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25 avril 2024

Québec: Le leurre jihadiste et notre marché des illusions


ITRI – INSTITUT TUNISIEN DES RELATIONS INTERNATIONALES

Québec: Le leurre jihadiste et notre marché des illusions

focusLe leurre jihadiste et notre marché des illusions
À en juger par la chronique des derniers mois, l’engagement jihadiste séduit un nombre conséquent de jeunes Québécois musulmans qui semblent sincèrement croire que cette voie représente une solution viable à leurs problèmes. Pourquoi ?

Le leurre jihadiste et notre marché des illusions
À en juger par la chronique des derniers mois, l’engagement jihadiste séduit un nombre conséquent de jeunes Québécois musulmans qui semblent sincèrement croire que cette voie représente une solution viable à leurs problèmes. Pourquoi ?
Ces jeunes sont clairement en quête d’une solution à des problèmes et ils peuvent côtoyer dans leur entourage des individus qui leur présentent le jihadisme comme étant cette solution. Certains de leurs problèmes nous sont par ailleurs amplement connus : il y a d’abord les injustices qui frappent les contrées lointaines de l’islam, en Afrique comme en Asie, et il y a ensuite la haine islamophobe qui se déverse abondamment ici même au Québec et au Canada. Enfin, il y a surtout les conséquences de ces injustices sur ces jeunes : la souffrance à distance et la stigmatisation au quotidien.
Devant ces drames, que proposons-nous à nos jeunes ? Rien, si ce n’est ce qui leur rend la situation plus insupportable. Après chaque insulte, chaque gifle, chaque reportage dégradant, chaque loi liberticide, et surtout après chaque bombardement, ils nous entendent leur dire à quel point ils le méritent, eux et les leurs. Et comme pour doubler nos torts de deux affronts, nous exigeons qu’ils remercient en criant à tue-tête leur adhésion aux valeurs d’un Occident triomphant, et nous leur enjoignons, ainsi qu’à leurs coreligionnaires, de réformer leur religion, qui serait, selon certains, la racine des maux dont ils souffrent.
Après chaque insulte, chaque gifle, chaque reportage dégradant, chaque loi liberticide, et surtout après chaque bombardement, ils nous entendent leur dire à quel point ils le méritent, eux et les leurs.
Les maîtres-jihadistes ne philosophent pas tant ; ils proposent plutôt aux jeunes une solution concrète. En découdre avec l’ennemi, quitte à verser le sang, le leur et celui de leurs victimes éventuelles. Cette potion magique leur paraît d’autant plus séduisante qu’elle les arrache à leur désespoir et qu’elle se présente sous les apparats d’idéaux humanitaires et/ou religieux. Tuez-les-tous, ici ou là-bas, qu’importe, et si vous n’obtenez pas la justice ici-bas, vous aurez le paradis dans l’au-delà. Voilà, en gros, ce que vendent les marchand de la mort à nos jeunes. Et, bien que criminelle et anti-islamique, cette formule fonctionne. Alors, encore une fois, pourquoi ?
En partie parce que, aussi simpliste qu’elle soit, la pseudo-solution jihadiste fait écho à des problèmes réels. Mais elle profite également de son instrumentalisation par ceux-là même qu’elle prétend combattre. En effet, sans l’ombre d’un doute, le jihadisme est au service des rentiers des industries de l’impérialisme et de l’islamophobe. Pour s’en convaincre, il suffit de poser la question de son bilan. Censé libérer le monde de l’islam des potentats locaux et de l’emprise (néo)coloniale, il ne fait en réalité que déstabiliser les États et déchirer les sociétés à majorité musulmane au bénéfice justement de ces mêmes potentats et de cette même emprise.
