Par Gilles Munier /
Le père Benjamin et l’Irak : de Tarek Aziz au calife Ibrahim
Dans « Irak – l’effet boomerang », son dernier livre*, le père Jean-Marie Benjamin révèle que Jacques Chirac a offert l’asile politique à Tarek Aziz, quelques mois avant l’agression américaine de l’Irak et le renversement du Président Saddam Hussein.
En novembre 2002, approché à Rome par la DGSE – le service secret français – le prêtre a accepté de transmettre le message au vice-Premier ministre irakien lors de la visite qu’il projetait de lui organiser au Vatican pour rencontrer le Pape Jean-Paul II.
Le 14 février 2003, loin des oreilles indiscrètes dans un des parloirs de la basilique d’Assise, le père Benjamin a présenté l’invitation du gouvernement français à Tarek Aziz. Touché par le geste de Jacques Chirac et Dominique de Villepin, le ministre a répondu qu’il ne pouvait accepter : « Je dois être à Bagdad, avec le peuple irakien qui va mourir sous les bombes. Je ne peux pas me sentir en sécurité alors que mon peuple sera dans la souffrance ».
Il est certain qu’une acceptation aurait aussitôt été montée en épingle dans les médias et interprétée en désertion, mais elle aurait fait de lui quelques mois plus tard la voix écoutée de la résistance irakienne à l’étranger. Dommage, mais on ne refait pas l’histoire.
Aujourd’hui – 12 ans plus tard – Tarek Aziz est emprisonné à Nassiriyah, dans le sud de l’Irak. Le régime de Bagdad l’y a transféré avec les anciens dirigeants irakiens, de crainte que l’Etat islamique ne les libère. Cardiaque, on se demande comment il parvient à survivre sans suivi médical sérieux. Son épouse qui a finalement pu le voir le dit très diminué. Il se déplace difficilement et est sujet à des pertes de mémoire. L’annonce faite par Nouri al-Maliki à son avocat de le libérer n’était qu’une promesse de campagne électorale, un coup médiatique pour améliorer son image.
Pas un James Bond, mais presque…
Jean-Marie Benjamin n’est pas un James Bond du Vatican, mais il pourrait y ressembler… C’est en tout cas un prêtre de choc. Pour ceux qui l’auraient oublié, il a été le premier occidental à violer l’embargo aérien de l’Irak, le 3 avril 2000. De 1997 à février 2003, – habillé en journaliste et cinéaste – il n’a eu de cesse d’alerter l’Italie et le monde de la tragédie humanitaire du peuple irakien et de dénoncer les effets de l’uranium appauvri utilisé par les Etats-Unis lors de la Première guerre du Golfe et pendant les 13 années de bombardements qui ont suivi.
Assistant du cardinal Casaroli – secrétaire d’Etat du Vatican – il s’est entretenu avec Tarek Aziz à de multiples reprises, ce qui lui a permis de réaliser « Tareq Aziz-The other truth » (s/t en français), un film qui a obtenu, en 2011, le Award du meilleur documentaire au Festival de Silent River (Irvine-Los Angeles).
« Daech peut remercier George W. Bush…»
Le père Benjamin consacre une partie de son livre à l’émergence de l’Etat islamique. Sans les Américains, écrit-il, l’Irak ne se serait pas retrouvé dans cette situation : « Ils élaborent des stratégies invraisemblables qui échouent. Ils interviennent alors sur le terrain, bombardent, provoquent des milliers de morts et réfléchissent ensuite à ce qu’il faut faire, improvisant un nouveau scénario, pas toujours réussi ». Mis à part les opposants arrivés dans les fourgons de l’armée US, il fallait s’attendre à ce que les Irakiens résistent.
Et, d’ajouter plus loin : « Le 10 septembre 2014, le secrétaire d’Etat John Kerry déclarait à Bagdad : « La barbarie des islamistes n’a sa place dans le monde moderne ». Des amis irakiens m’ont envoyé un message en ironisant « La barbarie américaine n’a pas non plus sa place dans le monde moderne à cet égard il faut se demander qui sont les plus barbares ; ceux qui sont occupés ou ceux qui occupent ? ».
Un livre à lire et à méditer, notamment concernant le rôle anesthésiant joué par ce que le père Benjamin appelle les « médias de service », qu’ils soient financés par des intérêts privés ou par des officines d’Etat. Le prêtre, qui intervenait de Bagdad en direct sur la RAI, sait de quoi il parle.
Le père Jean-Marie Benjamin, 69 ans, ancien fonctionnaire des Nations unies, a été ordonné prêtre en 1991. Il est compositeur – notamment d’opéras et de et l’hymne de l’UNICEF -, chef d’orchestre, réalisateur et producteur de films et écrivain (« Irak : l’apocalypse », et « Ce que Bush ne dit pas »).
* « Irak : l’effet boomerang », Ed. Balland, Paris, 2015 (cf. la vidéo de présentation du livre ci-dessous)
Photo: Jean-Marie Benjamin
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Interviews du père Jean-Marie Benjamin (Paris – avril 2015) :
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Vidéo de présentation du livre :