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29 mars 2024

« La lutte pacifique pour les droits de l’homme dérange le régime algérien »


 JEUNE AFRIQUE

Yacine Zaïd : « La lutte pacifique pour les droits de l’homme dérange le régime algérien »

Le militant algérien des droits de l’homme Yacine Zaïd a été arrêté le 1er octobre à l’entrée d’Hassi Messaoud. Placé en détention provisoire pendant une semaine, il a été condamné le 8 octobre à six mois de prison avec sursis pour « outrage à agent de l’ordre public ». Arrestation brutale, séjour en prison, harcèlement de la part des services de sécurité… Jeune Afrique a recueilli le témoignage de cette figure de la société civile algérienne.

Lundi 1er octobre, le militant des droits de l’homme Yacine Zaïd quitte Ouargla pour Hassi Messaoud, à 800 km au sud d’Alger. Syndicaliste renommé, il a rendez-vous avec des travailleurs du secteur pétrolier. Quelques kilomètres avant l’arrivée, le bus dans lequel il voyage s’arrête devant un poste de police, à l’entrée de la ville. Yacine Zaïd ne s’inquiète pas, pense qu’il s’agit d’un simple contrôle de routine. Les policiers vérifient l’identité de tous les passagers. Tous récupèrent leurs papiers. Sauf lui. Il est alors conduit à l’intérieur du poste.

Son premier réflexe est d’appeler ses collègues de la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH) – dont il est membre – pour les prévenir de son arrestation. Les agents de police lui ordonnent de lâcher son téléphone portable. Une fois à l’intérieur, ils lui disent qu’il est « recherché », l’intimident, le bousculent. Le ton monte. Menottes aux poignets, il est, dit-il, insulté et giflé par les policiers qui l’accusent d’avoir voulu frappé un des leurs.

Yacine Zaïd passe la nuit au commissariat central de Ouargla. Le lendemain, il est conduit dans le bureau du procureur. Le magistrat ordonne sa mise sous mandat de dépôt et sa mise en examen pour « outrage à agent de l’ordre public ». Sa comparution devant le juge est alors fixée au 8 octobre. En attendant, le représentant de la LADDH à Laghouat est placé en détention provisoire à la prison de Ouargla.

La société civile, les réseaux sociaux et les médias s’emparent rapidement de l’affaire. Le sort de Yacine suscite une vague d’indignation et de nombreux Algériens organisent des mobilisations de soutien à travers le pays. Le lundi 8 octobre, la juge du tribunal de Ouargla coupe la poire en deux. Menacé de six mois de prison ferme, le militant est finalement condamné à six mois avec sursis, assortis de 10 000 dinars d’amende. Désormais libre, chez lui, à Laghouat, Yacine Zaïd raconte sa version des fait.

Jeune Afrique : Comment vous sentez-vous ?

Yacine Zaïd : Je suis encore ému. C’est assez extraordinaire toute cette solidarité autour de moi. Je commence à voir que les gens se sont beaucoup mobilisés pour moi, que je ne suis pas seul.

Que s’est-il passé au poste de police, à l’entrée d’Hassi Messaoud, le lundi 1er octobre ?

Après le contrôle d’identité des voyageurs, les policiers ne m’ont pas rendu mes papiers. Ils m’ont dit : « on a besoin de toi au poste ». Je suis habitué à ce genre d’interrogatoires. Dès que je me déplace, on m’interpelle, on me demande ce que je fais, où je vais, pourquoi, etc… Ensuite, ils ont dit au bus de partir sans moi. J’ai commencé à protester, en leur disant que j’étais fiché auprès des services de sécurité et qu’il suffisait juste de signaler mon passage à Hassi Messaoud. Ils m’ont répondu : « Non, vous êtes recherché, c’est un ordre de la DRS [Département du Renseignement et de la Sécurité, NDLR] ».

À la prison de Ouargla, ils sont en train de fabriquer des ennemis de l’État algérien.

