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20 avril 2024

Algérie : A qui appartient la révolution de novembre? : Les autres acteurs oubliés


Opinion

A qui appartient la révolution de novembre? :
Les autres acteurs oubliés

Chems Eddine Chitour

Le Pr Chems Eddine Chitour

Jeudi 21 mai 2015

«Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie Ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie. Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau. Toute gloire près d’eux passe et tombe éphémère; Et, comme ferait une mère, La voix d’un peuple entier les berce en leur tombeau! Chaque jour, pour eux seuls se levant plus fidèle, La gloire, aube toujours nouvelle, Fait luire leur mémoire et redore leurs noms!»
Victor Hugo (Hymne)

Le 19 Mai 1956 a été un moment important dans le déclenchement de la Révolution de rupture dans l’évolution de la guerre de Libération nationale. Elle consacre l’entrée de la jeunesse intellectuelle (étudiants algériens) dans l’action révolutionnaire. Nous lisons le texte de référence: «Effectivement, avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres! (…) Il faut déserter les bancs de l’université pour le maquis. Étudiants et intellectuels algériens, pour le monde qui nous observe, pour la nation qui nous appelle, pour le destin héroïque de notre pays, serions-nous des renégats?»

Dans cette contribution je veux restituer ma part de vérité de ce que je crois savoir pour affirmer que la Révolution algérienne n’a pas été portée uniquement par les glorieux martyrs. Elle fut portée aussi et c’est tout à son honneur par la société algérienne quelles que soient les confessions d’alors, sans oublier tous les Européens d’Algérie et les Français de souche qui ont cru en la révolution. Ainsi, la notion de militant et de moudjahid devrait de mon point de vue être étendue à toutes celles et ceux qui ont porté haut et fort la voix de l’Algérie et les espérances du peuple pour la liberté et la dignité. Chacun avec ses moyens, même en tentant de survivre dans une atmosphère marquée par la haine est d’une certaine façon un atout, dont aurait besoin l’Algérie indépendante, qu’il s’agisse du plus humble des besogneux, de l’universitaire, du médecin, de l’homme de théâtre ou tout simplement l’Algérien lambda. Parmi les moudjahidine qui luttèrent d’une façon aussi difficile qu’avec les armes, nous allons citer, outre les étudiants, les hommes de lettres et de théâtre, l’équipe du football du FLN.

Dans le même ordre nous ne devons pas citer l’engagement dans des conditions difficiles des militants « Moudjahidines de la Fédération de France » qui appartenaient à juste titre à ce qu’on appelle « La septième Wilaya » dont l’un des membres actifs Maitre Ali Haroun a décrit l’épopée de ces Algériens qui croyaient en la révolution qui prirent des risques inouïes dans une « métropole hostile » , qui en payèrent le prix notamment avec les massacres de masse du 17 octobre 1961. Je n’oublie pas aussi de citer ces Européens ,ces « porteurs de valises » à l’image du philosophé Francis Jeanson, qui bravèrent les interdits et qui contribuèrent au financement de la Révolution.

Les intellectuels combattants

Qui se souvient des universitaires et intellectuels qui sont morts pour la patrie. Qui se souvient de ces jeunes filles et jeunes garçons qui ont quitté les bancs du lycée ou de la faculté pour entrer dans la clandestinité ou mourir au maquis? La liste est longue. Qui se souvient, un exemple parmi des centaines, de Taleb Abderahmane le spécialiste, chimiste de formation, qui fut le concepteur des engins explosifs artisanaux piètres réponses aux bombes de tout calibre et des bombes au napalm versées avec générosité sur des mechtas sans défense. Taleb Abderrahmane a eu une mort digne en face de la guillotine d’après son bourreau qui eut des regrets le concernant. Condamné à mort à trois reprises Taleb Abderahmane fut guillotiné le 24 Avril 1958.

Le macabre du guillotineur, Meyssonnier a exécuté en vingt ans quelque 200 personnes, la plupart durant la guerre d’Algérie. Ce qu’il résume à sa façon: «Pendant le FLN, c’était à la chaîne.» Les lunettes de Abderrahmane Taleb, furent retirées par l’exécuteur des sentences, Fernand Meyssonnier, (…)Dans le petit panier d’osier posé au pied de la machine, il a mis une paire de lunettes. Non, pas les siennes, mais celles d’un Algérien décapité pendant la guerre. Sur le coup, il a du mal à se rappeler son nom. «C’est celui qui préparait les bombes, vous savez? On l’avait surnommé le chimiste. C’est moi qui lui ai retiré ses lunettes. Je les ai gardées en souvenir», explique l’ancien bourreau.» (1)

«L’Algérie n’a toujours pas récupéré de la vente aux enchères les lunettes du martyr.

