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18 avril 2024

1991 : Les Russes et la Terre Promise


1991 : Les Russes et la Terre Promise

// 1991 : The Russians and the Promised land

Janvier 1991. Ils s’appellent Sacha, Boris, Ludmilla. Ils sont ingénieurs, professeurs de mathématiques ou de piano. Ils sont 13 360 à débarquer d’Union Soviétique en ce premier mois de 1991.

La ruée a commencé un an plus tôt et va se poursuivre à ce rythme jusqu’en 1992. Ils fuient l’antisémitisme, mais aussi les conséquences de l’accident nucléaire de Tchernobyl, ou encore la misère, lassés de faire la queue devant ces magasins qui affichent « plus de pain », « plus de beurre », « plus d’oeufs »…

La propagande est en outre alléchante. Kol Israël (la Voix d’Israël), qui émet dans toute l’Union soviétique, promet verdure, plages de rêve, ski nautique sur le lac de Tibériade, oranges et pamplemousses à volonté. (Tellement alléchante que tous ceux qui se précipitent ne sont pas juifs ; beaucoup ont triché).

Et puis, ils n’ont pas tellement le choix. Israël est intervenu auprès des Etats-Unis et des autres pays pour qu’ils cessent d’accorder le statut de réfugiés politiques aux Juifs soviétiques. L’escale à Vienne a été supprimée parce que trop de « fuyards » en profitaient pour rejoindre l’Occident. Elle a été remplacée par une halte à Varsovie où chaque avion en provenance de Moscou est encerclé par des soldats et des chiens. Les passagers se voient confisquer leurs visas, rendus seulement à bord des Boeing El AL.

Le député Matti Peled essaie en vain de déposer une motion de censure à la Knesset : « Le sionisme affirme être la solution du problème juif. En fait le gouvernement israélien conçoit le judaïsme comme une solution aux problèmes démographiques israéliens ». L’ensemble du parlement, des travaillistes à l’extrême-droite n’en a cure : « Plus on sera nombreux, plus on sera forts », « L’immigration russe va assainir la population », en d’autres termes la blanchir ; on va bénéficier d’une main-d’œuvre qualifiée ; ils vont aller occuper les « Territoires ». « Une immigration massive nécessite un grand Israël » a expliqué le premier ministre Yitzhak Shamir, en janvier 1990.

Un an plus tard, les nouveaux immigrants sont balayeurs ou veilleurs de nuit dans le meilleur des cas. Sinon ils sont au chômage et font les poubelles. Les soupes populaires sont interdites de peur que cela dissuade d’autres Russes de venir. Pas question non plus de publier les statistiques sur les suicides de Russes. Et quand l’industrie du sexe se développe, la presse entonne le refrain : « Les Russes ne sont pas comme nous, elles sont vicieuses, elles aiment ça ».

Ceux qui ne sont pas Juifs, même si leur conjoint l’est, vont connaître l’enfer. Toutes les portes se ferment, même quand ils sont bardés de diplômes : « Désolée Madame, il n’y a déjà pas assez de travail pour les Juifs ». Et gare aux petits garçons non circoncis, obligés de baisser leur culotte à l’école… la honte et les brimades vont s’abattre sur eux, raconte Marion Sigaut dans son livre reportage « Juifs errants sans terre promise ».

Des Russes écrivent assez vite à leur famille pour leur dire de ne pas venir. Mais leurs lettres n’arriveront jamais. Elles sont interceptées. Le 28 avril 1991, le ministre de la justice publie une ordonnance interdisant le passage par la poste israélienne de « tout colis postal contenant une information pouvant porter atteinte à la sécurité de l’Etat ». Quant au « droit au retour », il est à sens unique : pour quitter Israël, les Russes devront rembourser ce que l’Etat d’Israël a dépensé pour eux, transport et « panier d’intégration », et récupérer leurs papiers confisqués pour une période d’un an.

Très décevants ces Russes finalement : ingrats, aucune fibre religieuse, refusant d’aller dans les territoires. Ils ne sont généralement pas sionistes, et certains deviennent même antisémites ! Beaucoup finiront par quitter Israël.

Pendant toute cette période, le chômage s’abat en masse sur les Palestiniens citoyens israéliens, qui venaient de finir un parcours de combattant au niveau des diplômes et embauches : retour à la case départ, les Russes prennent leur place. Les ouvriers palestiniens qui ont conservé un bout de jardin après l’expropriation de leurs terres agricoles, peuvent lui dire adieu. On a besoin de place. On construit à la va-vite des kilomètres de maisons préfabriquées sur les ultimes terres qui ont échappé aux expropriations : Umm-al-Fahm se voit à elle seule déposséder de 3.200 dunams (320 hectares) en février 1991. Après avoir, pour « judaïser » la Galilée, amené des milliers de familles d’origine orientale, on installe désormais des Russes. La presse peut se vanter au cours de l’hiver 1991-1992 du fait que les Juifs sont enfin majoritaires en Galilée, leur proportion étant passée à 51 %.

Ce qui n’empêche pas Mikhaïl Gorbatchev, ex-dirigeant soviétique depuis quelques mois, de venir au printemps 1992 en visite en Israël et de s’y faire remettre en 200 000 F et divers titres honoraires pour bons et loyaux services. Il refusera pendant ces 4 jours de rencontrer la moindre délégation palestinienne, et fera des déclarations à la gloire de la colonisation israélienne.

par CAPJPO-EuroPalestine


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