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19 avril 2024

Comment les médias de l’époque ont parlé de la bombe atomique à Hiroshima


LE LIBRE PENSEUR

Comment les médias de l’époque ont parlé de la bombe atomique à Hiroshima

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Triste anniversaire du massacre de Hiroshima. Ville détruite et peuple massacré par la bombe atomique de la très démocratique et humaniste Amérique, lumière des nations…


Comment les médias de l’époque ont parlé de la bombe atomique à Hiroshima

(Courrier international)

(Courrier international)

Au lendemain du largage de la bombe sur le Japon, la presse est totalement surprise. Elle minimise d’abord souvent, car elle ignore encore les conséquences du drame

Passionnant. Mais terrifiant aussi. Et naïf. Courrier international a lu ce mercredi le Japan Times, à l’occasion du 70e anniversaire de l’explosion de la première bombe atomique. «Une bombe d’une puissance inédite», dit-il. «Avec quelque 140 000 personnes tuées» – 250 000 en réalité, selon l’historien Howard Zinn. «Le lendemain, les médias japonais tentent de nuancer la violence de l’attaque et de rassurer la population.» A l’époque, ce quotidien s’appelait encore Nippon Times. Le 7 août, il écrit, sans jamais le nommer, que «l’ennemi a lâché des explosifs et des produits incendiaires».

Mais deux jours plus tard, le quotidien explique que «les dégâts considérables ont été causés par l’utilisation d’un nouveau type de bombe». Et les journalistes accusent pour la première fois l’ennemi «d’avoir tué et blessé autant d’innocents que possible en raison d’un désir urgent de terminer la guerre rapidement». Il faudra attendre encore trois jours pour que le 12 août, le Nippon Times évoque enfin, nommément, «la bombe atomique». Il écrit alors que Nagasaki a également été frappée par une bombe, «causant des dégâts relativement légers» par rapport à ceux d’Hiroshima.

«Un péché contre la culture de la race humaine»

Et dans la même édition, traduit toujours Courrier int’, «les Américains sont ostensiblement visés. Le quotidien […] accuse Washington d’avoir commis «un péché contre la culture de la race humaine en utilisant une bombe qui est plus cruelle que tous les missiles ou les armes qui ont été utilisés dans le passé». Le Ministère de l’intérieur, qui craint une nouvelle attaque et refuse de capituler, conseille aux habitants «d’utiliser une couverture ou un futon s’ils ne peuvent pas se mettre à l’abri d’un refuge».

Et en Suisse? Le premier article signé – et un peu substantiel – de la Gazette de Lausanne ne paraît que le 9 août. Et il commence par cette citation de Pascal: «L’infiniment grand m’effraie, l’infiniment petit m’éblouit»! Le professeur Edmond Rossier, collaborateur et chroniqueur de politique étrangère de 1924 à 1945 pour le quotidien vaudois, après un long historique de l’armement nucléaire américain, y écrit qu’«il a suffi d’une bombe pour détruire la ville d’Hiroshima; les premiers détails qui nous sont arrivés relativement à cette exécution portent l’empreinte de la surprise, de l’horreur qu’ont éprouvée les témoins de ce drame.»

La veille, le Journal de Genève avait déjà sobrement indiqué que «la presse du monde entier» retentissait «du bombardement de l’Empire du Soleil-Levant par de nouveaux projectiles». Et cette fois, c’est Valéry qu’invoque l’auteur de l’article, Alph. Bernoud: «Pour effrayant que soit un monde, la tâche de le décrire est toujours un peu plus effrayante que lui.» Lyrique, il précise que «le Japon tremble sur ses assises comme au temps où le poisson que sa mythologie lui a donné en socle se mettait à frétiller»…



La Feuille d’avis de Neuchâtel, elle, le 9 août, rapporte que «la radio japonaise reconnaît ouvertement l’envergure des dégâts causés à Hiroshima». Cela dépasserait «tout entendement», «de nombreux habitants ont perdu la vie» et «le pouvoir dévastateur de la bombe atomique est indescriptible».



Et de poursuivre, plus concrètement: «Tous ceux qui se trouvaient dans la rue furent calcinés, les occupants des maisons étaient à leur tour tués par la chaleur et la pression d’air. Les morts et les blessés sont méconnaissables. Les bâtiments publics sont en ruines et les autorités font tout ce qui est en leur pouvoir pour porter secours aux victimes.»

Quant à L’Impartial, à La Chaux-de-Fonds, Pierre Girard y écrit le même jour, en conclusion d’une analyse enlevée, qu’«à l’heure où le monde entier est sous le coup de la sensationnelle nouvelle de la «bombe atomique» [notez les guillemets, qui soulignent la nouveauté], dont les applications révolutionneront peut-être le monde de demain, on se demande ce qu’attendent ou ce que peuvent encore espérer les dirigeants de Tokio. Il y a une année, on pouvait encore parler de la guerre des nerfs. Aujourd’hui, cette forme de la lutte paraît définitivement dépassée.»



Pour d’autres observateurs de l’époque, dont l’article de La Croix paru le 8 août 1945 se fait l’écho, «l’emploi de cette arme amènera la fin rapide de la guerre contre le Japon» et plus largement supprimera toute forme de guerre car «il est difficile de croire qu’un peuple ou un gouvernement responsable osera dans l’avenir déchaîner de pareilles forces»… Pour d’autres, comme le Daily Telegraph, «l’élimination de la guerre même devient une nécessité», faute de quoi «la race humaine courra fatalement à une ruine horrible».

L’envoyé spécial du Figaro, James de Coquet, arrive au Japon juste après la capitulation signée le 2 septembre 1945. Il découvre à Hiroshima et Nagasaki un spectacle de désolation totalement inédit. Trois semaines après, le 20 septembre, il retranscrit le récit du père Siemes, missionnaire jésuite: «Vers 8 h.15, je vis dans le ciel comme un immense éclair de magnésium qui paraissait sortir d’un appareil de photo géant. Je m’approchai de la fenêtre, mais l’éclair avait disparu et j’eus le temps de me retourner pour quitter la pièce lorsque j’entendis l’explosion. […]

»Toute la façade de notre maison du côté de la ville fut compressée vers l’intérieur, les fenêtres et les portes arrachées; j’étais blessé par des éclats de verre et je saignais, mais ce n’était pas grave. […] Bientôt les premiers réfugiés arrivèrent d’Hiroshima, blessés ou brûlés aux jambes, aux mains, aux bras, à la face.» Les archives de l’Institut national audiovisuel français (INA) sont, à cet égard, explicites. Et celles de Pathé le sont tout autant.

Olivier Perrin

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