« Le jour de son exécution, l’injustice française de ce temps voulait lui amener un imam pour lui rappeler la chahada; Taleb Abderrahmane lui dit: «Prends une arme et rejoins le maquis» d’après un ancien condamné à mort, rescapé de la guillotine. (2)

Le théâtre algérien au service de la révolution

D’autres Algériens luttèrent à leur façon, pour l’indépendance de l’Algérie. Qui ne se souvient de Mustapha Kateb, qui fut le fer de lance du théâtre révolutionnaire algérien ou de Sid Ali Kouiret, grande figure du cinéma et du théâtre algériens récemment disparu. L’expression «Ali mout Wakef» du film L’opium et le bâton, a traversé plusieurs générations. En compagnie de Mohamed Boudia et Bouhired, Kouiret rejoint, en 1958, la troupe artistique créée par le FLN pour sensibiliser l’opinion internationale au combat du peuple algérien.

Il nous faut avoir à l’esprit que la grande majorité des révolutionnaires algériens n’avait pas trente ans (Didouche Mourad 28 ans, Taleb Abderahmane, Hassiba ben Bouali 19 ans Petit Omar 13 ans, Ali la Pointe 27 ans, Ben M’hidi 34 ans de la Révolution). Et dire que dans la famille révolutionnaire nous avons des enfants de moudjahed qui sont en âge d’être grands-pères mais qui sont toujours pupilles de la Nation…..

Ahmed Cheniki écrit à propos des combattants homme de théâtre : «Il n’est nullement imaginable qu’une lutte de libération ne s’accompagne pas d’une sorte d’encadrement artistique et littéraire. Des artistes et des écrivains s’étaient engagés dans une sorte d’écriture de témoignage et de combat. (…) De 1955 à 1957, le théâtre devenait un véritable art de combat. (…) L’Algérie était au coeur de l’entreprise dramatique. Mohamed Boudia et Mohamed Zinet qui maîtrisaient relativement bien les techniques de la scène s’illustraient par un extraordinaire dynamisme. (…). Boudia et Zinet tentaient de faire tout à la fois, de participer aux actions de la Fédération de France du FLN, d’expliquer inlassablement les objectifs du mouvement nationaliste. Ils animaient des rencontres et formaient de jeunes comédiens. (…)» (3)

«(..) De nombreux comédiens, cinéastes, chanteurs, musiciens et sportifs n’hésitèrent pas, écrit à juste titre Ahmed Cheniki, à franchir le pas et à se retrouver de l’autre côté de la barrière. Ils devenaient les porte-voix du Front de libération nationale. En 1958, au mois de février, a été officiellement créée la troupe artistique du FLN. Mustapha Kateb assurait la direction de cet ensemble qui avait pour mission de faire connaître le combat du peuple algérien et de diffuser le discours du Front (…) Elles traitaient de la lutte des Algériens pour leur indépendance. Le théâtre devenait en quelque sorte un porte-parole attitré de la révolution. (…) Les tournées dans l’ex-Urss, en Chine populaire et en Yougoslavie ainsi que dans les pays arabes participaient du projet politico-culturel du FLN. Les comédiens portaient le costume de l’Algérie combattante. (…) La direction du FLN cherchait, à travers cette expérience théâtrale, à compléter la formation politique et idéologique des militants et des combattants. (…) L’indépendance acquise, les comédiens composant cette troupe allaient constituer l’ossature centrale du nouveau Théâtre national.» (3)

La troupe artistique

Dans le même ordre, un des membres de la troupe artistique du FLN, Mustapha Sahnoune explique que la troupe artistique du Front de libération nationale, créée en 1958 à Tunis, comptait à sa création une quarantaine d’artistes algériens. Mustapha Sahnoun, qui a composé le chant patriotique A Yemmaa azizen (Chère mère), précise qu’«il s’agissait avant tout d’ouvrir un nouveau front pour donner la parole à la révolution algérienne loin des champs de bataille à travers les chants et les pièces théâtrales, afin d’oeuvrer pour la propagande et la diffusion de la légitimité de la lutte armée qui a résonné sur les scènes du monde entier et même au sein de l’ONU». Il a ajouté qu’«il était aussi important de contrecarrer la propagande de la France coloniale qui n’a cessé d’altérer et de dévaloriser le combat légitime des Algériens en les réduisant à de pauvres fellagas». Pour souligner ses propos, il a déclamé des extraits d’un poème du poète de la révolution Moufdi Zakaria, qui se terminait par les vers: «Nous sommes une armée de libération et non des fellagas.» (4)