Ils ont commencé à hausser le ton, à m’insulter. Ca sentait le coup monté, ils me provoquaient. J’étais certain que c’était filmé et je faisais donc attention à ce que je disais. J’ai simplement répondu que j’étais citoyen algérien, militant des droits de l’homme et que j’avais le droit de me déplacer sur le territoire. C’est là qu’un policier a commencé à crier « Quoi ? Vous voulez me frappez ? Vous voulez me tuer ? ». Puis ils m’ont menotté les mains dans le dos et ont commencé à me gifler. Dès que je baissais la tête, un policier me la relevait pour me donner des coups. Leur haine m’a surpris.

Vous avez ensuite été conduit au commissariat central de Ouargla puis chez le procureur… 

Oui. Que ce soit au siège de la sûreté à Ouargla ou chez le procureur, on a d’abord essayé de me faire comprendre qu’on pouvait discrètement régler cette histoire, à l’amiable. Je leur ai répondu que c’était hors de question, que j’allais porter plainte contre le policier qui m’avait tabassé et humilié. Au final, j’étais poursuivi pour outrage contre un agent de police et on m’a placé en détention provisoire à la prison de Ouargla.

Comment s’est passée cette semaine en prison ?

Horrible. Là-bas, ils sont en train de fabriquer des ennemis de l’État algérien. En une semaine, ils m’ont donné l’occasion de recueillir des histoires que je n’avais jamais entendues ou lues dans des rapports d’ONG, en plusieurs années d’activité. Un jeune homme m’a raconté qu’on l’avait attaché pendant des heures à son lit, serré fortement les testicules avec du fil, avant qu’on lâche un chien pour les lui lécher. Il y a plein de témoignages comme ça. Les deux premiers jours c’est vrai que j’avais peur. Après, j’ai appris que beaucoup de gens se mobilisaient pour moi à l’extérieur. Je n’étais pas un prisonnier comme les autres, donc je n’ai pas eu de problèmes.

Le 8 octobre, la juge du tribunal de Ouargla vous a finalement condamné à six mois avec sursis…

Le message est clair : « il y a une ligne rouge, ne t’approche pas plus de l’industrie pétrolière ».

(Il coupe) Oui, c’est un avertissement. Le message est clair : « il y a une ligne rouge, ne t’approche pas plus de l’industrie pétrolière ». À n’importe quel moment, je peux être à nouveau arrêté pour un prétexte quelconque. La juge elle-même me l’a bien dit : dans les cinq ans à venir, le moindre problème peut m’envoyer six mois en prison. Mais je continuerai à me battre, à dénoncer.

Cette situation n’est-elle pas trop dure à supporter ?

C’est un peu difficile. Je ne sais pas comment je vais faire. Par exemple ça va être compliqué d’aller à Hassi Messaoud. Je suis écouté, surveillé, contrôlé. Heureusement qu’il y a Internet, et encore… Après, il y a plein de militants qui sont plus courageux que moi. Il n’y a pas que Yacine Zaïd, il y a des milliers d’Algériens qui luttent pacifiquement. Cette lutte pacifique pour les droits de l’homme dérange le régime algérien, qui s’est construit et repose sur la violence.

La société civile algérienne et ses militants sont-ils efficaces face aux violations des droits de l’homme ?

Oui, mais on ne fait pas le poids devant les services secrets. Ils ont investi la toile avec des faux profils, une partie de la presse est avec eux. Ceci dit, les choses bougent. Dès qu’ils touchent à un militant, il y a toute une chaîne de solidarité qui se met en place, comme avec moi. Les gens n’ont plus peur. Avant, les gens se parlaient de la DRS au creux de l’oreille, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Le régime a cassé la société civile en Algérie. On essaie de reconstruire tout ça. Il faut que les jeunes manifestent pacifiquement, sans rien casser, sans rien brûler, pour enfin arracher leurs droits.

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Propos recueillis par Benjamin Roger (@benja_roger)

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