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24 avril 2024

DAECH : le piège dans lequel nous ne devons pas tomber…


BOULEVARD VOLTAIRE
02/07/2015
DAECH : le piège dans lequel nous ne devons pas tomber…
Nous voir passer d’une juste condamnation de l’islamisme, d’une mobilisation générale contre ses crimes, d’une assistance matérielle et militaire aux peuples que Daech met en danger de mort physique et morale à une islamophobie systématique et agissante comblerait les vœux de ces manipulateurs fanatiques.
Journaliste et écrivain
Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d’une vingtaine de romans et d’essais. Co-fondateur de Boulevard Voltaire, il en est le Directeur de la Publication

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Le chiffre est tout simplement affolant : aux dernières nouvelles, Daech met en ligne entre 80.000 et 100.000 soldats, dont 20.000 venus de l’étranger. Ces combattants, mieux équipés, plus aguerris, plus motivés, hélas, que leurs adversaires, sont capables, comme nous le constatons tous les jours, au minimum de faire jeu égal avec l’armée irakienne, les forces loyalistes syriennes, voire les invincibles peshmergas kurdes et de les tenir en respect, au pire de les mettre en déroute.

Voyons les choses en face : en l’absence de toute intervention extérieure au sol et en dépit des frappes aériennes de la « coalition », cela signifie que l’État islamique peut tranquillement renforcer son emprise sur le territoire, vaste comme la Grande-Bretagne, sur lequel il a étendu son ombre noire et en faire la base arrière de nouvelles conquêtes. Bagdad et Damas ne sont désormais pas plus hors de portée du calife autoproclamé à Mossoul que l’Elysée de Marine Le Pen, c’est tout dire…

En attendant de passer à la suite du programme, puisque l’objectif final n’est rien de moins, ne l’oublions pas, que l’unification du monde musulman sous la bannière djihadiste — un rêve fou qui prend de jour en jour plus de consistance sous nos yeux consternés — Daech met en œuvre une stratégie patiente et concertée et ne cesse d’ouvrir de nouveaux fronts.

C’était cette semaine au tour de l’Egypte de subir des assauts contre lesquels le maréchal Al Sissi était supposé la garantir. La destitution du président Morsi, l’arrestation de 42.000 adeptes des Frères musulmans, la répression de toute manifestation, l’interdiction de toute expression dissidente, les condamnations à mort en série n’y ont rien fait. L’assassinat du procureur général qui les avait requises, et surtout les opérations de grande envergure lancées contre la police et l’armée gouvernementales au cœur d’une province du Sinaï qui semble bien hors de contrôle ont révélé la force de Daech et donnent à penser sur la solidité d’un régime moins fort qu’il ne le prétend. Ce sont de véritables actions de guerre qui ont mis aux prises l’aviation égyptienne et les guérilleros djihadistes. Ce qu’espère, bien loin de le redouter, ce qu’attend Daech, ce sont des représailles assez massives, assez brutales, assez sanglantes pour faire revenir aux Frères musulmans l’adhésion des masses paupérisées. Il peut y compter et en tirer profit.

Il a suffi, en Tunisie, de l’action d’un seul homme pour mettre en lumière les fragilités d’une démocratie et d’une économie qui sont étroitement liées. L’assassin de Sousse, en portant un coup fatal au tourisme, ressource vitale du pays, a frappé à un endroit particulièrement sensible. La crise qui en découle menace de faire voler en éclats le mariage de raison contracté entre les tenants d’une Tunisie occidentalisée et le parti Ennadha et de voir une partie de la population se retourner contre une classe politique réputée incapable de la protéger contre la violence et la misère.

Compte tenu de réalités démographiques, géopolitiques et psychologiques qu’ils connaissent parfaitement, les dirigeants de Daech n’imaginent pas, à ce stade, de faire basculer le monde occidental – Etats-Unis en tête, Europe et France – dans la « soumission ». En faisant planer sur nous une menace permanente d’attentats, et en passant quand ils le peuvent à l’action, ils poursuivent deux buts. Le premier est de dissuader toute velléité d’interventionnisme dans leurs affaires, but particulièrement facile à atteindre dans un contexte où gouvernements et opinions sont échaudés par les échecs et les fiascos irakien et afghan. Le second est de creuser, d’élargir, d’approfondir jusqu’à le rendre infranchissable le fossé creusé par les événements entre les minorités musulmanes établies dans nos pays et le reste de la population, de susciter un climat de défiance, d’hostilité, de haine favorable au recrutement de volontaires de la mort.

Nous voir passer d’une juste condamnation de l’islamisme, d’une mobilisation générale contre ses crimes, d’une assistance matérielle et militaire aux peuples que Daech met en danger de mort physique et morale à une islamophobie systématique et agissante comblerait les vœux de ces manipulateurs fanatiques. Toutes les fois que l’on est tenté, emporté par une indignation sincère ou surjouée, de céder aux facilités, aux dérives, aux délires d’une islamophobie galopante, d’extrapoler des assassins tous musulmans aux musulmans tous assassins, de faire peser sur tous la responsabilité des crimes de quelques-uns, qu’on se demande à qui cela fait plaisir, de qui on fait le jeu. Le terrorisme djihadiste est un piège tendu par la barbarie à la civilisation. N’y tombons pas.

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