Le projet de loi sur le renseignement a passé son ultime examen. Le Conseil constitutionnel, saisi par François Hollande lui-même pour calmer les critiques grandissantes et par plus d’une centaine de députés de tous bords, a rendu sa décision jeudi soir. La partie n’était pas gagnée. L’un des artisans du texte nous confiait au moment de l’annonce de la saisine s’attendre à des réserves du Conseil, sans exclure des censures purement et simplement. Les sages en ont finalement validé l’immense majorité.

Quels points entérinent les sages ?

Tout au long du débat — écourté par la procédure accélérée —, les opposants ont mis en exergue les dispositions problématiques du texte. Le Conseil constitutionnel n’y a rien vu à redire, confirmant la constitutionnalité des principaux points d’achoppement : l’élargissement des motifs justifiant des surveillances par les services de renseignement, l’utilisation de techniques très intrusives, l’augmentation des durées de conservation des données interceptées, la fragilité du contrôle par une commission pas assez outillée, l’instauration de dispositifs de surveillance de masse. Même les boîtes noires, installées chez les opérateurs Internet pour «détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste», sont conformes, juge le Conseil.

Qu’invalident-ils ?

Les sages ont tiqué sur trois points. L’un d’eux est mineur : un article empiète sur le domaine réservé des lois de finance. Censuré. Deux autres sont plus sensibles. «L’urgence opérationnelle» d’abord, qui permet aux services d’agir sans aucune autorisation. Le Conseil constitutionnel juge qu’elle porte «une atteinte manifestement disproportionnée au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances». Les mesures relatives à la surveillance internationale aussi ont été censurées.

Les opposants avaient soupçonné un loup, dénoncé l’absence de vrai contrôle et la mise en place d’un «filet de sécurité» pour les services qui pourraient recourir à cette procédure allégée en cas de besoin. La commission consultative ne se prononce pas lorsque les services veulent écouter une communication «émise ou reçue» à l’étranger, dont la définition précise reste floue. Tout comme ce qu’il advient de ces écoutes. Le texte de loi renvoie simplement à un décret en Conseil d’Etat, qui sera classifié, donc secret. Insuffisant en termes de «garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques», écrit le Conseil constitutionnel, qui censure l’article.

C’était justement un décret secret du Conseil d’Etat, pris en 2008, qui régissait jusqu’ici l’espionnage massif à l’étranger. L’Obs en a révélé le contenu et la généalogie. De par sa situation géographique, la France possède un atout de taille. Trois importants câbles sous-marins par lesquels transite le trafic Internet passent par l’hexagone. Depuis 2008, la DGSE dispose de stations d’espionnage sur les câbles, écrit l’Obs, pour ramasser tout ce qui y passe, ou presque. L’organe de contrôle des écoutes se contente de donner des autorisations par pays, et non par cible (Monsieur X, tel 06, telle adresse e-mail). Le chalutage se poursuit depuis dans une opacité remarquable (le Conseil d’Etat parle à propos des décrets secrets de «légalité occulte»). Le projet de loi devait l’encadrer, mais ses ellipses n’ont pas convaincu les sages…

Quels recours reste-il ?

Après la décision du Conseil constitutionnel, les possibilités sont limitées. La Cour européenne des droits de l’homme peut se prononcer. Encore faut-il la saisir et donc épuiser toutes les voies de recours internes. Le texte de loi a mis en place une procédure ad hoc pour contester la légalité d’un placement sous surveillance. Quand le texte entrera en vigueur, le demandeur devra d’abord s’adresser à la commission de contrôle nouvellement créée (la CNCTR), puis au Conseil d’Etat. Avant de pouvoir contester enfin devant la Haute Cour européenne, qui se pencherait alors sur le texte.

«Il n’est pas possible de ne pas partir d’un cas précis», explique Laurence Blisson, secrétaire général du Syndicat de la magistrature. Elle avance une autre piste : les questions préjudicielles posées à un juge d’instruction, qui les transmet au Conseil d’Etat. Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle rend ses décisions en moyenne au bout de quatre ans. Les boîtes noires ont quelques années tranquilles devant elles.