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18 avril 2024

Algérie/ Alain Ruscio : «Nous vivons un temps de révisionnisme colonial»


Algérie/ Alain Ruscio : «Nous vivons un temps de révisionnisme colonial»

Le Soir d’Algérie, 20 mai 2015

Le Soir d’Algérie : Votre ouvrage s’intitule Nostalgérie. Que recouvre ce néologisme et en quoi, selon vous, l’OAS et ses héritiers l’ont-ils confisqué ?
Alain Ruscio : En fait, je précise dans l’ouvrage qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un néologisme. Ou alors il est ancien (né dans les années 1920/25). Il recouvre une réalité humaine respectable : l’attachement à une terre où les aïeux étaient venus s’installer et/ou une terre natale… Le drame commence lorsqu’on constate que l’immense majorité des Européens ne se sont jamais interrogés sur le sort de ceux dont la France coloniale était venue voler le pays, la terre et jusqu’à l’identité, de ceux qu’ils appelaient les «indigènes». Après 1962, il y a eu une véritable captation frauduleuse de ce sentiment humain par les ultras, les activistes, regroupés autour de l’OAS. Ils ont voulu «bloquer l’Histoire», comme l’avait écrit Pierre Nora en 1961. Ils ont évidemment échoué, car l’Algérie devait devenir inéluctablement indépendante. Mais ils ont réussi en partie, hélas, à «bloquer la mémoire», à la fourvoyer vers les impasses du révisionnisme.

Aujourd’hui le FN s’applique à gagner une respectabilité. Pouvez-vous nous rappeler le rôle de Jean-Marie Le Pen, son père fondateur, dans la mouvance Algérie française ?
Jean-Marie Le Pen a été élu député en 1956 sur les listes les plus à droite, le mouvement Poujade. Lui et ses amis ont toujours été parmi les plus ardents défenseurs – souvent dans la violence – de l’Algérie française. Si Le Pen n’a jamais appartenu formellement à l’OAS, on sait par exemple qu’il fréquentait les activistes, qu’il a par exemple rendu visite à Salan et Susini début 1961 à Madrid, là où est née cette OAS. On peut imaginer qu’il participa à la stratégie de mise en place de cette organisation.

Qui étaient les alliés de l’OAS en métropole ?
On ne peut comprendre l’efficacité de l’OAS en métropole sans avoir en tête la multitude de ses relais. D’abord dans les rangs ouvertement fascistes et pétainistes, comme Jeune Nation ou l’hebdomadaire Rivarol. Mais également chez de respectables parlementaires, qui menèrent légalement le combat Algérie française, en s’opposant de plus en plus durement aux évolutions gaullistes. Sans oublier des intellectuels de droite, historiens, écrivains, journalistes, qui furent d’efficaces relais. Enfin, on sait aujourd’hui que l’OAS avait infiltré une partie de l’appareil d’État, armée bien sûr, police…

Qu’en est-il des rumeurs concernant le soutien actif de Valéry Giscard d’Estaing à l’OAS ?
Avant d’effectuer ce travail, j’employais moi aussi ce terme de «rumeurs». Après recoupement des témoignages, que je cite dans mon ouvrage, j’ai acquis la conviction qu’il y eut un «duo» Giscard (ministre des Finances)-Poniatowski (son chef de cabinet) qui eut des tendresses pour l’Algérie française, qui poussa cet attachement jusqu’à fournir des renseignements à l’OAS. Giscard a été accusé nommément et publiquement à plusieurs reprises, dès 1962.
Les «barons» du gaullisme le haïssaient pour cela. Mais il n’a jamais répondu. Il reste par contre une interrogation à laquelle je n’ai pas encore répondu : pourquoi de Gaulle, qui était forcément informé, ne l’a-t-il pas évincé ?

Comment expliquez-vous qu’il y ait eu paradoxalement beaucoup d’anciens résistants parmi les partisans de l’Algérie française ?
Il y avait plusieurs raisons de s’engager dans la Résistance française, toutes respectables. Parmi elles, un nationalisme, plutôt de droite. N’oublions pas que le premier appel de de Gaulle, en juin 1940, appelait à ne pas désespérer car la grandeur de la France était liée à l’Empire. Beaucoup de ces hommes – et de Gaulle lui-même – furent incapables d’imaginer que la notion d’indépendance nationale pouvait s’appliquer aux «indigènes», ces «sous-hommes». D’où l’enchaînement infernal : immédiatement après la capitulation nazie, massacres du Constantinois (mai 1945), guerre d’Indochine (1946-1954), répression de Madagascar (1947), guerre d’Algérie (1954-1962).

Vous dressez une sorte de typologie de l’activiste ultra. Qu’est-ce qui le caractérise ?
J’aurais plutôt tendance à écrire cette formule au pluriel. Car il y eut en fait des typologies. Les gens de l’OAS furent des civils ou des militaires, des gros colons ou des petits commerçants, des gens qui n’avaient jamais fait de politique auparavant ou des fascistes éprouvés…
En fait, ce qui les unissait était d’être «contre» : contre les droits des «indigènes», contre les initiatives des autorités de métropole, contre les intellectuels défaitistes, contre même le peuple de France, qui ne les comprenait pas. Et, par-dessus tout, contre l’indépendance de l’Algérie.
A part quelques éléments politisés, la plupart des activistes n’avaient qu’un seul programme : tuer les «meneurs FLN», bloquer toute évolution, revenir au «joli temps des colonies»…

Peut-on parler de peuple pied-noir, uni par une identité commune qui, comme certains l’ont affirmé, aurait majoritairement soutenu l’OAS ?
Il y avait sans aucun doute une unité du peuple pied-noir. Et il faut bien constater, hélas, que la majorité de ce peuple a suivi l’OAS, persuadée que cette organisation serait tout à la fois leur bouclier et leur épée. Quand un monde s’écroule, on est tenté d’écouter ceux qui disent qu’ils vont tout sauver. C’est humain. Il faut ajouter que les rares Européens d’Algérie lucides – les communistes, interdits dès septembre 1955, les libéraux, les légalistes, les chrétiens progressistes – furent contraints au silence, soit par l’assassinat soit par l’exil précoce.

Pour reprendre la question que vous soulevez dans votre ouvrage, pourquoi une telle mobilisation pour la restauration du passé colonial en France aujourd’hui ?
Une partie de la population française vit mal, très mal, ce qu’elle considère comme un déclin de la France. Or, les colonies, il n’y a pas si longtemps, étaient associées dans l’imaginaire collectif à la grandeur du pays. Il y a là comme une plaie qui ne cicatrise pas. Si l’on ajoute à cela le fait que des millions de personnes, au XXIe siècle, sont issus de cette histoire coloniale, que les descendants d’Algériens, de Marocains, de Tunisiens, d’Africains, de Vietnamiens, vivent désormais sur notre sol, sont Français, il y a chez certains comme une crainte de perte supplémentaire d’identité. Un lobby post-colonial puissant, actif, utilise démagogiquement cette situation, entretient le malaise. On dépasse ici largement, hélas, les contours des anciens de l’OAS, ou même des militants du Front national : des polémistes de bas étage, mais aussi des intellectuels de prestige (de l’Académie française…), des politiques de la droite classique s’engouffrent dans la brèche.
Nous vivons un temps de révisionnisme colonial. Mon ouvrage, parmi bien d’autres, est un cri, une invitation à entamer la reconquête de l’opinion. La contre-attaque est commencée, nous ne l’arrêterons pas.
Propos recueillis par M.-J. R.

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