L’équipe de football du FLN

Nous voulons saisir cette opportunité pour rendre hommage à ces géants, ces révolutionnaires sans médaille sans m’as-tu-vu sans course aux privilèges, qui humblement affirment qu’ils n’ont fait que leur devoir. Des milliers d’Algériens se sont battus de toutes les manières possibles pour l’indépendance du pays et l’immense erreur à l’indépendance a été de dicter la norme de ceux qui appartiennent à la famille révolutionnaire et de ceux qui n’y sont pas… Mustapha Zitouni qui avait tout pour être intégré à la société française en tant que brillant footballeur professionnel a préféré de tout laisser tomber et de repartir à zéro pour une certaine idée de l’Algérie. Rabah Saâdallah et Djamel Benfars débutaient leur ouvrage: «La glorieuse équipe du FLN» de la façon suivante: «Il était une fois des hommes qui sont allés jouer au foot loin de leur pays pour y gagner leur vie. Mais un jour, un des leurs a voulu les réunir, pour cela ils devaient partir, tout quitter, tout abandonner pour servir leur pays. Dès lors, ces joueurs se retrouvèrent comme métamorphosés par l’élan de générosité et de solidarité. Ils ont tout quitté, tout laissé et ont suivi la direction que leur dictait leur destin. Leur épopée ne fait pas figure de légende et ses héros en sont presque oubliés. Peut-être vont-ils entrer dans l’Histoire? Une certaine histoire du football algérien. Contacté par le FLN, comme la plupart des footballeurs d’origine algérienne évoluant en métropole, Mustapha Zitouni avait choisi d’abandonner ses ambitions en équipe de France et de quitter de nuit Monaco pour rejoindre la direction du mouvement clandestin à Tunis. Sa défection, en compagnie de celles d’autres internationaux français comme Rachid Mekhloufi ou Abdelaziz Bentifour, provoquera une tempête dans l’opinion française et contribua à médiatiser le conflit algérien, but ouvertement recherché par la direction du FLN. (5)

Devant l’anomie actuelle du parti du FLN, je ne veux garder du FLN que l’héroïsme de chacun pendant la révolution. A côté des maquisards, il y eut aussi les autres, qui ont donné une aura à la cause au plan diplomatique ou sur des terrains de foot où ils ont fait vibrer une centaine de fois l’hymne dans toutes les capitales du monde. L’équipe est fondée le 13 avril 1958. Le rôle de cette équipe est avant tout psychologique. L’équipe du FLN signe une tournée mondiale d’environ quatre-vingts rencontres, notamment en Europe, en Asie et en Afrique. Le communiqué du FLN qualifie ces joueurs de patriotes prêts à tout sacrifier pour l’indépendance et les présente comme un exemple de courage pour les jeunes Algériens.

Où en sommes-nous maintenant?

Il faut restituer le FLN marqueur indélébile de la dignité et de l’Histoire de l’Algérie, à toutes les Algériennes et tous les Algériens sans exception et non le laisser otage d’une «évanescente famille révolutionnaire». La vraie identité des Algériens est ce droit et ce devoir de «vivre ensemble que l’on soit de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud. Durant la révolution, le travail remarquable des révolutionnaires universitaires algériens à l’ONU, mérite d’être souligné. En effet, la seule inscription chaque année de la «question algérienne» de la session annuelle des Nations unies, avait autant d’impact où les combattants de l’ALN se comportaient de façon héroïque. Les intellectuels de la révolution ont donc donné un contenu scientifique et culturel à la révolution en utilisant toutes les ressources de l’intelligence pour combattre la fausse image propagée par la France concernant les moudjahidine présentés comme des sauvages égorgeurs face à une nation civilisée.

