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20 avril 2024

Mgr Peter Kodwo Appiah Turkson : « François se fait l’interprète des victimes de la crise écologique »


 JEUNE AFRIQUE

Mgr Peter Kodwo Appiah Turkson : « François se fait l’interprète des victimes de la crise écologique »

Le 18 juin, le pape a rendu publique une encyclique consacrée à l’écologie. Président du Conseil pontifical Justice et Paix, le cardinal ghanéen, qui a participé à l’élaboration du texte, répond à Jeune Afrique.

Créé cardinal en 1992 par Jean-Paul II, l’ancien archevêque de Cape Coast a été nommé par Benoît XVI à la tête du Conseil pontifical Justice et Paix en octobre 2009 – il avait été, peu de temps auparavant, rapporteur général du synode africain. Depuis, Peter Turkson, 66 ans, porte la voix de l’Église catholique sur les questions sociales, environnementales et économiques. Pour la rédaction de sa nouvelle encyclique, le pape François a fait appel à de nombreux experts et scientifiques, dont le cardinal ghanéen, qui, avec son équipe de Justice et Paix, a écrit une première ébauche de Laudato si’ (« Loué sois-tu », titre inspiré du cantique des créatures de saint François d’Assise). Le 18 juin, il a participé à la présentation de l’encyclique dans la salle de presse du Vatican.

Jeune Afrqie : Le pape François est-il dans son rôle en évoquant le climat et l’environnement ?

Mgr Peter Turkson : C’est la crise écologique actuelle, son urgence et son évolution rapide qui justifient l’intervention du pape, bien que le climat et l’environnement semblent, à première vue, ne pas relever du domaine moral. Il est inacceptable qu’un problème d’une si grande importance pour le présent et le futur de l’humanité soit laissé aux scientifiques et aux hommes politiques. François veut donc susciter un dialogue entre les diverses traditions, scientifiques, politiques, économiques, culturelles, philosophiques, mais aussi théologiques. Étant le chef spirituel d’une religion qui représente plus de 1 milliard d’habitants de cette planète, il a le droit d’élever sa voix au nom de l’humanité et de la création, qui gémit de douleur.

Est-ce la première fois que l’Église se prononce sur l’écologie ?

Non, puisque les papes Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI ont tous abordé cette question sous un angle précis. À cela s’ajoutent les enseignements qui nous viennent de la tradition judéo-chrétienne, donc essentiellement de la Bible, sur tout ce qui concerne la création. Selon cette tradition, Dieu a créé l’homme, l’a placé dans un jardin avec d’autres créatures et lui a donné une mission précise : cultiver et soigner ce jardin avec tout ce qu’il contient. En revanche, c’est la première fois qu’un document de l’Église, en l’occurrence une encyclique, est entièrement consacré à la sauvegarde de la création, ou de ce que le pape appelle « la maison commune ».

En quoi l’autorité morale du pape peut-elle changer la donne écologique ?

L’importance de l’encyclique se faisait déjà sentir avant même sa publication. Le document était très attendu, spécialement par ceux qui ont des raisons de craindre l’intervention d’une voix si autorisée sur une question aussi sensible. Le fait que le pape porte ce débat sur la place publique et qu’il se fasse l’interprète d’innombrables victimes de la crise écologique ne peut plus laisser les protagonistes de ce drame indifférents.

Les responsables politiques et économiques ne peuvent plus se soustraire à l’examen de leurs responsabilités.

Je pense que les responsables politiques et économiques, ceux des institutions financières internationales en particulier, voire des multinationales et autres entreprises qui s’enrichissent sur le dos des pauvres en pêchant dans des eaux troubles ne peuvent plus se soustraire à l’examen de leurs responsabilités. Ils doivent trouver les moyens de prendre soin de la maison commune, avec le souci de léguer aux générations futures un environnement sain et durable. C’est une question fondamentale de solidarité et de justice. Et cela exige un processus éducatif pour tous, ainsi qu’un changement des comportements et des styles de vie.

L’encyclique souligne la responsabilité des pays développés dans la dégradation de l’environnement. Est-ce une bonne nouvelle pour l’Afrique ?

