manière pacifique. Mais à Sétif, un jeune homme portant un drapeau algérien est tué par un policier, ce qui provoque des émeutes et l’assassinat d’une centaine d’Européens.

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Ordre national de la Légion d'honneur, Mohand Salah Hamrit.

La plupart des chercheurs qui se sont penchés sur la question s’accordent à dire que les pertes algériennes, suite à la terrible répression menée par l’armée et les milices françaises dans ce qui était alors le Constantinois, dépassent le centuple des pertes européennes. C’est le général Duval, commandant de l’infanterie divisionnaire de la 3e DIA, signataire des décorations de Mohand Salah, qui est chargé du « rétablissement de l’ordre ».

« On se retrouvait les uns contre les autres »

Sur ces questions, les réponses de Mohand Salah ne fusent plus. Elles sont moins automatiques que pour d’autres pans de son histoire racontés tant de fois. Qu’a-t-il pensé de ce qu’il voyait ? « Ça fait quand même loin, ça va faire 69 ans… ? » interroge-t-il pour gagner du temps. « On n’avait pas le droit de penser… », ajoute-t-il, avant que son petit-fils, présent lors de l’entretien, n’insiste. « Que pensais-tu du fait que tu n’avais pas le droit d’exprimer… ? » « Après avoir combattu ensemble, on se retrouvait les uns contre les autres. Vous croyez que ça faisait plaisir ? Ça ne faisait pas plaisir de voir des camarades qui étaient avec vous devenir des ennemis… »

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Engagé comme « appelé », Mohand Salah est libéré comme « invalide de guerre » quelques semaines plus tard. Beaucoup témoigneront des massacres du 8 mai 1945 comme d’une cassure fondatrice dans leur engagement pour l’Algérie indépendante. Ce sera le cas de Mohand Salah. « Il n’y avait pas 36 chemins, bien que j’étais considéré comme Français grâce à mes médailles, il n’était pas possible de nier son origine. Quand ils (le Front de libération nationale, FLN) venaient, ou tu étais pour, ou tu étais contre », ajoute-t-il, lui qui n’était pas très politisé et qui cherchait d’abord à « gagner sa croûte ». Sa femme Djedjiga, qui l’a « attendu » durant son engagement en Europe, contre les conseils de son entourage, portera des armes et des médicaments dans sa poussette, en plein cœur d’Alger, pour le FLN. « Je les donnais à des types », se souvient-elle.

Mohand Salah a reçu la Légion d’honneur en décembre 2013. Il était présent en août dernier parmi les douze vétérans algériens invités au 70e anniversaire du débarquement de Provence. Ses premières décorations, il les a reçues après la guerre, dans un courrier, sans cérémonie. « Nous n’étions pas informés sur le front, il n’y avait même pas de félicitations ». Il se dit néanmoins fier. « Il y a de quoi ! On ne s’attendait pas à être récompensés pour nos efforts, même s’il est vrai qu’on ne pouvait pas faire autrement, nous étions des « Français musulmans » FM, fusils-mitrailleurs ! », s’amuse-t-il, assis sous son certificat de moudjahid accroché au mur.

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