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19 avril 2024

On ne peut pas provoquer la guerre et s’étonner ensuite du désordre


 Kader A. Abderrahim à propos de la Libye et de la crise migratoire: «On ne peut pas provoquer la guerre et s’étonner ensuite du désordre»
Migrants hang onto flotation tubes in the sea after jumping from an overloaded wooden boat during a rescue operation 10.5 miles (16 kilometres) off the coast of Libya August 6, 2015. An estimated 600 migrants on the boat were rescued by the international non-governmental organisations Medecins san Frontiere (MSF) and the Migrant Offshore Aid Station (MOAS) without loss of life on Thursday afternoon, a day after more than 200 migrants are feared to have drowned in the latest Mediterranean boat tragedy after rescuers saved over 370 people from a capsized boat thought to be carrying 600. Picture taken August 6, 2015. REUTERS/Darrin Zammit Lupi MALTA OUT. NO COMMERCIAL OR EDITORIAL SALES IN MALTA – RTX1OD0D

Kader A. Abderrahim à propos de la Libye et de la crise migratoire: «On ne peut pas provoquer la guerre et s’étonner ensuite du désordre»

L’Europe constate l’ampleur de la crise migratoire et ne semble pas pour autant faire le lien avec l’intervention en Libye de 2011. Pour Kader Abderrahim, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, il y a pourtant un lien direct entre ces deux faits.

RT france : Y-a-t-il un lien direct entre la crise migratoire que connaît l’Europe et les interventions occidentales, notamment en Libye ?

Kader Abderrahim (K. A.) : Il y a une relation directe, de cause à effet. Plus on intervient dans des situations qu’on ne connaît pas bien ou qu’on ne maîtrise pas suffisamment, plus le risque d’ajouter du désordre et de la confusion est grand. C’est ce qui s’est passé avec la Libye et l’intervention franco-britannique de 2011. Evidemment, on a fait tomber une dictature mais on n’a pas imaginé ou même réfléchi à ce que pourrait être une transition démocratique après Kadhafi.

Pendant cette guerre, on a eu d’abord, dans un premier temps, une espèce de verve révolutionnaire. Ensuite, on eu le règne des milices qui ont mis le pays en coupe réglée. Il y a eu, certes, deux élections qui ont permis aux Libyens de s’exprimer avec un Conseil national de transition. Mais le pays a basculé dans un chaos généralisé et la guerre civile que l’on connaît. C’est cette situation d’instabilité chronique qui fait de ce pays une espèce de havre pour tous les trafics et tous les trafiquants.

Le trafic d’êtres humains, avec les passeurs de migrants, est ainsi devenu un trafic comme un autre. Les services de renseignements américains estiment qu’il y a entre 600 000 et 800 000 immigrants clandestins qui sont sur le territoire libyen et qui sont prêts à partir en direction de l’Europe avec qui voudra bien les embarquer. Ils montent sur des bateaux de fortune sur lesquels ils ont plus de chances de finir noyés que d’atteindre l’Eldorado qu’est l’Europe, telle qu’ils se l’imaginent. Donc oui, encore une fois, il y a une relation directe, de cause à effet, entre les interventions militaires occidentales depuis 30 ans, le chaos qui a été provoqué et la situation actuelle des migrants.

 Il y a une relation directe, de cause à effet, entre les interventions militaires occidentales depuis 30 ans, le chaos qui a été provoqué et la situation actuelle des migrants

RT France : Pourquoi l’Europe semble-t-elle traiter cette question migratoire en dehors de tout lien de cause à effet avec l’intervention en Libye ?

K. A. : Pour une raison assez simple : il est toujours très compliqué pour des pays, des Etats, des gouvernements de reconnaître leurs erreurs. Cette guerre de 2011 en Libye était, de fait, une erreur. On le voit désormais. N’ayant pas réfléchi à ce que pourrait être l’après-solution politique, on a beaucoup de mal à imaginer quelle pourrait être une solution globale. Si on ne remet pas un peu d’ordre dans le chaos mondial, notamment en Libye et au Moyen-Orient, il y a peu de chance qu’on arrive à résoudre ou à résorber la question des flux migratoires. La majorité des réfugiés sont aujourd’hui Syriens, et leur nombre constitue un sixième de la population du pays. Mais d’autres pays sont aussi concernés: l’Irak, l’Erythrée, le Yémen, la Somalie.

L’Afrique et le Moyen-Orient sont aujourd’hui des zones durablement déstabilisées à cause des interventions militaires occidentales. La question à poser aux gouvernements occidentaux est la suivante : comment tenter d’enrayer ces migrations pour éviter que les opinions publiques occidentales ne deviennent un peu trop réactives. Car l’Europe traverse, elle aussi, une crise, économique et un afflux massif d’immigrés pourrait provoquer une progression des extrêmes droites, voire de mouvements ouvertement néo-nazis. Il y donc un vrai risque pour les démocraties européennes de se voir attaquer sur cette question migratoire car en amont, il y a des problèmes politiques et diplomatiques qui n’ont pas été traités comme il aurait fallu qu’ils le soient.

RT France : Cette crise touche-t-elle d’autres zones que l’Europe?

K. A. :  La situation de la Libye est spectaculaire et très médiatisée. Mais d’autres pays sont également concernés, comme l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc car la pression migratoire vient de plus en plus loin à l’intérieur du continent africain, une pression qui inquiète aussi ces pays. On voit des gens qui, après avoir traversé toute l’Afrique à pied, échouent dans la ville de Tanger, par exemple, avec l’hypothétique espoir de traverser la Méditerrannée pour aller en Europe.

Kader A. Abderrahim est chercheur associé à l’Iris, spécialiste du Maghreb et de l’islamisme, et maître de conférences à Sciences-po Paris. Il est l’auteur notamment de L’indépendance comme seul but

Source: Russia Today

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