Que reste-t-il des nobles idéaux qui ont animé les lycéens et les étudiants algériens de cette époque? A première vue on constate, comme l’écrit si bien Max Weber, «un désenchantement du monde». Que reste-t-il du FLN mythique qui faisait trembler l’oppresseur? Rien! Tragiquement rien! si ce n’est le triste spectacle de militants du troisième âge qui s’étripent à qui mieux mieux sous l’oeil indifférent d’une jeunesse qui contemple la comédie humaine de l’appât du pouvoir.Honnêtement combien y a-t-il de militants sincères qui cotisent, qui prennent sur leur temps en dehors de leurs heures de travail pour militer et porter la bonne parole fruit de leur conviction et de leur amour pour le pays. En clair, quelle est la valeur ajoutée d’un chef de parti et de sa capacité de nuisance réelle et d’une surface électorale supposée. (6)
Il nous faut rendre à César ce qui appartient à César. Le FLN pour lequel tant de vaillants patriotes ont milité, souffert et en définitive donné leur vie n’est pas le FLN actuel. Il faut restituer le FLN marqueur indélébile de la dignité et de l’Histoire de l’Algérie, à toutes les Algériennes et tous les Algériens sans exception et non le laisser otage d’une «évanescente famille révolutionnaire» dont on ne connaît aucune prouesse capable d’être signalée.
À bien des égards, ce qui nous arrive, est arrivé parce que nous n’avons jamais placé l’intérêt supérieur du pays au-dessus des intérêts personnels. Trois Algériens sur quatre sont nés après l’Indépendance. Ils n’ont qu’un lointain rapport avec l’Histoire de leur pays qui, il faut bien le dire, a été prise en otage. Il est illusoire de croire que des leçons de morale à l´ancienne peuvent emporter l´adhésion d’une jeunesse facebookisée. Elle a besoin pour être convaincue d´une vision globale de société qui ne doit abdiquer aucune des composantes de sa personnalité.

Nos étudiants actuels, à leur corps défendant, ne connaissent pour la plupart, rien des enjeux du monde, des stratégies, bref, ils ne croient plus à rien, Ils ont en tant qu’intellectuels potentiels, l’espoir de voir, un jour, l’Algérie mettre en oeuvre, dans ce nouveau siècle, une autre légitimité, celle du mérite qui est le plus sûr garant pour mener une bataille autrement plus incertaine, celle de la survie, dans un monde qui ne fait pas de place aux plus faibles intellectuellement. Le djihad contre l´ignorance est un djihad toujours recommencé, c´est, d´une certaine façon, le «grand djihad» sans médaille, sans m´as-tu-vu, sans attestation communale, sans bousculade pour des postes honorifiques qui ne sont pas le fruit d´une quelconque compétence, mais, assurément, d´une allégeance suspecte.

Le moment est venu de substituer aux rentes de situations, pour le bien de ce pays, une nouvelle échelle sociale basée sur le savoir et le savoir-faire et la méritocratie. Il nous faudra aussi faire aimer ce pays à nos jeunes dont 75% sont nés après l’indépendance. Ils pourront, si on sait y faire inventer un nouveau 19 Mai 1956 avec les outils du XXIe siècle du Web 2.0, une nouvelle révolution de l’intelligence. Ils seront des citoyens fiers de leurs trois mille ans d’histoire, assumant leurs identités et résolument tournés vers l’avenir.

Le seul bien qui nous restera, notre bien le plus précieux, la prunelle de nos yeux, ce sont nos enfants que nous devons bien former, bien structurer pour avoir des grilles de décodage du monde. C’est peut-être là aussi un message posthume de nos aîné(e)s élèves et étudiant(e)s qui ont, abandonné un relatif confort pour défendre jusqu’au sacrifice suprême ce pays qui nous tient tant à coeur.
1. http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2002/09/16/le-bourreau-d-alger_290493_3208.html#Jib52zdfZxrBYKeV.99

2. http://boudia.typepad.com/blog/2014/05/cafe-litteraire-du-21-mai-2014-ce-mercredi-21-mai-2014-dans-sa-s%C3%A9ance-coutumi%C3%A8re-le-caf%C3%A9-litt%C3%A9raire-d.html
3.A. Cheniki http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2012/11/01/article.php?sid = 140953&cid=16

4. http://french.irib.ir/afrique/opinions/item/295634-du-r%C3%B4le-important-de-la-troupe-artistique-du-fln-lors-de-la-r%C3%A9volution

5. http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/187583-l-algerie-des-valeurs-en-deuil.html
6. http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_chitour/180227-de-quoi-sera-fait-l-avenir.htm

Article de référence : http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur _chitour/216447-les-autres-acteurs-oublies.html

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 

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Source : Chems Eddine Chitour
http://chemseddine.over-blog.com/…
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