Le jihadisme s’illusionne par ailleurs sur sa capacité à affaiblir les maîtres iniques de ce monde en leur causant un double problème, sécuritaire et économique. Il croit que sa terreur les fait trembler, cependant qu’il reconnaît lui-même, statistiques à l’appui, que ses méfaits ne constituent qu’une infime proportion des actes terroristes perpétrés en Occident. Ainsi donc, les maîtres-jihadistes savent bien que le sentiment d’insécurité qu’ils causent au sein des sociétés civiles occidentales est fonction de l’amplification qu’un système médiatico-politique, sous contrôle et bien rodé à la manipulation, veuille bien accorder à leurs actes. Or, loin d’être une gracieuseté de ce système et de ses maîtres financiers, cette amplification, dont le jihadiste est donc l’allié objectif, participe d’une stratégie qui vise à diaboliser une religion et déshumaniser ses adeptes afin de construire les consensus nécessaires à la poursuite de leur domination. Elle autorise par ailleurs, au cœur même de l’Occident, l’accélération du démantèlement de l’État-social au bénéfice de l’État-du-tout-sécuritaire.
Le jihadisme s’illusionne par ailleurs sur sa capacité à affaiblir les maîtres iniques de ce monde en leur causant un double problème, sécuritaire et économique.
Alors, pour la troisième fois, pourquoi nos enfants se fourvoient au sujet de l’impasse jihadiste ? La réponse est simple : parce que, si le jihadisme est une mauvaise solution à de vrais problèmes, la seule alternative que nous leur offrons est une excellente solution à de faux problèmes. Loin d’eux, nous concevons des programmes censés les éloigner de cette impasse en contrant leur éventuelle radicalisation. Nous voulons ainsi combattre cette radicalisation par des contre-récits théologiques qui s’apparentent à un endoctrinement à l’envers, en rivalité avec les mensonges des maîtres-jihadistes. Ils leur vendent une lubie concrète, nous cherchons à être meilleurs vendeurs en leur offrant un discours creux sur le pacifisme de l’islam et la grandeur de la société démocratique.
Ce marché des illusions doit fermer ses portes. Nos jeunes ont plutôt besoin qu’on leur offre une alternative crédible au jihadisme. Pour ce faire, nous devons d’abord leur faire savoir que, comme eux, nous souffrons de ce qui les fait souffrir et que, en plus de cette souffrance commune, nous souffrons de leur souffrance. Qu’ils sachent aussi que leur cause est la nôtre et que nous sommes prêts à nous y engager et à assumer les sacrifices qu’elle exige, mais loin de toute violence qui ne sert au bout du compte que les intérêts mesquins de ceux qui savent l’instrumentaliser. Nous devons également assurer à nos jeunes des espaces sécuritaires où ils peuvent exprimer leurs griefs sans risquer d’être stigmatisés à cause de leur religion ou signalés aux services de sécurité comme des radicalisés potentiels. Nous devons aussi leur fournir des mentors qui puissent rentrer en dialogue avec eux, aussi bien sur le plan politique, citoyen ou religieux, pour déconstruire la solution jihadiste, ce leurre qui ne sert pas leur cause. Il est par ailleurs urgent de leur offrir des initiatives aussi bien humanitaires que politiques en vue de travailler concrètement à résoudre les injustices dont ils souffrent. Enfin, soyons honnêtes avec nos jeunes : bien que sobre, la voie que nous leur proposons est immensément difficile. Elle consiste en un véritable jihad. Celui du travail quotidien, du don et de la patience. Ce jihad est en fait le seul qui peut leur garantir de cueillir un jour les fruits qu’ils convoitent : la justice et la dignité pour nous tous, ici comme ailleurs.
Sonia Djelidi, activiste et militante des droits humains et membre de la Collective des Féministes musulmanes du Québec
Nadia Touhami, membre de la Collective des Féministes musulmanes du Québec
Bochra Manaï, docteurE en Études Urbaines et membre de la Collective des Féministes musulmanes du Québec
Aziz Djaout, chercheur en contre/dé-radicalisation et instigateur de cette lettre

Québec 12/06/2015

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