Certes, les pays développés ont une grave responsabilité dans la dégradation de l’environnement des pays en voie de développement, souvent avec des complicités locales, et cela a des coûts que ces derniers, spécialement en Afrique, ne peuvent supporter. Voilà pourquoi le pape appelle à « une nouvelle solidarité universelle ». Cette approche solidaire devrait interpeller les pays développés et les obliger à prendre les mesures qui s’imposent pour y remédier. L’Afrique est le continent où les « péchés écologiques », les crimes contre l’environnement sont commis au vu et au su de tout le monde, dans l’indifférence générale. Il est donc heureux que le problème soit soulevé par la plus haute autorité de l’Église, qui joint sa voix à celles de nombreuses conférences d’évêques d’Afrique et d’ailleurs.

À six mois de la Conférence sur le changement climatique à Paris, Laudato si’ peut-elle aider les dirigeants et responsables mondiaux ?

L’encyclique n’est pas passée inaperçue. Elle interpelle au premier chef les dirigeants politiques, car ce sont eux qui doivent changer le cours des choses et trouver des solutions urgentes à la crise écologique en prenant en compte toutes les dimensions de l’homme, de façon durable. L’opinion publique est alertée, et les organisations de la société civile ont pris conscience des conséquences néfastes de cette crise. Je pense que les responsables qui se réuniront à Paris ne peuvent faire la sourde oreille, comme si de rien n’était, et continuer d’ignorer la voix du peuple, du faible, de l’opprimé, des populations indigènes et locales qui souffrent des changements climatiques et de la dégradation de leur environnement naturel et humain.

Pourquoi établir un lien entre crise écologique et crise sociale ?

Il existe ainsi un lien étroit et un conditionnement réciproque entre l’homme et la société dans laquelle il vit.

Un des principes qui traversent comme un fil rouge l’encyclique est « la conviction que tout est lié dans le monde ». Ce leitmotiv s’applique tout particulièrement aux relations entre l’homme et la nature. Le pape écrit qu’il faut « une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère envers les êtres humains et à un engagement constant pour les problèmes de la société ». Il est par ailleurs évident que des sociétés dont la vie est fondée sur un système économique donné, l’agriculture ou la pêche par exemple, sont forcées à la migration lorsque leur environnement naturel est transformé et ne leur permet plus de vivre en harmonie avec lui. Pensons à la désertification, à la pollution des eaux et de l’air et à toutes sortes d’autres dégâts. Il existe ainsi un lien étroit et un conditionnement réciproque entre l’homme et la société dans laquelle il vit. Toute dégradation de l’homme a des répercussions sur son environnement, et toute dégradation de l’environnement favorise la dégradation morale et sociale.

Pourquoi le pape a-t-il choisi de s’adresser aussi aux non-catholiques ?

Il convient de rappeler que Jean XXIII avait, en 1963, adressé son encyclique Pacem in terris sur la paix entre toutes les nations non seulement « aux fidèles de l’univers », mais aussi « à tous les hommes de bonne volonté ». Ses successeurs ont continué cette tradition, spécialement dans le cas de documents à caractère social. S’inscrivant dans cette ligne, le pape François souhaite s’adresser à chaque habitant de cette planète et « entrer en dialogue avec tous au sujet de notre maison commune ». Il en va de l’avenir de l’humanité et il est important que toutes les religions apportent leur contribution à la construction d’un monde solidaire. Comme dit le pape, « rien de ce monde ne nous est indifférent ».

Il est d’ailleurs symptomatique que beaucoup de réactions positives à l’encyclique soient venues de non-catholiques et de non-chrétiens. C’est une indication claire que les sujets abordés dans ce document et le langage utilisé vont au-delà du catholicisme. Raison pour laquelle le pape a choisi de s’inspirer de la figure de saint François d’Assise, qui est « le saint patron de tous ceux qui étudient et travaillent autour de l’écologie » et qui est « aimé aussi par beaucoup de personnes qui ne sont pas chrétiennes ».

Marie Villacèque

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